Octobre 1996 - n°11
La Transposition d'Echelle et Les Bonnes Pratiques de Fabrication dans l'Industrie Pharmaceutique
I.- MOTIVATIONS- LIMITES
Une opération à réaliser rapidement ou devant répondre
à une demande urgente en cas d'épidémie peuvent être
à l'origine de la décision de multiplier une production par dix
ou même par cent. Le facteur temps joue un rôle important. La hâte
est-elle compatible avec le respect des Bonnes Pratiques de Fabrication (BPF)
qui demeurent un impératif ? La moins mauvaise méthode est bien
de disposer du maximum de facteurs calculables en sachant que sur le papier
on n'obtiendra qu'une approximation et que l'application réservera des
surprises. La transposition d'échelle portera sur les matières
premières, le local, le matériel, le procédé de
fabrication, le personnel. Un contrôle total est indispensable, et rien
ne doit être laissé au hasard.
Il. - LES OPERATIONS CONCERNEES
II.1. - Les matières premières
Une production effectuée avec l'aide de machines sous-entend l'adaptation
des matières premières aux machines concernées et réciproquement.
Plus un équipement est complexe, plus il est exigeant.
Les matières premières devront avoir des caractères techniques
aussi bien définis et aussi constants que possible. Tant qu'il s'agit
de petites quantités, I'obligation d'avoir deux fournisseurs pour une
matière première est souvent une question de prix. Pour les gros
tonnages, le problème sera la capacité d'approvisionnement, en
quantité et en qualité, d'un produit conforme à l'échantillon
sur lequel les essais ont été conduits, y compris les épreuves
de stabilité et les essais pharmacotoxicologiques et cliniques. A ce
stade, il est essentiel de préciser les tolérances qui seront
un compromis entre les possibilités du fournisseur et les exigences de
l'utilisateur en vue de l'obtention de la bonne marche de la chaîne de
fabrication pour aboutir à un produit fini conforme aux normes, biodisponibilité
comprise.
II.2.- La réception
Le transport en vrac, la réception et le stockage soulèvent
des problèmes qu'il vaut mieux se poser avant d'être dans le feu
de l'action: aspect légal, aspect pratique. Citons à titre d'exemple
l'aptitude des bâtiments à résister à des contraintes
pour lesquelles ils n'ont pas été prévus, la multiplication
excessive des unités d'arrivage (sacs, bidons...). L'examen des plombs
de scellage d'une citerne, I'appré- ciation de l'aspect d'une livraison
de 15 tonnes, le prélèvement d'échantillons représentatifs,
posent des problèmes très terre à terre, auparavant volontiers
considérés comme indignes de retenir l'attention des scientifiques.
Cependant l'histoire industrielle est pleine de constatations de prélèvements
pratiqués sans soin. Un bon échantillon est le roc sur lequel
repose tout l'édifice du contrôle des matières premières.
II.3.- L'échantillonnage
L'examen des échantillons prélevés est devenu automatique
au fur et à mesure du développement de lots très importants
de matières premières et de produits finis. Les conditions dans
lesquelles le prélèvement doit se faire et les indications à
porter sur les récipients du laboratoire et sur les emballages d'origine
doivent faire l'objet d'un protocole soigneusement établi pour chaque
matière première de façon à prélever un échantillon
représentatif, sous un contrôle effectif à tous les niveaux.
La décision d'acceptation ou de rejet d'une livraison de matières
premières ayant des implications financières importantes, il est
essentiel de définir avec les fournisseurs les limites au-delà
desquelles un produit ne peut être accepté.
II.4. - Le contrôle
dans la transposition d'échelle
Les services de R&D devront s'appliquer à mettre au point des
méthodes de contrôle se prêtant à l'automatisation.
Il est indispensable de bien connaître la précision de la méthode
manuelle et de la méthode automatique pour juger équitablement
des résultats.
II.4.1 - Le contrôle des matières premières
Le plan d'échantillonnage facilitera la détermination du nombre de prélèvements indispensables, sans altérer la rentabilité par la multiplication excessive des examens.
II.4.2. - En cours de fabrication
Les prélèvements devront se faire en des points précis, de préférence au cours des transferts (dérivations sur tuyaux, par exemple), en un point où le contrôle effectué sera efficace, c'est-à-dire capable de rectifier une erreur avant que le produit n'en arrive à un stade irrécupérable.
II.4.3 - Sur le produit fini
Plus encore que pour les matières premières, les BPF, pour le contrôle du produit fini, peuvent exiger l'achat d'un matériel sophistiqué d'analyse rapide.
III. - MODE OPERATOIRE DE
FABRICATION ET DE CONDITIONNEMENT
Le local et le matériel faisant, par ailleurs, I'objet d'une étude
individuelle, nous examinerons simplement la notion de lot et son application
dans la fabrication continue.
III.1. - La notion de lot
Cette notion est le fondement de toute fabrication pharmaceutique. Même
une fabrication doit être divisée en lots, car il n'est pas possible
d'accepter quelque chose n'ayant ni commencement ni fin sous peine de tomber
dans le chaos.
III.2. - Les lots successifs
La production de nombreux lots de petites dimensions d'un même produit,
par emploi de matériel existant exige un nettoyage interlots. Si l'installation
automatisée a des possibilités de production très supérieures
à la demande d'une seule spécialité, le problème
pourrait se poser ainsi:
. Est-il rentable de démonter la chaîne de fabrication, de la nettoyer à fond et de la remonter en apportant les modifications nécessaires à la production d'un médicament différent? Ceci pour combien de temps, compte tenu du coût du stockage de chacune des spécialités ?
Dans le cas de production importante, chaque produit devrait idéalement disposer de sa chaîne de fabrication sans avoir besoin de l'aide d'une cha~ne momentanément inutilisée.
Si un plan de normalisation a été établi, si les efforts des services commerciaux et des techniciens ont été coordonnés par une direction efficace, il semble possible, en respectant les BPF, de diversifier la production par une réorganisation ordonnée des chaî~nes de fabrication et de conditionnement.
III.3. - Les lots successifs
de plus grande taille
Dans ce cas, il faut prévoir l'adaptation, la transformation, la
modification et/ou l'acquisition de matériel. Est-il acceptable d'envisager
une fabrication peu compatible avec le matériel disponible ou exigeant
des modifications importantes de celui-ci ?
L'avis des électro-mécaniciens responsables du réglage des machines doit être pris en considération. Une grande différence apparaît immédiatement entre les produits secs dans lesquels les germes ne poussent pas et les produits aqueux dans lesquels une contamination même légère peut amener une prolifération microbienne indésirable, faute de grands nettoyages à intervalles réguliers et rapprochés.
C'est le laboratoire de contrôle bactériologique qui devra signaler toute tendance d'une chaîne de fabrication à favoriser une anomalie qualitative ou quantitative dans la population bactérienne et fongique, indécelable évidemment lors des essais au laboratoire de recherche. Les constructeurs des machines, les ingénieurs et les pharmaciens qui implantent les chaînes doivent porter leur attention sur la nécessité de fournir des installations faciles à nettoyer, évitant soigneusement les recoins inaccessibles aux brosses, les surfaces et soudures non polies, certaines vannes qui sont des réservoirs de microbes.
IV.- LA FABRICATION EN CONTINU
C'est la transposition d'échelle à l'infini, le pharmacien
industriel est conscient du fait qu'elle pourrait devenir courante parce que
bien conduite, elle est plus économique.
Mais le "continu", n'est pas inéluctablement l'avenir des fabrications industrielles. Au moins faut-il préciser le sens de continu. En fait, le pharmacien devra trouver la "discontinuité dans la continuité" afin de maintenir la validité des contrôles. Le lot est la quantité homogène maximale productible et contrôlable de façon fiable. Il semble qu'il faille prévoir, dans une chaîne, des stations tampons de stockage et de triage aux fins de contrôles du produit en cours de fabrication. L'usage des cuves jumelées peut apporter un début de réponse. Il peut être remarqué la non-rentabilité du procédé lié à l'attente des contrôles. Les contrôles bactériologiques rapides par filtration seront de plus en plus nécessaires pour les formes pharmaceutiques, et un effort particulier doit être consenti sur ce point pour que les BPF soient définies et respectées.
IV.1. - Séquence
des opérations
Malgré leur diversité il est possible d'énoncer les
principales étapes communes à toute fabrication de produits pharmaceutiques.
La première démarche, elle aussi concernée par les BPF, est du domaine de la gestion: tenue des stocks, programme de production, établissement des fiches de fabrication.
A partir de matières premières convenablement
stockées dans des silos ou des cuves, acceptées par le laboratoire
de contrôle, acceptation dûment signée et affichée,
la séquence pourrait être la suivante:
- Transfert, dans le premier récipient de mélange, des puivérulents
avec pesée préalable sur une balance automatique et enregistreuse,
avec passage à travers des tamis ou des séparateurs appropriés,
rejetant les corps étrangers éventuels.
Pour les liquides de faible viscosité, I'eau en particulier, la mesure
peut se faire à l'aide d'un compteur débit-mètre à
condition qu'il soit précis.
- Mélange ou dissolution, à la température optimale pendant
une durée déterminée, en s'aidant de mélangeurs
adaptés à cette opération, et à des vitesses sélectionnées....
- Eventuel temps de repos ou de stockage intermédiaire pouvant poser
des problèmes de capacité,
- Opérations diverses de mise en forme, affinage, homogénéisation,
broyage, granulation, séchage,
- Dernière phase de préparation du produit semi-fini,
- Stockage du produit semi-fini en attente du contrôle,
- Contrôle du produit semi-fini: sortie de quarantaine,
- Conditionnement automatique, groupage, emballage,
- Contrôle du produit conditionné,
- Décision du pharmacien responsable.
IV.2. - Surveillance d'une
fabrication en continu
Le travail le plus délicat sera la détection des points de
la chaîne où il peut apparaître un défaut significatif
ne pouvant plus être corrigé en aval. Ce défaut peut appeler
une modification allant jusqu'à un changement complet du poste de travail
concerné ou de la chaîne elle-même. L'idée directrice
doit être de ne pas bloquer une chaîne de fabrication tout en ayant
la certitude d'un déroulement normal.
Si le défaut est mineur, il faut connaître l'amplitude des variations et fixer le point critique nécessitant une correction. C'est à ce poste qu'il faudra installer un analyseur automatique commandant un système correcteur arrêtant la chaîne de production ou une partie seulement de la chaîne, ou rejetant les défectueux. Cette correction avec rejet existe couramment sur les machines à comprimés.
Lobservation superficielle par un contrôle statistique sommaire n'est pas suffisante. Le contrôle suivi doit se faire sur le produit fini, emballé, tel qu'il arrive chez le pharmacien distributeur et chez l'utilisateur. D'où la nécessité d'entretenir avec soin une salle d'échantillons (échantillothèque), à la température ambiante et des chambres reproduisant les conditions extrêmes qui seront subies par le médicament. Mais il faudra également être très attentif à la qualité des échantillons et à l'exécution des analyses sans que celles-ci entravent le processus. Le procédé de fabrication industriel doit être respecté scrupuleusement; la plus logère modification, volontaire ou accidentelle, doit être mentionnée sur la fiche d'accompagnement. La température et l'humidité relative ambiantes doivent être enregistrées dans le cas des pulvérulents. Les contrôles analytiques en cours de fabrication sont également précieux pour prévoir le devenir du lot de fabrication. Le report sur des graphiques doit faire apparaître les variations et faciliter la comparaison des lots. Cette organisation minutieuse permet l'amélioration des techniques de fabrication par l'accumulation d'observations précises.
V. - ASPECT HUMAIN DE LA
TRANSPOSITION D'ECHELLE
La responsabilité personnelle est à la base des BPP
V.1. - Définition,
sélection
Le personnel doit être choisi avec soin. Il sera au-dessus de toute
critique et de tout soupçon, car:
La responsabilité d'une catastrophe consécutive à une malveillance, à cette échelle, peut-elle permettre de laisser en place un personnel n'admettant pas les bases de la déontologie pharmaceutique ? Même sans en arriver là, la notion de responsabilité personnelle est impérative pour chaque exécutant.
V.2.- Equipement
Le matériel croissant en dimension, il n'est pas possible d'utiliser
les accessoires de nettoyage du laboratoire. La solution du scaphandre individuel
loger devient habituelle à une certaine échelle. Des techniques
et instruments nouveaux sont souvent à mettre au point dans chaque cas.
V.3. - Cas du façonnier
La fabrication des produits pharmaceutiques par des tiers intervient:
- soit pour satisfaire une forte demande,
- soit pour pallier l'absence de matériel chez le fabricant habituel,
- soit pour des lots d'essai et de démarrage.
La spécification des matières premières
ne devra jamais être anonyme. Quant il s'agit de préparation exigeant
un matériel très spécial, il peut sembler admissible, du
moins temporairement, que la fabrication soit confiée à un tiers,
par exemple, pour des vitamines, antibiotiques, produits stériles et
apyrogènes, produits radio-actifs. Dans ce cas le façonnier doit
logiquement être capable de contrôler lui-même sa fabrication
de bout en bout; exceptionnellement il est admissible qu'il fasse appel à
un tiers pour un contrôle particulièrement difficile. Un problème
délicat est posé par le partage des responsabilités entre
les différents stades de la fabrication, du conditionnement, du contrôle
et de la commercialisation du produit. Le pharmacien peut-il faire appel à
des tiers pour le contrôle analytique ou bien doit-il lui-méme
être effectivement responsable du contrôle qu'il doit superviser
directement dans son laboratoire ? Il est généralement admis que
la décision de libération d'un produit doit être prise par
un spécialiste responsable bénéficiant d'une vue d'ensemble
et d'une compétence tant dans la fabrication que dans le contrôle,
position délicate quand elle place le même pharmacien entre deux
usines aux intérêts parfois divergents. Quant une fabrication est
exécutée par un tiers façonnier et encore plus, quand elle
devient importante, il est essentiel de délimiter par écrit, de
façon claire et nette, la responsabilité respective du donneur
et du receveur d'ordre de façonnage.
Il est toujours souhaitable qu'une partie de la fabrication soit faite par le
pharmacien requérant les services d'un façonnier. Le contrôle
doit obligatoirement être fait par son personnel et sous sa responsabilité;
cela ne dispense nullement, par ailleurs, le façonnier du contrôle
des matières premières et du produit plus ou moins élaboré
qu'il livrera à son client avec le compte-rendu de ses contrôles
analytiques.
Vl. - CONCLUSION
La production de grandes séries est la conséquence logique
d'une consommation toujours plus élevée de médicaments
mis à la portée du plus grand nombre possible d'être humains,
non seulement pour eux-mêmes, mais également pour soigner leurs
animaux et leurs végétaux. Pour maintenir la qualité de
cette production à un haut niveau, il faudra disposer de matières
premières sélectionnées, d'un matériel et d'un personnel
de qualité. Le contrôle doit être très strict. La
détection des plus lépères imperfections n'a pas seulement
un intérêt académique, elle est la condition de l'amélioration
de la qualité et même du prix. Elle contribue à maintenir
constamment en éveil l'attention du personnel, elle crée un état
d'esprit qui fait prendre spontanément les mesures préventives
pour résoudre les problèmes avant qu'ils ne deviennent aigus.
Cette forme de la sagesse traditionnelle ne devrait pas être incompatible
avec la prospérité de l'entreprise.
Vincent LIMOUSIN - INTERCHIMIE