juin 1996 - n°9
LA SYNTHESE PEPTIDIQUE EN PHASE SOLIDE
Vous avez dit "peptide" ?
L'engouement relatif aux peptides est né dès
la fin des années 60, quand est apparu la possibilité de synthétiser
chimiquement à façon de grandes quantités de peptides.
En effet, I'identification de peptides à activité biologique est
à la base du développement de nombreuses thérapies: de
nombreux peptides naturels ont été caractérisés
et portent des activités biologiques très diverses. Citons par
exemple: les hormones, les inhibiteurs d'enzymes, les facteurs de croissance,
les neurotransmetteurs, les immunomodulateurs...
Le peptide de synthèse est promis à un bel avenir: c'est un outil
de choix pour des applications aussi diverses que nombreuses dans les domaines
de la biologie moléculaire, de la biochimie, de la médecine, du
diagnostic et du développement de vaccins et de nouveaux médicaments.
Ie peptide est, soit utilisé directement pour ses propriétés
pharmacologiques, soit pour permettre d'approfondir la compréhension
des mécanismes biologiques dans lesquels il intervient.
De façon très schématique, les principales applications
développées avec les peptides synthétiques ont pour objectif
d'imiter les caractéristiques de portions d'une protéine beaucoup
plus longue. Des petits fragments sélectionnés de la protéine
sont synthétisés et testés dans des essais blologiques.
Cette approche vise à déterminer les sites actifs des protéines:
les sites récepteurs, les sites effecteurs et activateurs, les sites
de fixation. Les divers sites fonctionnels d'une protéine sont ainsi
accessibles. Cependant, alors que l'intérêt du peptide a été
validé en recherche, les applications cliniques restent encore limitées.
Une raison essentielle est leur rapide dégradation in vivo par les peptidases.
A contrario, le peptide présente l'énorme avantage de ne pas générer
de métabolite toxique.
Différentes méthodologies sont utilisées pour le développement
de "peptides médicaments". Grâce à la modélisation
moléculaire, les acides aminés peuvent être remplacés
par des résidus "exotiques", les liaisons chimiques entre résidus
peuvent être remplacées par des liaisons résistantes, ce
qui permet de conserver les propriétés caractéristiques
intrinsèques du peptide tout en augmentant son temps de demi-vie et/ou
son affinité pour sa cible. De tels peptides pharmacomodulés seront
la voie de développement de médicaments très sélectifs,
basés sur les peptides déjà sélectionnés
par la Nature.
Le développement de vaccins ou de tests diagnostics est un domaine où
un très grand nombre de peptides sont utilisés. Dans les deux
cas, la séquence entière de la protéine est synthétisée
sur un support de cellulose sous la forme de peptides courts se chevauchant.
Les peptides sont ensuite analysés pour leur reconnaissance par le ou
les anticorps antiprotéine du sérum humain ou du sérum
de mammifère (cartographie des épitopes, régions immunogènes
de la protéine). Les peptides qui réagissent peuvent être
identifiés et optimisés afin d'être utilisés en routine
pour le diagnostic ou encore comme vaccins synthétique pour induire des
anticorps.
Une telle méthode est aussi applicable à la détermination
des zones reconnues par les anticorps auto-immuns.La synthèse de peptides
courts chevauchants libres permet, quand à elle, de faire la cartographie
des épitopes T impliqués dans l'immunité à médiation
cellulaire.
La pharmacologie est une autre grande consommatrice de peptides: un grand nombre
de peptides sont synthétisés et testés pour leur interaction
avec un récepteur ou leur capacité à induire une réponse
biologique.
Les séquences sélectionnées sont alors synthétisées
avec diverses modifications guidées par la modélisation moléculaire
qui permettent de déterminer les pharmacophores (les structures importantes
pour l'activité pharmacologique). Une stratégie prometteuse pour
l'identification des pharmacophores est la synthèse de banques combinatoires
de peptides ou de peptidoïdes couvrant un domaine structural assez large.
Ici encore, la modélisation moléculaire permet de restreindre
et de rationaliser l'espace conformationnel à explorer. Un test de criblage
biologique est alors appliqué afin de déterminer les molécules
d'intérêt.
La chimie des peptIdes: toujours un défi
La synthèse peptidique constitue un défi que
les chimistes organiciens s'efforcent de relever depuis le début du siècle.
Synthétiser un peptide reste un "art".
Les peptides sont de petits fragments de protéines d'une taille comprise
entre 2 et quelques dizaines d'acides aminés. Les résidus d'acides
aminés d'une chame peptidique sont reliés entre eux par la liaison
peptidique, une liaison amide (-CONH-). Ces liaisons sont formées de
façon artificielle au cours de la synthèse chimique des peptides.
Les difficultés inhérentes à la synthèse peptidique
proviennent de la structure même de leurs constituants de base, les acides
aminés, qui portent des substituants aux propriétés physico-chimiques
très diverses.
Un acide aminé porte 4 substituants situés aux sommets d'un tétraèdre
autour du carbone central.
H
H2N-C-COOH
R
Il existe 20 acides aminés naturels qui se différencient
par leur chame latérale R: dimension, forme, charge, capacité
à former des liaisons hydrogène, hydrophobicité, et bien
sûr réactivité chimique. La nature chimique de R est soit
aliphatique (aucune fonction réactive) soit Alcool, Sylphydrile, Amine
(primaire, imidazole ou guanidinium), groupement cyclique secondaire, acide
ou carboxamide, aromatique, indole.
Pour former la liaison peptidique entre 2 acides aminés successifs (M1
et M2 dans le schéma qui suit) dans la séquence désirée,
avec le départ d'eau, il faut utiliser un agent de déshydratation.
La réalité est pourtant bien différente. Dans une telle réaction le dipeptide AA1-AA2 serait ultraminoritaire dans le mélange réactionnel, pour plusieurs raisons:
Il est donc nécessaire d'utiliser des groupements protecteurs
si l'on veut obtenir un seul produit. Une contingence supplémentaire
apparaît aussi: I'othogonalité des protections. En effet, lorsque
l'on voudra coupler un 3ème acide aminé AA3, il faudra pouvoir
libérer sélectivement la fonction COOH de AA2 pour permettre la
formation de la liaison nouvelle peptidique.
Notons que la synthèse chimique des peptides à lieu dans le sens
contr`aire de la synthèse biologique, la raison est fort simple: la nature
sait activer la fonction amine (NH2) lors de la formation des aminoacyltRNA,
le chimiste ne sait qu'activer la fonction carboxyle (COOH) par formation d'un
anhydride symétrique ou d'un esten
Avant de pouvoir synthétiser un peptide, les problèmes à
résoudre par les organiciens ont donc été les suivants:
Ce n'est pas tout: pour arriver au produit final, il faut être capable à chaque étape de couplage de débarrasser le peptide en croissance des réactifs mis en excès, des groupements protecteurs d'amine clivés, et autres produits indésirables. Deux approches sont utilisables: synthèse en phase liquide, avec purification du peptide entre chaque étape, et synthèse sur support solide (résine polymère) où la séparation se fait par simple rinçage parés les étapes de couplage et de clivage de la protection intermédiaire.
Chacune de ces méthodes a ses avantages et inconvénients.
La synthèse en phase liquide est longue et fastidieuse (au minimum, deux
AA par jour) mais elle peut travailler sur des quantités très
importantes, de plus la purification intermédiaire garantit du produit
final très propre. La synthèse sur support solide est beaucoup
plus rapide, elle est automatisable entièrement, mais reste limitée
en quantité à quelques grammes de peptide par synthèse.
Elle est plus exigeante au point de vue des rendements de couplage et déprotection
intermédiares, car i'on conserve sur la résine toutes les ratées
de couplage. Il faut donc des rendements excellents. Il faut aussi disposer
d'un support adéquat pour l'élongation du peptide, et être
capable de cliver le peptide de la résine en fin de synthèse.
La suite de notre propos sera consacrée à la mise en uvre
de la synthèse en phase solide:
réactifs et instrumentation.
Synthèse en phase solide:
Dans une série d'articles de 1962 à 1964, R.B. MERRYFIELD à posé les bases de cette stratégie, qui s'est depuis très largement imposée. Le principe général est depuis resté le même, mais des améliorations techniques à tous les niveaux l'ont rendue très praticable.
Le schéma montre le principe itératif de la méthode: Le cycle d'addition commence par la déprotection de la fonction amine du peptide en croissance, puis l'addition de l'AA suivant activé, ce qui donne un peptide protégé augmenté d'un M, prêt pour un nouveau cycle. La force de la synthèse sur support solide réside dans les lavages: en phase liquide il faut traduire lavage par purification, Iyophilisation, caractérisation et re-solubilisation. Lorsque le peptide complet est assemblé, le dernier AA est déprotégé, puis les protections latérales sont enlevées et le peptide est clivé du support (ces deux dernières opérations peuvent se faire de façon concomitante). Le peptide libre est purifié, puis caractérisé.
en pratique
Nous allons passer maintenant en revue les divers points clés de la synthèse sur support solide d'un point de vue pratique: quelles sont les options les plus courantes actuellement, les contrôles de qualité et l'instrumentation, puis nous parlerons de développements de synthèse multiple et de synthèse combinatoire.
groupements protecteurs
de la fonction amine a :
Deux stratégies de protection sont en concurrence: stratégie
Boc et stratégie Fmoc.
La stratégie Boc, la plus ancienne utilise un groupement tertiobutyloxycarbonyle
pour protéger la fonction a amine de l'AA à coupler. Boc est labile
en milieu acide, chaque déprotection intermédiaire a lieu dans
un milieu assez agressif, I'acide trifluoroacétique (TFA). La déprotection
crée un carbocation très réactif susceptible de donner
des réactions secondaires. Les protections latérales doivent résister
au TFA; et sont clivées en conditions hyperacide par l'acide fluorhydrique
(HF) d'un maniement assez dangereux. La stratégie Fmoc utilise le fluorenemethoxycarbonyle,
labile en miiieu nucléophile, il est clivé en quelques secondes
par une solution de pipéri dine dans le DMF (diméthyformamide)
dans des conditions douces. Les protections latérales doivent être
stables en milieu basique et clivées en condition acide (TFA). Les Fmoc-AA
sont plus coûteux que les Boc AA, mais l'ensemble des opérations
de clivage sont plus douces pour le peptide et l'utilisateur. Cette stratégie
est employée en routine dans notre laboratoire de production et nous
donne entière satisfaction. Elle est bien adaptée aux synthétiseurs
automatiques, la déprotection peut être suivie en spectrophotométrie
U.V. ce qui permet de mesurer l'efficacité des couplages.
L'activation des acides
aminés
L'activation classique d'un acide aminé consiste à replacer
l'H du COOH par un groupement bon partant. De nombreuses solutions ont été
proposées. Les solutions courantes sont l'utilisation d'esters actifs,
ou l'utilisation d'anhydrides symétriques. La réaction doit être
rapide et totale, aussi travaille-t-on avec des concentrations aussi élevées
que le permettent les solubilités et de larges excès molaires
d'AA activés (3 à 10) de façon à accélérer
les vitesses de couplages et pousser les réactions jusqu'au bout. Le
lavage de la résine permet d'éliminer facilement excès
d'AA n'ayant pas réagi. Les stratégies d'activation sont les mêmes
que l'on travaille en Boc ou en Fmoc.
Anhydrides symétriques:
On utilise un carbodilmide, le DIPCDI, agent déshydratant qui permet
de former l'anhydride symétrique in-situ.
2 R-CO-OH + DIPCIDI ->R-CO-O-OC-R + Diisopropylurée.
Celui-ci est ensuite attaqué par l'amine du peptide en élongation pour former la liaison amide et libérer un acide libre
R'-NH2 + R-CO-O-OC-R -> R-CONH-R'+ R-COOH
Le couplage est rapide et efficace, mais cette méthode est coûteuse, car le seul des deux AA de l'anhydride sera utilisé. Si l'on travaille avec un excès molaire de 5, on utilise seulement le dixième de la quantité d'AA mise en jeu.
Esters actifs:
Ici le groupement partant est un alcool. La réaction doit avoir
lieu en présence d'une amine tertiaire forte pour capturer l'alcool (un
phénol acide) formé.
R'-NH2 + R-COOR" + DIEA -> R-CONH-R' O- DIEAH+
Les esters de pentafluorophénol (Fmoc-AA- oPfp) sont commerciaux, ou
peuvent être préparés par couplage par un carbodilmide,
puis isolés par cristallisation. Ils donnent des couplages très
rapides. Leur prix est très élevé. Les esters de DHBT sont
aussi des réactifs très performants. Les esters actifs de DHBT
sont aussi des réactifs très performants.
Les esters actifs de HOBT (hydroxybenrotriazole) peuvent être formés
in-situ, soit en passant par l'anhydride symétrique, soit en utilisant
un réactif "moderne" tel que le réactif de Castro (Bop
et évolutions PyBop) ou le réactif de Knorr (TBtu et évolutions
HAtu). La présence de HOBT semble diminuer des réactions secondaires
de racémisations. Des agents de couplage aux noms exotiques apparaissent
régulièrement dans les catalogues. Nous avons utilisé en
interne la plupart des réactifs cités sur de grands nombres de
peptides sans trouver de réactif "miracle" et notre choix a
été orienté par le coût, la simplicité, et
l'innocuité, plus que par des avantages d'efficacité. Chaque laboratoire
a ses préférences pour les stratégies d'activation et l'on
peut dire que l'activation n'est pas le principal problème en synthèse
peptidique.
Le support de synthèse
Elément crucial, le support de synthèse est un polymère
synthétique qui doit présenter une bonne solvatation dans les
solvants organiques employés au cours du cycle d'élongation (DMF,
pipéridine/DMF), sans être solubilisée. La résine
doit gonfler et être bien perméable pour exposer tous les sites
aux réactifs de synthèse. Les supports polystyrène (PS)
utilisés jusque dans les années 80 (résines de Merrifield)
se tassent dans les solvants polaires (DMF et enfouissent le peptide, et à
l'inverse gonflent dans les solvants apolaires, condition où le peptide
polaire se replie en pelote et réagit difficilement. Le tassement bouche
les colonnes de synthèse et fait apparaître de fortes pressions
dans les appareils à flux continu. Plusieurs évolutions ont grandement
amélioré la situation: Enrobage de gains de silice comme support
mécanique (résines K), greffage de bras porteurs polaires comme
le polyéthylène glycol (résines PEG-PS) ou changement de
polymère pour des polymères--de type polyacryliques et copolimères
polyacryliques /ß Alanine (résines Expansine), polyacrylamide/polystyrène,
polyacrylamide/polyéthylène glycol. Nous utilisons en routine
des résines de type PEG-PS, K et Expansine pour les synthèses
en flux continu et des résines Expansine, PS et PEG-PS pour les synthèses
en "batch".
Le maillon
Le clivage du maillon permet de récupérer le peptide libre
en fin de synthèse. En stratégie Fmoc, le maillon est clivé
par le TFA, en même temps que les chaînes latérales. Selon
la nature de la liaison du premier acide aminé au maillon on obtiendra
soit un peptide au COOH libre (liaison ester) soit un peptide-amide (liaison
amide). La mise au point d'un bon maillon est délicate, à cause
de nombreuses réactions secondaires.(racémisation, cyclisations,
alkylations). Selon la nature de l'acide aminé C terminal, le peptidiste
est amerié à utiliser des maillons différents pour éviter
ces problèmes. Citons enfin l'existence de maillons hyperlabiles qui
permettent de récupérer les peptides sans déprotection
des chaînes latérales. Ces peptides protégés pourront
être couplés entre eux, ce qui permet d'accéder à
des peptides de tailles très importantes. Les catalogues des fournisseurs
spécialisés dans la synthèse peptidique offrent un grand
choix de résines dérivées par des maillons et des acides
aminés protégés adaptés aux diverses stratégies
de synthèse et clivage. Parmi les maillons les plus employés ,en
synthèse Fmoc, citons le maillon MBHA-Rink- amide, les maillons HMBA,
HMPA, HMPB.
Protections latérales:
Les protections standard des chaînes latérales en synthèse
Fmoc sont stables en milieu basique et clivables par l'acide trifluoroacétique.
Les protections standard en synthèse Boc doivent résister au TFA
50% et sont clivées par HF liquide ou TFMSA, sauf Acm, clivé par
l'iode/méthanol et Tos, clivé par HOBT 1 M. Le tableau suivant
liste les protections utilisées classiquement. On est amené à
utiliser des schémas de protections différents, qui permettent
des déprotections sélectives, par exemple pour la formation de
ponts dissulfure ou la phosphorylation.
Déprotection-clivage
Cette opération est possible en une seule étape en chimie
Fmoc: Le maillon employé entre la résine et le peptide est lui
aussi labile dans le TFÀ. En chimie Boc, plusieurs étapes sont
nécessaires. Lors du clivage, les groupements protecteurs enlevés
forment des carbocations très réactifs qu'il faut piéger
par l'adjonction de scavengers (phénol, thiols, silanes, eau) afin des
les empêcher de se fixer sur des sites sensibles du peptide. C'est notamment
le cas avec le Pmc et le Pbf qui ont tendance à attaquer le tryptophane,
s'il n'est pas protégé, et le tBu qui peut alkyler la tyrosine.
Les thiols sont employés pour empêcher l'oxydation de la méthionine.
Après avoir incubé le peptide-résine dans la mixture de
déprotection, la résine est enlevée par filtration, le
"jus" de protection contient le peptide,les scavengers, l'agent de
clivage, les protections piégées. Il faut alors procéder
à la séparation du peptide, soit par précipitation à
l'éther et lavages, soit par extractions liquide/liquide puis Iyophilisation.
On obtient ainsi le peptide brut.
A suivre...
Nous avons fait un rapide tour d'horizon sur les principes de la synthèse
peptidique en phase solide: stratégies, supports, réactifs de
synthèse. Nous avons décrit brièvement diverses étapes
menant à l'obtention du peptide brut. Selon l'usage envisagé,
le brut peut être directement employé, ou devra être purifié
par chromatographie. Nous développerons ces points dans une deuxième
partie. Nous aborderons en particulier les contrôles analytiques de qualité
des peptides.
Nous décrirons ensuite l'instrumentation de synthèse adaptée
aux divers développements particuliers: synthèse en flux continu,
en batch, synthèse multiple, synthèse combinatoire, synthèse
spot.
Philippe CLAIR, Responsable du Laboratoire
Caroline ROUSSEL, Directeur du Marketing
synt:em