Mars 1997 - n°16

Analyse plaquettaire: un développement majeur de la cytométrie en flux

L'analyse par cytométrie en flux est actuellement répandue dans de nombreux laboratoires de biologie spécialisés. L'hétérogénéité des appareils disponibles sur le marché et des réactifs proposés par les fournisseurs, l'absence de consensus pour la calibration des appareils et donc l'absence de standardisation dans ce domaine rendent difficiles les comparaisons intra et inter laboratoires.

Par conséquent, l'exploitation usuelle des unités de fluorescence s'est limitée jusqu'à ces dernières années à la détermination d'un pourcentage de cellules "positives" ou négatives" au sein d'une population.

Le nouveau concept technologique de quantification de molécules de surface permet d'apporter une solution à ce problème de standardisation et de répondre à 3domaines en hématologie clinique:

- Exploration des plaquettes

- Etude des hémopathies malignes

- Analyse des cellules sanguines

Les plaquettes jouent un rôle clé dans le maintien de la balance hémostatique. Différentes glycoprotéines, présentes à leur surface ou contenues dans leurs granules, sont impliquées dans les multiples fonctions plaquettaires. Lors des phénomènes d'activation, la plaquette subit des modifications morphologiques ainsi que des remaniements de l'expression de certaines glycoprotéines (Gp). La plupart d'entre elles sont des ligands impliqués dans les phénomènes d'adhésion (GpIb: récepteur du facteur vWF) et/ou d'agrégation (GpIIb/IIIa récepteur du fibrinogène), d'autres sont considérées comme des marqueurs d'activation (GMP140 ou P-Sélectine).

Des anomalies quantitatives ou qualitatives de ces glycoprotéines sont responsables aussi bien de syndromes hémorragiques que de manifestations thrombotiques.

Peu de tests aujourd'hui permettent d'explorer, en routine, les fonctions plaquettaires.

* La technique d'agrégométrie est le seul test fonctionnel spécifique de la plaquette, utile dans l'étude des syndromes hémorragiques. Cependant, cette technique reste semi-quantitative et sujette à des problèmes de standardisation, ce qui restreint son utilisation y compris dans les laboratoires spécialisés.

* L'étude de l'activation plaquettaire in vivo repose sur l'analyse de substances sécrétées par les plaquettes activées. Le facteur 4plaquettaire, la ß-thromboglobuline et les métabolites du TXA2 sont dosés par des méthodes radio-immunologiques et ELISA dans le sang ou les urines. Ces tests, bien qu'utiles, posent de nombreuses difficultés liées au mode de prélèvement et à la courte demi-vie des métabolites.

De façon générale, ces différentes approches sont considérées comme peu sensibles et leur valeur clinique reste mal établie.

* Le développement de la cytométrie en flux et l'apparition simultanée d'anticorps monoclonaux spécifiques de chaque glycoprotéine ont permis de réaliser des progrès considérables dans le domaine de l'analyse plaquettaire. De par ses propriétés intrinsèques, la cytométrie en flux est particulièrement adaptée à l'étude des Gp de la membrane plaquettaire, aussi bien dans le cadre des syndromes hémorragiques que des états prothrombotiques. En effet, l'analyse multiparamétrique offre l'avantage de séparer les populations cellulaires sanguines selon leurs caractères morphologiques et d'analyser simultanément plusieurs fluorochromes. L'analyse sur sang total est alors réalisable, de même que l'utilisation d'un contremarqueur isolant les cellules d'intérêt.

De plus, la rapidité de l'analyse et la possibilité de travailler sur des volumes sanguins très faibles sont des critères à prendre en considération, aussi bien par les biologistes que par les cliniciens.

En transformant les unités arbitraires, exprimées en intensité de fluorescence, en unités absolues, correspondant à un nombre de Gp par cellule, la quantimétrie permet de standardiser l'étude des plaquettes.

Un calibrant adapté à l'analyse des Gp plaquettaires, issu de la méthode QIFI®, a récemment été développé. Composé de billes de latex recouvertes de quantités parfaitement définies d'anticorps monoclonaux (AcMx), ce calibrant est traité parallèlement aux échantillons plaquettaires. Les billes de calibration sont représentatives de cellules recouvertes par les AcMx spécifiques. Elles sont incluses dans les protocoles d'immunofluorescence au moment de l'incubation avec le réactif secondaire conjugué. Elles permettent la construction d'une droite d'étalonnage reliant la moyenne de fluorescence à un nombre d'AcMx fixés par cellule. Lorsque les AcMx sont utilisés dans des conditions saturantes, le nombre d'AcMx fixés correspond au nombre d'antigènes (Ag). Le calibrant développé pour l'analyse plaquettaire est constitué de billes de latex de petite taille, capables de mesurer de 500à 60000molécules de Gp par plaquette.

L'étude pharmacologique des médicaments anti-plaquettaires constitue également un domaine particulièrement prometteur pour la quantimétrie des Gp plaquettaires.

Les médicaments anti-plaquettaires actuellement prescrits sont réservés au traitement ou à la prévention des syndromes thrombotiques. Parmi les plus utilisés, on peut citer: l'aspirine, la ticlopidine (Ticlid®), le dipyridamol (Persantine®), certains anti-inflammatoires non stéroïdiens (Cébutid®), la prostacycline (Epoprostanol®) et analogues (Iloprost®). Ces produits interfèrent avec les voies enzymatiques de transduction des signaux d'activation. Des études pharmacologiques ont été largement rapportées en agrégométrie. Les études en cytométrie en flux sont plus restreintes, elles permettraient d'évaluer l'efficacité réelle de ces traitements.

Depuis peu, de nouvelles thérapeutiques anti-thrombotiques ont été étudiées. Elles consistent à bloquer la GpIIb/Illa et son interaction avec le fibrinogène grâce à des anticorps monoclonaux (7E3, Reopro®) ou des peptides synthétiques (lamifiban). La fixation de ces produits sur leur cible plaquettaire peut être évaluée en cytométrie quantitative, technique qui s'impose dans la surveillance de ces nouveaux traitements.

Les désordres plaquettaires représentent un vaste domaine d'investigation pour la cytométrie en flux. De plus la présence d'un calibrant interne offre la possibilité de standardiser l'analyse plaquettaire par expression des résultats en nombre absolu de sites antigéniques par plaquette. Ce nouveau paramètre biologique assure la qualité du résultat en terme de reproductibilité aussi bien au sein d'un même laboratoire qu'entre différents sites.

L'application de protocoles d'immunomarquage standardisés en sang total permet désormais de définir des valeurs quantitatives normales de Gp plaquettaires.

Ce phénotype quantitatif devrait servir de base à l'étude des pathologies plaquettaires aussi bien hémorragiques que thrombotiques. De plus, il peut être proposé pour le contrôle de qualité des concentrés plaquettaires dans les centres de transfusion sanguine et dans le suivi thérapeutique des nouveaux médicaments anti-plaquettaires.

Michel CANTON
BIOCYTEX