Mars 1998 - n°26
A propos de la réglementation de l'expérimentation animale en France
Finalité de la réglementation
La réglementation de l'expérimentation animale répond
en fait à une double finalité dont les aspects peuvent sembler
"a priori" contradictoires.
La première satisfait aux impératifs d'une législation
stricte de la délivrance des Autorisations de Mise sur le Marché
(A.M.M.) des médicaments, tant pour la santé de l'homme que pour
celle des animaux domestiques. La notion de sécurité lors de la
délivrance de produits chimiques et thérapeutiques impose l'utilisation
rationnelle et contrôlée de l'animal et/ou de ses constituants
biologiques pour les tests de tolérance et de toxicité -aigüe
ou chronique- ou de mutagenèse
La seconde finalité, sans aucun doute la plus évidente, est la
protection de l'animal d'expérience dans son environnement imposé,
éventuellement stressant, et vis-à-vis des conditions expérimentales
auquel il est soumis, dont la pénibilité demeure fonction des
protocoles.
Le recours à l'expérimentation animale en recherche
médicale évolue rapidement depuis quelques années. La sensibilité
de l'opinion publique à l'égard des animaux, et particulièrement
lorsqu'il s'agit d'utilisations expérimentales, s'est considérablement
accrue.
Le législateur a donc imposé un cadre réglementaire visant
à améliorer d'une part les conditions des expérimentations
dans un objectif de protection animale et, d'autre part, les rapports entre
les chercheurs et le public.
Une grande partie de la recherche ayant recours à l'animal se fait dans
le cadre d'établissements publics (INSERM, CNRS, INRA, CEA); pour aider
à l'application de la réglementation les ministères de
tutelle ont énoncé des règles spécifiques à
leurs établissements. Suite à une mission de réflexion
confiée à M.TAMBOURIN, HubertCURIEN, alors Ministre chargé
de la Recherche, a donné les grandes lignes de conduite de la politique
en matière d'expérimentation animale: notamment des bureaux de
l'expérimentation animale ont été créés en
1992, en vue d'une meilleure coordination des actions de mise en conformité
à mener.
Les chercheurs, des domaines publics et privés, confrontés à
des problèmes d'ordre éthique, mais également aux progrès
des techniques ainsi qu'à des contraintes réglementaires de plus
en plus sévères, actualisent et modifient leurs pratiques. On
assiste ainsi à une réduction du nombre des animaux utilisés,
au développement de méthodes alternatives et à la mise
en place de comités d'éthique dans les établissements de
recherche.
Réglementation de l'expérimentation
animale
En France, la protection de l'animal remonte, au plan réglementaire,
à la Loi Grammont du 2juillet1850 et concernait les animaux domestiques
soumis publiquement à de mauvais traitements.
La nécessité de lois spécifiques s'est traduite, tout d'abord,
par la promulgation d'un Décret du 9février1968. Par la suite,
plusieurs modifications ont été apportées à cette
réglementation.
Le Décret 87/848 du 19novembre1987 a été rapidement suivi
de trois Arrêtés d'Application du Ministère de l'Agriculture
en date du 19avril1988, tous textes légaux pris en conformité
avec les lois européennes et, notamment, la convention n° 123 du
20 septembre 1985, et la directive 86/609/CEE du 24 novembre 1986.
Pour l'essentiel, la loi impose à l'expérimentateur une autorisation
nominative d'expérimenter ou une pratique de l'expérimentation
sous la responsabilité d'une personne elle-même autorisée;
cette autorisation, dont les conditions d'attribution sont strictement définies,
est valable dix ans.
Par ailleurs, les locaux dans lesquels les expériences ont lieu ou dans
lesquels les animaux sont hébergés doivent être agréés.
Cet agrément est accordé pour cinq années.
Il y a donc liaison entre les deux obligations; ainsi, l'autorisation d'expérimenter
peut-elle être remise en cause pour une personne qui irait exercer dans
des structures non agréées, ou dont les protocoles se révèlent
trop éloignés de ceux déclarés à l'origine
et/ou pratiqués sur des espèces animales non indiquées
dans les demandes d'autorisation et d'agrément initiales.
Certains éléments
essentiels, définis par les Arrêtés, méritent d'être
soulignés:
- le cadre des expériences: cette réglementation a pour finalité
essentielle la protection des animaux vertébrés vivants et leur
utilisation "a minima".
- les conditions de l'expérience: recours à des analgésiques
ou anesthésiques, euthanasie.
- les conditions de logement des animaux : les locaux doivent pouvoir être
facilement désinfectés, convenablement ventilés, chauffés,
éclairés et répondre ainsi aux nécessités
comportementales des espèces hébergées. Les espèces
différentes doivent être séparées; les dimensions
des cages doivent permettre aux animaux de s'allonger, se retourner ou s'étirer
selon les lignes directrices annexées à la directive européenne
de 1986.
Dans la pratique, les dimensions retenues pour les cages ou les enclos extérieurs
répondent soit aux normes américaines définies par "Guide
for the care and use of laboratory animals", soit aux normes de la directive
européenne ci-dessus évoquée.
- les conditions de fourniture des animaux : les animaux doivent provenir d'élevages
spécialisés ou de fournisseurs déclarés et contrôlés
par les Services Vétérinaires; et ce pour un certain nombre d'espèces
animales: souris, rats, cobayes, hamsters dorés et chinois, lapins, cailles,
chiens, chats, primates, mais aussi trois espèces de batraciens: le xénope,
le pleurodele et l'axolotl La cession d'un animal par un particulier, dans l'intérêt
de la recherche scientifique, ne peut être faite qu'à titre gratuit.
Tous les carnivores domestiques et les primates doivent être identifiés
(tatoués).
- des registres spéciaux sont à tenir dans les établissements
d'expérimentation: entrées et sorties des animaux; état
sanitaire. La conception de ces registres s'inspire de ceux recommandés
par le Ministère de l'Environnement concernant les espèces animales
protégées. Pour les petits rongeurs, des données par lots
sont admises.
- les personnels doivent être formés à l'expérimentation
animale ainsi qu'aux soins à leur prodiguer; nous pouvons identifier
en France trois niveaux de formation: la personne autorisée, le technicien
manipulateur, le soigneur. L'autorisation d'expérimenter est obligatoire
pour toutes les personnes responsables du choix des axes de recherche, des protocoles,
des espèces utilisées.
Enfin, l'originalité de la législation française est la
création d'une Commission Nationale de l'Expérimentation Animale.
Cette Commission créée au titre du décret de 1987 a été
mise en place par un Arrêté du 23 juin 1989. Elle est rattachée
au Ministère en charge de la Recherche et de la Technologie Elle a pour
rôle de définir une politique nationale de l'expérimentation
animale et est habilitée à donner son avis sur:
- tout projet de modification de la réglementation,
- la mise en place de méthodes dites alternatives, en vue de limiter
le nombre d'animaux utilisés,
- les méthodes susceptibles d'améliorer les techniques d'élevage,
les conditions de transport et d'hébergement des animaux,
- la formation des personnels, en fonction de leur niveau de responsabilité
vis-à-vis de l'animal. Elle donne notamment un avis sur les programmes
de formation existants, lesquels sont soumis ultérieurement à
l'agrément du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche.
Cette Commission doit être assistée d'un Comité technique
de concertation entre organismes producteurs et organismes expérimentateurs.
Conclusion
Il y a nécessité de tenir compte des impératifs d'exigence
de sécurité des êtres vivants en général,
vis-à-vis des produits chimiques et médicamenteux auxquels ils
sont exposés.
Dans l'état actuel des connaissances, ceux-ci font toujours appel aux
tests pratiqués sur animaux vivants ou à leurs produits: certaines
dérives trop hâtives vers des techniques dites de remplacement,
insuffisamment validées, peuvent se révéler néfastes.
Ainsi le législateur se doit-il de concilier sous forme réglementaire
les exigences en matière de sécurité et les aspirations
de la société civile en matière d'éthique et de
protection animale.
En effet, l'opinion publique dans son ensemble souhaite voir se restreindre
progressivement l'utilisation de l'animal à des fins expérimentales,
et que, dans tous les cas, les protocoles soient les moins traumatisants possibles
et pratiqués dans des conditions d'environnement les plus satisfaisantes
qui soient pour l'animal.
Henri MAURIN-BLANCHET
Bureau de l'Expérimentation Animale de l'INSERM