Octobre 1999 - n°41

LA PROTECTION PAR BREVET DES PRODUITS DE THERAPIES GENIQUES ET CELLULAIRES : DES PROBLEMES SPECIFIQUES QUI SE CUMULENT AVEC LES CRITERES DE BREVETABILITE QUE DOIT REMPLIR TOUTE INVENTION.

"La cellule est au coeur des biotechnologie" (C. Tastemain, Biofutur No.184, Décembre 1998, page 1).

En effet, l'identification des substances qu'elle produit et la compréhension des phénomènes normaux et anormaux qui l'anime, font de la cellule une source formidable d'inventions qui doivent trouver leur place dans le système de protection industrielle qu'est le brevet d'invention.

Rappelons tout d'abord que le brevet d'invention ne confère pas le droit d'exploiter une invention, mais permet d'interdire à quiconque de reproduire à des fins commerciales l'invention brevetée. En effet, il existe des dispositifs législatifs qui réglementent l'expérimentation et la commercialisation de substances ou de matières biologiques qui peuvent être ou non brevetées ou dont le brevet est tombé dans le domaine public.

Ainsi, en matière de médicaments, la loi No. 96-452 du 28 Mai 1996 définit le cadre sanitaire des thérapies géniques et cellulaires, et donne aux produits de thérapies géniques et cellulaires, dès lors qu'ils sont présentés comme possédant des propriétés thérapeutiques, le statut de médicaments. Cette disposition n'est pas surprenante puisque l'article L.511 du Code de la Santé Public donne la définition suivante d'un médicament : "toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard de maladies humaines ou animales" ainsi que "toute substance ou composition pouvant être administrée à l'homme ou à l'animal en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques chez l'homme ou l'animal".

On peut citer aussi les lois No. 94-653 et 94-654 du 29 Juillet 1994, dites lois de bioéthique, relatives respectivement au respect du corps humain et au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. Et encore, la loi No. 92-654 du 13 Juillet 1992, relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés, qui donne en son article 1, la définition suivante d'organisme : "toute entité biologique, non cellulaire, cellulaire, ou multicellulaire, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique".

L'existence de cet arsenal juridique démontre, s'il en était besoin, que l'origine humaine des produits de thérapies géniques et cellulaires confère à ces produits un statut juridique particulier. La protection par brevet de ces produits n'échappe pas à cette contrainte.

Ainsi, au terme de l'article L. 611-10 du Code de la Propriété Industrielle (CPI), sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle . Mais, le droit des brevets a, bien avant l'avènement du génie génétique, prévu des dispositions particulières pour les inventions portant sur du matériel biologique ou s'intéressant au traitement des pathologies humaines. Aujourd'hui, le formidable travail de recherche et de développement réalisé dans le domaine de la biologie, notamment de la biologie cellulaire, a éveillé des craintes nouvelles touchant tant à l'utilisation de matériel biologique qu'à la transformation de ce matériel vivant, avec lesquelles le droit des brevets doit composer.

La suffisance de description des brevets portant sur des micro-orgasnismes et des lignées de cellules.

La brevetabilité des micro-organismes, des cellules et des compositions les contenant est à présent largement admise, dès lors que le micro-organisme ou les cellules présentent le caractère biologiquement pur, qui différencie la matière biologique isolée de son environnement naturel de la même matière biologique préexistant à l'état naturel. Ainsi, on peut citer à titre d'exemple le brevet européen de Biocyte Corp No. 343 247, ayant pour objet une composition de cellules souches hématopoïétiques humaines néonatales ou feotales dérivées du sang et un cryoconservateur.

Il convient aussi de rappeler que l'article L. 612. 5 du Code de la Propriété industrielle (CPI) établit que l'invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter. Ce critère de suffisance de description s'accompagne, dans le cas où l'invention concerne l'utilisation d'un micro-organsime auquel le public n'a pas accès, d'un dépôt d'une culture du microorganisme auprès d'un organisme habilité. Des disposition similaires existent en droit européen des brevets. En France, l'organisme habilité est la Collection Nationale de Culture de Microorganismes de l'Institut Pasteur. Les conditions générales, relatives au dépôt de micro-organismes en cas de demande de brevet d'invention, précise que par micro-organismes, on entend notamment les bactéries, champignons, levures, algues, virus et cultures cellulaires. Ainsi par exemple, le dépôt des demandes de brevet de l'Institut Pasteur No. 2 596 063, No. 2 593 189, 2 593 190 portant sur le virus LAV-II et ses protéines majeures a été accompagné du dépôt d'échantillon du virus à la CNCM. De même, la demande de brevet internationale de Neurotech PCT No. WO9611278 portant sur des lignées immortalisées de cellules endothéliales et leurs applications thérapeutiques a été accompagné du dépôt d'échantillon des lignées à la CNCM. La suffisance de description constitue un élément décisif de la philosophie du système des brevets, qui est basé sur l'octroi d'un monopole en contrepartie d'une divulgation complète de l'invention, ainsi lors de l'échéance du monopole chacun peut exploiter l'invention librement. Mais, gardant en mémoire que le matériel biologique devient accessible au tiers lors de la publication de la demande de brevet, à savoir 18 mois après son dépôt, il est important, lors de l'établissement d'une stratégie de protection dans ce domaine, de peser le risque que peut constituer la diffusion d'une matière biologique qui est auto-reproductible.

Le défaut d'application industrielle des méthodes de traitement thérapeutique du corps humain.

L'article L. 611.16 CPI, exclut du champ de la brevetabilité les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain, qui ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d'application industrielle Mais cet article L. 611.16 précise aussitôt que cette exclusion ne s'applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions pour la mise en oeuvre d'une de ces méthodes. Des dispositions similaires existent en droit européen des brevets (Article 52.4 de la Convention sur le Brevet Européen), mais pas en droit américain.

Les médicaments et notamment les produits de thérapies cellulaires sont donc brevetables. De mêmes les procédés pour préparer ces produits de thérapies cellulaires sont brevetables. On peut citer à cet égard les brevets d'IDM : brevet US No. 5,662,899 concernant des macrophaqes avec une cytotoxicité accrue ou le brevet No. 5,804,442 sur un procédé de préparation de macrophages activés. Mais, on perçoit les difficultés que peut entraîner l'exclusion des méthodes de traitement thérapeutique pour l'inventeur qui souhaitent protéger une méthode de thérapie génique ou cellulaire basée non pas, ou pas uniquement, sur les caractéristiques du produit mis en œuvre, mais plus largement sur une façon de procéder pour obtenir l'effet technique que constitue la guérison ou la prévention d'une maladie.

Une telle exclusion n'existe pas en droit américain des brevets et l'on peut citer à titre d'exemple le brevet US No. 5,399,346 au nom du Département de la Santé des Etats Unis d'Amérique dont la revendication 1 se lit comme suit : "Un procédé pour délivrer à un individu une protéine thérapeutique comprenant l'introduction de cellules humaines dans ledit individu, lesdites cellules humaines ayant été traitées in vitro pour y insérer un segment d'ADN codant une protéine thérapeutique, les dites cellules humaine exprimant in vivo dans ledit individu une quantité thérapeutiquement efficace de la protéine thérapeutique".

Les exemples les plus nombreux en cette matière concernent le problème de la brevetabilité d'une nouvelle utilisation thérapeutique d'une substance connue pour une première utilisation thérapeutique. Ce type d'invention est maintenant brevetable en droit français ou européen sous réserve d'adopter une formulation particulière des revendications permettant d'échapper à l'exclusion des méthodes de traitement thérapeutique. En effet, si la revendication suivante est acceptable "Utilisation d'une substance X pour l'obtention d'un médicament destiné à une utilisation thérapeutique Y", la revendication "Utilisation d'une substance X pour le traitement de la maladie Y" est inacceptable, car considérée comme portant sur une méthode de traitement.

Le but poursuivi par ces dispositions est d'éviter que le médecin ou le vétérinaire ne soient entravés dans leur activité, mais elles induisent des restrictions handicapantes pour les inventeurs, notamment du fait des distorsions entre la protection de l'invention aux USA et en Europe.

La protection par brevet des produits de thérapies géniques ou cellulaires face aux contraintes éthiques.

Le système des brevets n'a pas été épargné par les débats sur les risques écologiques et éthiques que présentent les produits et procédés issus des biotechnologies et plus particulièrement du génie génétique. Ainsi, les dispositions, tant de la Loi française que de la Convention sur le Brevet Européen, relatives à l'exclusion du champ de la brevetabilité des inventions dont la mise en œuvre ou l'exploitation serait contraire à l'ordre publlic ou aux bonnes mœurs, ont pris une dimension nouvelle face aux dépôt de demandes de brevet sur des gènes humains, des micro-organsimes et cellules génétiquement modifiés, des animaux et plantes transgéniques.

L'intrusion de ce débat éthique dans le système des brevets est compréhensible, car il ne faut pas oublier que le titulaire du brevet, pour faire respecter son monopole, peut recourir à l'assistance de la force publique lors d'une opération de saisie contrefaçon et demandera au juge l'arrêt de la contrefaçon et la réparation du préjudice.

L'Office Européen des Brevets a développé une jurisprudence permettant de répondre aux questions éthiques et de brevetabilité soulevées par ces inventions (décisions Relaxine, Souris oncogène, PGS), et la récente directive du parlement européen relative à la protection des inventions biotechnologiques a repris et complété cette jurisprudence. De nombreux aspects demeurent incertains voire polémiques, mais cette directive communautaire offre l'avantage de poser des définitions et les jalons pour l'établissement de règles satisfaisantes, à la fois pour les inventeurs et les firmes qui les emploient et les groupes de défense des animaux et de l'environnement. Ainsi, l'article 2 de la directive donne une définition de la matière biologique et d'un procédé micro-biologique ; l'article 3 indique qu'une matière isolée de son environnement naturel ou produite à l'aide d'un procédé technique peut être l'objet d'une invention, même lorsqu'elle préexistait à l'état naturel ; l'article 5 stipule qu'un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer une invention brevetable, même si la structure de cet élément est identique à celle d'un élément naturel ; enfin, l'article 6 cite à titre non exhaustif des inventions dont l'exploitation serait contraire à l'ordre public ou aux bonne mœurs,: les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humain, les utilisations d'embryons à des fins industrielles ou commerciales, les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal.

Les inventions du domaine de la thérapie génique et cellulaire trouve donc petit à petit leur place dans un système de protection qui a été conçu à une époque où personne n'imaginait que l'homme parviendrait à comprendre, reproduire et asservir des mécanismes de la vie.

En définitive, le challenge principal, pour valablement protéger par brevet une invention du domaine de la thérapie génique et cellulaire, est de démontrer qu'elle est nouvelle et présente une activité inventive. Or ce domaine fait intervenir une quantité d'élements, gènes, vecteurs, produits de transfection , etc... objets de nombreux brevets ou demandes de brevet, avec lesquels l'inventeur doit composer pour démontrer la nouveauté et l'activité inventive de son invention, mais aussi pour assurer sa liberté d'exploitation.

Marc MAJEROWICZ

Conseil en Propriété Industrielle

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