Juin 2000 - n°49

La F.F.F. - Technique de Fractionnement par Couplage Flux ­ Force

M. Michel MARTIN
Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles
Laboratoire de Physique et Mécanique des Milieux Hétérogènes
10, rue Vauquelin
75231 Paris Cedex 05

E-mail : Michel.Martin@espci.fr
Tel : 01.40.79.47.07
Fax : 01.40.79.44.53

La technique de Fractionnement par Couplage Flux-Force (FFF, en anglais " Field-Flow Fractionation ") s'apparente à une méthode de chromatographie à une phase (liquide).

Elle permet de séparer et de caractériser des polymères en solution, tout comme des particules colloïdales en suspension, en fonction notamment de leur taille et de leur masse molaire.

De la chromatographie à la technique F.F.F.

La chromatographie, qui est basée sur une distribution différentielle des constituants entre une phase stationnaire et une phase mobile, est certainement la plus performante des méthodes de séparation des espèces de petite et moyenne masse moléculaire.

Toutefois, elle s'avère plus difficilement applicable aux composés supramoléculaires, en particulier à cause de l'adsorption quasi-irréversible de ces espèces sur les supports classiques.

C'est en cherchant à s'affranchir de la présence de la grande aire interfaciale liquide-solide rencontrée dans les colonnes de chromatographie en phase liquide que GIDDINGS, à l'Université d'Utah ( Salk Lake City, USA) eut l'idée, il y a plus de 30 ans, de proposer une nouvelle méthode de séparation de macromolécules, de colloïdes et de particules : la technique de Fractionnement par Couplage Flux ­ Force (F.F.F.).

Bien que cette méthode puisse être considérée comme une méthode de chromatographie à une phase, le terme F.F.F. recouvre toute une famille de techniques de séparation, régies par des mécanismes de rétention différents (mode brownien, stérique ou encore inertiel).

Son principe général repose - comme celui de la chromatographie en phase liquide - sur l'injection, en tête du séparateur, d'une petite quantité (quelques µl ou dizaines de µl) du mélange à séparer et/ou caractériser.

Les constituants de ce mélange sont entraînés par un écoulement laminaire de liquide vecteur vers la sortie du séparateur où ils sont repérés au moyen d'un détecteur approprié, généralement un détecteur de concentration (photomètre UV ou réfractomètre différentiel).

Le canal de séparation a la forme d'un ruban très aplati avec une longueur typique de 25 à 100 cm, une largeur de 1 à 2 cm et une épaisseur de l'ordre de 0,1 à 0,4 mm.

Dans toutes les techniques de FFF, un champ de force est appliqué perpendiculairement à la direction de l'écoulement, selon l'épaisseur du canal. Il est appliqué sur toute la longueur du canal et pendant toute la durée du séjour des constituants dans celui-ci.

Ce champ de force induit un transport des supramolécules, en fonction de leurs caractéristiques intrinsèques, vers une des parois..., soit une distribution non uniforme de leur concentration dans l'épaisseur du canal qui, couplée à la non-uniformité du profil de vitesses du liquide vecteur (plus rapide au centre du canal qu'au voisinage de la paroi), confère à chaque constituant une vitesse de migration qui lui est propre.

Deux espèces supramoléculaires différentes seront généralement distribuées différemment ; d'où, un temps de séjour caractéristique et, par conséquent, une séparation des constituants en fin de canal...

Autant de sous-techniques que de types de champs...

Le principe décrit ci-dessus est très général. En pratique, on dénombre autant de sous-techniques que de types de champs de force pouvant être mis en œuvre et donc, autant d'instruments différents. Ainsi, les simples forces gravitationnelles (combinées aux forces hydrodynamiques de portance) ou un champ électrique sont respectivement appliqués dans les méthodes de FFF gravitationnelle et FFF électrique.

Trois autres types de champs comptent également, aujourd'hui, parmi les plus étudiés et les plus utilisés :

la F.F.F. thermique

Dans la technique de FFF thermique, le champ de force résulte de la mise en œuvre d'un gradient de température entre les deux parois du canal.

Le champ appliqué est obtenu en chauffant la plaque supérieure au moyen de résistances électriques et en refroidissant la plaque inférieure par une circulation d'eau.

Une différence de température de quelques dizaines de degrés entre les deux plaques permet ainsi la création d'un gradient thermique suffisamment intense (plusieurs milliers de degrés par cm) pour permettre la séparation de polymères en solution, selon leur masse moléculaire, et de copolymères, en fonction de leur composition et de leur conformation.

La résolution est comparable, voire supérieure, à celle de la chromatographie par perméation de gel et, du fait de son cisaillement purement tangentiel dans le canal, la FFF thermique offre l'avantage de permettre l'analyse des macromolécules de très haute masse moléculaire (jusqu'à plus de 30 000 000 daltons) sans le risque de dégradation mécanique rencontré dans les colonnes remplies de chromatographie.

la F.F.F. par sédimentation centrifuge

Dans cette méthode, le canal en forme de ruban est logé à l'intérieur d'une centrifugeuse permettant d'atteindre une accélération 1000 fois supérieure à celle de la gravité ; d'où, la création d'un champ de force centrifuge appliqué perpendiculairement à l'écoulement.

Des joints rotatifs permettent l'alimentation en liquide vecteur et l'introduction de l'échantillon ainsi que l'évacuation de l'effluent vers un détecteur statique.

La FFF par sédimentation centrifuge est particulièrement bien adaptée à la séparation et à la caractérisation de supramolécules colloïdales submicroniques (de 0,05 à 1 micron) et microniques.

La sélectivité de cette méthode est très élevée, du fait que le temps de séjour est proportionnel au cube de la taille.

Il est ainsi possible d'étudier des phénomènes d'agrégation et de croissance, de déterminer, par exemple, la quantité de polymère adsorbée sur une particule solide et, même, d'accéder à des constantes d'équilibre de réactions de complexation se produisant à la surface des particules.

A noter que cette technique permet, en outre, la caractérisation de la distribution des gouttelettes d'émulsions et de contrôler leur stabilité.

la F.F.F. par filtration

Cette méthode s'apparente instrumentalement à la filtration tangentielle puisque la paroi d'accumulation est constituée par une membrane semi-perméable. Toutefois, on s'intéresse ici, non pas à la séparation entre le perméat et le rétentat, mais à la séparation entre elles des différentes espèces du rétentat.

L'écoulement transversal de liquide vecteur au travers la membrane semi-perméable joue alors le rôle d'un champ de force en induisant une vitesse transversale aux supramolécules. Plus concrètement, les molécules de l'échantillon, sous le champ de l'écoulement de liquide vecteur, sont entraînées vers la paroi aval et la membrane semi-perméable qui la recouvre maintient les constituants supramoléculaires dans le canal...

Parmi les différentes méthodes de FFF, cette technique offre le plus large spectre d'applications, depuis des macromolécules de masses moléculaires relativement faibles (quelques milliers de daltons) en solution jusqu'à des particules submicroniques et microniques en suspension.

Elle permet, en particulier, la séparation rapide de supramolécules biologiques telles que les protéines, les acides nucléiques et leurs complexes, les virus, organites cellulaires et cellules...

En conclusion...

La technique de Fractionnement par Couplage Flux-Force, par ses différentes sous-techniques, est applicable à un vaste ensemble de molécules et particules. Elle possède l'avantage d'être aisément ajustable en fonction de l'échantillon à analyser (choix du type et de l'intensité du champ appliqué)... et permet, outre la séparation à haute résolution de composés selon leur taille et leur masse, un fractionnement en fonction de la densité, de la composition chimique ou d'autres propriétés propres aux macromolécules et particules.

La commercialisation relativement récente de divers instruments de FFF devrait permettre d'étendre la diffusion de cette technique, notamment dans le milieu industriel.

Mais, en dépit de travaux importants de développement, réalisés en particulier ces 15 dernières années, cette technique de séparation semble encore loin d'avoir atteint son régime de croisière.

" L'optimisation des performances de la technique FFF passera irrévocablement par l'augmentation de son efficacité grâce à une diminution de l'épaisseur des canaux utilisés (miniaturisation du système) et son évolution vers un concept électro-osmotique (différence de courant électrique entre l'entrée et la sortie de colonne, plutôt que différence de pression) ", conclut M. MARTIN. " On peut, à ce titre, imaginer que l'emploi des technologies de la micro-électronique va permettre de diminuer sensiblement les dimensions des canaux de séparation et devrait conduire à accroître d'un ou plusieurs ordres de grandeur les performances actuelles de la méthode... "

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