Février 2004 - n°85
La microscopie ionique
Institut Curie – Contact Presse - Catherine GOUPILLON
Inventée au début des années soixante par
deux chercheurs de l'Université d'Orsay, Raymond CASTAING et Georges
SLODZIAN, la microscopie ionique a connu un développement spectaculaire
notamment en physique des solides, en géologie et en métallurgie.
Elle est même devenue un outil incontournable à l'étude
des semi-conducteurs. Son utilisation en biologie est en revanche restée
relativement marginale. Il a fallu attendre une nouvelle génération
de microscope ionique avec une meilleure résolution spatiale pour que
l'observation du monde cellulaire soit désormais d'actualité.
Notons que l'Institut Curie suit de longue date les évolutions de cette
technologie. Il a su anticiper les progrès récents de cette
technique. Pour preuve : un microscope ionique de nouvelle génération,
le quatrième dans le monde, a été installé sur
le site d'Orsay en mai 2001. Cette plate-forme nationale est unique, dans
la mesure où pour la première fois en Europe, un microscope
ionique de pointe est entièrement dédié à la recherche
en biologie et à la cancérologie en particulier.
Quand les ions racontent la matière…
Le principe de base de la microscopie ionique peut se résumer comme
suit : arracher des fragments à la matière pour en établir
la composition chimique.
Une cartographie de la matière qui fait appel à des disciplines
aussi variées que l'optique électromagnétique, l'ultra-vide
ou encore la physique des phénomènes d'ionisation et la spectrométrie
de masse.
Concrètement, un faisceau d'ions primaires bombarde un échantillon.
Sous le choc, de minuscules fragments de matière sont arrachés.
La collision des ions primaires avec l'échantillon entraîne la
rupture des liaisons chimiques qui maintenaient la cohésion de la matière,
libérant des atomes et des combinaisons d'atomes neutres ou chargés
(ions). L'ensemble d'ions distincts qui s'échappe reflète la
composition de la matière à l'endroit bombardé. Il suffit
ensuite de balayer l'échantillon.
Un spectromètre de masse permet de trier et d'identifier les ions selon
leur masse et leur charge. L'intensité du signal sur l'image est proportionnelle
à la concentration de l'ion observé.
En pratique, les distributions de 5 ions de masse différente peuvent
être simultanément enregistrées. Ces ions proviennent
approximativement d'un volume de 10-18 à 10-20 litre sur une épaisseur
de quelques nanomètres, correspondant à deux ou trois couches
atomiques de l'échantillon.
Toute la précision de l'analyse dépend de la taille de la micro-sonde
qui balaye l'échantillon et de la capacité du spectromètre
à séparer les ions de masse très proche. En effet, le
bombardement de l'échantillon conduit, en raison de sa structure complexe,
à la formation de nombreux ions de masse extrêmement proches,
nécessitant une très haute résolution pour les distinguer.
Les progrès dans ce domaine ont donné le jour au microscope
ionique de nouvelle génération et ainsi ouvert la voie à
l’étude ultra-structurale de la cellule.
Un système d'imagerie de très
haute résolution
La microscopie ionique offre désormais une solution à un problème
majeur en biologie : localiser avec précision dans la cellule une molécule
étrangère, une drogue anticancéreuse par exemple.
Grâce à sa sensibilité très supérieure aux
techniques classiques, elle permet d'obtenir des images de résolution
ultrastructurale (50 nm), intermédiaires entre celles de la microscopie
confocale et celles de la microscopie électronique. Elle produit ainsi
une image de chaque point de la cellule et permet de localiser 5 éléments
chimiques simultanément. Ces informations sont complémentaires
des données dynamiques obtenues par la microscopie à fluorescence
sur cellules vivantes.
En revanche, le vide régnant à l'intérieur du microscope
ionique rend impossible l'observation de la matière vivante et nécessite
une longue préparation des échantillons. Les contraintes liées
à l’observation en microscopie ionique nécessitent en
effet de figer les structures cellulaires et les éléments constitutifs
dans l’échantillon par des cryotechniques. L’échantillon
est fixé par congélation ultra-rapide (< 1 ms) à –
100°C, puis déshydraté à cette température
(sublimation). En fonction de l’échantillon, cette étape
peut durer plusieurs semaines. Les échantillons sont ensuite inclus
dans une résine, puis découpés par ultra-microtomie.
Les coupes sont déposées sur un support métallique parfaitement
lisse pour l’analyse…
Quelles applications pour la microscopie ionique
? Gros plan sur l’Institut Curie !
Les chercheurs de l'Institut Curie utilisent la microscopie ionique dans quatre
grandes applications : la pharmacologie antitumorale, l'analyse cytogénétique
de cellules cancéreuses et de la transformation tumorale, la radiotoxicologie
et la médecine nucléaire.
Placée sous la direction d'Alain CROISY et Jean-Luc GUERQUIN-KERN (Unité
350 INSERM / Institut Curie), la plate-forme de microscopie ionique de l'Institut
Curie est ouverte à l'ensemble de la communauté scientifique
sur la base de programmes principalement dédiés à la
cancérologie.
Plusieurs projets scientifiques sont d'ores et déjà identifiés
dans le cadre de collaborations internes ou extérieures (INSERM, Université
Paris-Sud, Aventis, Museum National d'Histoire Naturelle, Hôpital Saint-Louis...).
Parmi ces projets, notamment :
- L’étude du trafic intracellulaire de l’ADN plasmidique
(thérapie génique non virale)
- La recherche sur les chromosomes
- Le diagnostic et traitement du mélanome
- Le diagnostic de l’ischémie myocardique et du diabète
de type II…
… et un projet auquel nous allons nous intéresser plus précisément
: la localisation intracellulaire de nouveaux médicaments antitumoraux.
Alain CROISY et Jean-Luc GUERQUIN-KERN utilisent, en effet, notamment les
formidables possibilités de la microscopie ionique pour localiser certains
médicaments dans les cellules et ainsi mieux comprendre leur fonctionnement.
La microscopie ionique devrait ainsi devenir un allié de choix pour
les pharmacologues. Jusqu'à maintenant et au prix de nombreuses incertitudes,
les mécanismes d'action des médicaments antitumoraux étaient
étudiés sur des modèles reproduisant, plus ou moins fidèlement,
leur cible supposée. Grâce à la microscopie ionique, il
est dorénavant possible de les suivre tout au long de leur parcours
réel dans la cellule.
Concrètement, on utilise comme marqueur soit un atome présent
dans le médicament et naturellement absent ou rare dans la matière
vivante, soit on remplace un atome de carbone ou d'azote du médicament
par l'isotope 17 stable correspondant. Ce marquage, tout en conservant la
nature chimique de la molécule médicamenteuse, lui confère
une masse légèrement différente. Donnant lieu à
l'émission d'ions spécifiques, le marqueur atomique ou isotopique
va permettre de repérer la substance étudiée.
Ainsi la localisation de médicaments, candidats à la mise au
point de nouvelles chimiothérapies, a déjà permis de
lever certaines zones d'ombre quant à leur mode d'action, ce qui devrait
rapidement permettre d'améliorer leur efficacité, et pourquoi
pas de découvrir de nouvelles molécules.
En collaboration avec Philippe MAILLARD de l'équipe de David GRIERSON
(UMR 176 CNRS/Institut Curie), le laboratoire utilise les capacités
de la microscopie ionique pour étudier la spécificité
des molécules qu'il synthétise vis-à-vis des cellules
tumorales.
Il cherche notamment à développer la photothérapie dynamique
pour le traitement du rétinoblastome, une tumeur rare de la rétine
chez l'enfant. Cette technique qui repose sur l'activation de molécules
photosensibilisantes par la lumière visible ne provoque pas d'altérations
génétiques. L'utilisation de traitements non-génotoxiques
est un enjeu particulièrement important notamment chez les patients
présentant une prédisposition génétique et pour
lesquels il faut limiter la survenue de toute nouvelle mutation qui pourrait
provoquer un second cancer.