Avril 2004 - n°87
Biocatalyse et bioconversion : comment la biotechnologie arrive chez les chimistes…
par ALCIMED – David BARIAU
ALCIMED, société de conseil et d’aide à
la décision en Sciences de la Vie et Chimie, souligne l’enjeu
que constitue l’intégration, au sein des processus chimiques,
de procédés biotechs tels que la biocatalyse et la bioconversion
(ou fermentation améliorée), pour améliorer certaines
étapes de synthèse.
" Les biotechs pourraient intervenir en 2010 dans la fabrication de plus
de 20% des produits chimiques ", souligne David Bariau, responsable de
l’activité Biotechnologie chez ALCIMED.
Force est de constater que les industriels de la chimie mesurent de plus en
plus l’intérêt des “white biotechnologies”
(ou biotechnologies au service de l’industrie) pour optimiser leurs
processus de production, et ce aussi bien en chimie de base qu’en chimie
de spécialité et en chimie fine.
" Leurs efforts d’innovation se concentrent principalement sur
le recours à la biocatalyse (utilisation d’enzymes pour réaliser
des réactions menant à la synthèse ou la modification
de produits) et à la bioconversion (utilisation de bactéries,
champignons ou levures pour produire des composés par fermentation)
", continue David Bariau.
Les sociétés NOVOZYMES (Danemark) et GENENCOR (Etats-Unis) détiennent
plus de 70% du marché des enzymes. Il faut noter que de nombreuses
sociétés de biotechnologies (comme les américains Maxygen
et Diversa et la start-up française Protéus), récemment
positionnées sur cet axe, mettent à disposition des industriels
des avancées technologiques importantes en termes de modification d’enzymes
par génie génétique ou d’exploitation de microorganismes
extrêmophiles. On peut citer par exemple l’accord signé
en janvier 2004 entre la société biotech Diversa et le géant
de la chimie fine DSM (Hollande) pour le développement d’une
solution biocatalytique pour la production d’intermédiaires chimiques.
DSM a par ailleurs déjà développé plus de 25 procédés
biocatalytiques, qu’il utilise en production.
" Les grands noms de la chimie de spécialité comme DSM,
Lonza, Degussa ou BASF ont développé leur boite à outil
biotechnologique afin d’intégrer ces nouvelles technologies dans
leur offre de développement de synthèse chimique ainsi que dans
leur offre de production ", remarque Carole Doucet, responsable de mission
Chimie chez ALCIMED.
Biocatalyse et bioconversion présentent en effet plusieurs avantages
pour la synthèse de produits chimiques, qui peuvent être déclinés
selon trois niveaux.
Au niveau
des matières premières, ces procédés
permettent de substituer au pétrole des matières premières
agricoles, donc renouvelables et extrêmement disponibles (ex : remplacement
du pétrole par des sucres pour fabriquer du plastique). Ainsi, ces
procédés contribuent à la valorisation de la biomasse
inutilisée ou rejetée (ex : valorisation de pailles pour la
fabrication de biocarburants).
Au niveau
des procédés, la biocatalyse et la bioconversion engendrent
des gains de productivité car elles proposent des biocatalyseurs de
meilleure sélectivité, ce qui réduit le nombre d’étapes
nécessaires pour la synthèse et limite considérablement
les phases de purification. Elles permettent de réaliser les opérations
de synthèse dans des conditions douces – donc de consommer moins
d’énergie et de solvants - de favoriser le recyclage et d’assurer
de meilleures conditions de sécurité pour le personnel. Elles
participent également à la protection de l’environnement
car les déchets produits lors de la synthèse sont non seulement
moins nombreux, mais aussi et surtout moins toxiques.
Au niveau
des produits finis, ces procédés biotech permettent
d’accéder à des produits de meilleure qualité (plus
purs, biocompatibles, avec un faible risque de contamination…). Ils
permettent aussi de synthétiser des molécules complexes qu’il
est difficile de produire par synthèse chimique classique (molécules
polyfonctionnelles ou chirales…) et d’accéder à
de nouvelles propriétés ou fonctionnalités (des bio-plastiques
biodégradables, des arômes de vanille dits " naturels "
du fait de leur production par une bactérie…).
" Tous ces avantages se traduisent en termes d’économie
et les chimistes qui croient à la biotechnologie ont évalué
le retour sur investissement et le bénéfice engendré
", poursuit Carole Doucet.
Forts de ces atouts, les procédés biotechs se généralisent
dans la chimie, quelle que soit la branche concernée. A ce jour, des
produits chimiques produits industriellement par voie biotechnologique sont
déjà présents dans les domaines de la chimie fine, de
spécialité et de base, mais sur des niches.
Le fait que l’utilisation des biotechnologies reste limitée à
des applications de niches peut s’expliquer par plusieurs facteurs qui
limitent encore à l’heure actuelle l’entrée massive
de la biotechnologie chez les chimistes.
En effet, le poids des habitudes industrielles (manque d’information
de certains chimistes des avantages des biotechnologies, changement de procédés
industriels déjà établis, etc.) se combine à un
manque de maturité technologiques pour certaines applications (temps
de développement et d’optimisation, impossibilités technologiques
actuelles, etc.).
Pourtant actuellement, en dehors des conditions économiques qui poussent
les industriels à chercher une efficacité toujours accrue de
leur chaîne de production, 3 moteurs favorisent l’intégration
de la biocatalyse et de la bioconversion dans l’industrie chimique :
- l’apparition continue de nouveaux outils et procédés
biotechnologiques, principalement sous l’impulsion du secteur de la
santé, dont certaines peuvent être utilisées par les chimistes,
ou qui en tout état de cause, encouragent l’innovation tout au
long de la chaîne de production,
- l’environnement réglementaire et environnemental qui incite
fortement les chimistes à réduire par exemple leurs émissions
de gaz à effet de serres et de produits toxiques, ce que permettent
les procédés biotech,
- les nouvelles exigences de la société, les populations demandant
en effet des produits " verts " et attendant des entreprises qu’elles
produisent de façon plus écologique…
Ainsi, il est fort à parier que les biotechnologies vont devenir de
plus en plus importantes dans l’industrie chimique et le champ d’application
des biotechnologies va rapidement s’étendre à partir des
niches où elles sont déjà bien installées, pour
inonder tous les secteurs de la chimie.