Janvier 2006 - n°106

Fractionnement par Couplage Flux Force associé à la diffusion de la lumière multi-angles : une solution viable pour un repliement protéique haut rendement

Auteurs : Christoph Johann, Wyatt Technology, Paul Ramage & René Hemmig, Unité Structure Protéique, Technologies centrales, Novartis Pharma AG

Introduction

Depuis l’achèvement du Projet Génome Humain, au cours duquel environ 100 000 protéines humaines ont été identifiées, un grand nombre d’entre elles ont été mises en évidence comme des cibles potentielles par les sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques. Ces sociétés ont besoin de protéines de haute qualité en tant qu’outils dans le cadre du développement de tests, d’études structurelles des protéines et afin d’identifier les fonctions biologiques.
Cependant, parmi ces protéines cibles, moins de 500 sont effectivement disponibles dans le commerce. Le problème auquel les chercheurs sont confrontés consiste à obtenir des quantités suffisantes d’un grand nombre de protéines, à la fois rapidement et à un coût raisonnable.

Ce besoin d’une production à grande échelle de protéines recombinantes nécessite que les protéines se trouvent dans une conformation native et active (c’est-à-dire repliée). Comme les fonctions biologiques des gènes et des protéines correspondantes sont inconnues, il est impossible de déterminer ci ces derniers se trouvent dans un état natif ou non natif par l’intermédiaire d’un essai biologique.

Les méthodes alternatives de contrôle du repliement protéique, par chromatographie liquide haute performance en phase inverse (RP-HPLC), chromatographie d’exclusion stérique (SEC) et fluorimétrie présentent de nombreuses limites. Le présent article se propose d’étudier l’utilisation du fractionnement par couplage flux-force (Field-Flow Fractionation, FFF) associé à la diffusion de la lumière multi-angles (FFFMALS) par l’Unité structure protéique de Novartis Pharma AG, Bâle, Suisse, en tant que méthode viable de caractérisation des protéines repliées.

Repliement protéique à haut rendement

L’Escherichia coli (E. Coli) demeure l’expression de choix pour les études structurales. Cela est du à l’homogénéité des protéines produites, à leurs niveaux d’expression, à la rapidité de fabrication et à la facilité de marquage. Cependant, pour un nombre donné de cibles, un certain pourcentage sera soluble et le reste insoluble (entre 40-60 %), appelé matériaux insolubles et connus comme des corps d’inclusion (IB). Il est facile d’isoler, d’extraire et de purifier ces IB par le biais d’un processus appelé la solubilisation ; le problème toutefois réside dans l’extraction de protéines fonctionnelles, correctement repliées à l’aide d’un repliement à haut rendement.

Le repliement est un processus résultant en un changement de la conformation de la protéine de l’état déplié à replié (natif). Afin d’y parvenir, les IB sont initialement solubilisés par des agents comme des détergents, des chaotropes ou de l’urée. Les IB solubilisés contiennent des impuretés, lesquelles peuvent interagir avec la protéine exprimée et ainsi interférer avec son repliement. En outre, le fort degré de concentration du dénaturant utilisé pour solubiliser les IB rend les protéines désordonnées (dépliées), dissoutes et flexibles. Par conséquent, il est nécessaire de réduire la concentration de dénaturant et de modifier les conditions de la solution d’une manière contribuant au processus de repliement. Le processus visant à trouver le meilleur protocole est basé sur des essais et des expériences erronées, lors desquels sont testés un ensemble de produits chimiques et de conditions.

Méthodes de lecture du repliement

Un certain nombre de variables peut être inclus afin de maximiser les chances de succès du processus de repliement, par exemple des ajouts de tampon, des pH différents et des chaperons artificiels. Cependant, une fois que le repliement a eu lieu, la difficulté consiste à déterminer s’il a été réussi, par exemple en faisant la différence entre une solution optiquement transparente contenant des protéines repliées et une solution transparente contenant des protéines dénaturées ou agrégées.

Des techniques comme la RP-HPLC ou la turbidimétrie ont peu de chances de distinguer les deux, la spectroscopie du dischroïsme circulaire (CD) est insensible et fournit un faible rendement. La fluorimétrie, par contre, peut différencier des protéines repliées et dépliées, mais nécessite des concentrations protéiniques supérieures, non compatibles avec un format de plaque à 96 puits. De plus, la sensibilité dépend fortement du contenu de résidus tyrosines et tryptophanes dans la protéine, ainsi que des effets d’atténuation causés par certains des additifs tampons utilisés. Par conséquent, la méthode de fluorimétrie ne fonctionne pas avec la même constance pour tous les types de protéines et de protocoles, suivant la composition aminoacide et les additifs utilisés. Il est important de noter que la fluorimétrie n’est pas une lecture au point final, mais peut aussi être utilisée pour comparer des échantillons.

La chromatographie d’exclusion stérique ne tolère pas les grandes quantités d’agrégats devant être injectées sur la colonne. Certains des additifs utilisés sont agressifs et peuvent endommager les phases stationnaires des colonnes. Le fait de colmater la colonne entraîne une augmentation de la pression, des problèmes de reproductibilité et une grande diminution de la durée de vie de la colonne.

La solution

Dans ces conditions, quelle est donc la solution ?

Novartis a utilisé un système de fractionnement par couplage flux-force Eclipse™ et un détecteur de diffusion de la lumière multiangles miniDAWN (tous deux conçus par Wyatt Technology, Santa Barbara), associés à un Agilent HP1100 afin de fournir des capacités de flux, dégazage, détection UV et d’échantillonnage automatique.
Le dispositif Eclipse fonctionne sur la base du fractionnement par couplage flux-force, mais la mise en œuvre technique rend le système aussi simple à utiliser qu’une SEC ou une HPLC.

Fractionnement flux-force

La caractérisation macromoléculaire via FFF est un mécanisme de séparation non destructeur en une seule phase servantà déterminer les masses moléculaires et macromoléculaires et les particules dans une solution. Comme pour la chromatographie classique, les composants de l’échantillon subissent une élution à des temps de rétention donnés qui sont liés à une série de propriétés physiochimiques des espèces retenues. Cependant, contrairement à la chromatographie classique, une séparation FFF agit uniquement sur les propriétés hydrodynamiques et n’implique aucune interaction avec une phase stationnaire.

La séparation est obtenue par le flux différentiel d’un solvant dans un canal composé de deux plaques séparées par une feuille séparatrice (« spacer ») ; les plaques sont vissées ensemble. La plaque supérieure du canal est imperméable, tandis que la plaque inférieure est perméable et composée d’un fritté poreux. Une membrane d’ultrafiltration avec une barrière de taille typique de 10kD recouvre le frittée afin d’empêcher l’échantillon de sortir du canal.

Lors d’une première étape, l’échantillon est introduit dans le courant du solvant qui est injecté dans le canal. Dans le cadre d’une partie indispensable du processus de séparation, l’échantillon est d’abord concentré dans la région du canal proche du port d’injection. On y parvient en séparant le flux du canal en deux composants, chacun d’entre eux entrant dans le canal par les extrémités opposées. Les flux sont ajustés de sorte qu’ils se rencontrent à proximité du port d’injection, et, à ce stade, la direction du flux est perpendiculaire au fond poreux du canal. L’échantillon est dirigé vers la paroi du fond et concentré près de la membrane. La diffusion associée au mouvement brownien crée un mouvement contraire. En quelques minutes, un équilibre stationnaire est établi, dans lequel les deux forces contrebalancent chaque taille de particule à une distance différente de la membrane. Les particules de plus petite taille, présentant des taux de diffusion supérieurs, et qui sont soumises à des forces de friction inférieures, atteignent une position d’équilibre plus loin de la paroi du fond. Les particules ou les molécules plus grandes seront amenées à rester plus près de la paroi du fond.

Lors de la deuxième étape impliquant l’élution, le schéma du flux est rétabli pour s’écouler de l’entrée du canal à la sortie et pour transporter l’échantillon tout le long du canal. Le flux est laminaire, c’est-à-dire qu’il présente un profil de vélocité parabolique et une vitesse de transport supérieure à partir de la paroi du fond. Il s’agit du même phénomène que dans une rivière où les bateaux flottent vers l’aval plus rapidement au milieu du courant. Les composants de l’échantillon sont comme des bateaux dans une course ; les petites particules, plus éloignées de la « plage », circuleront plus rapidement et subiront l’élution en premier, avant les plus grandes. Il s’agit du phénomène exactement inverse à celui de la séparation par exclusion stérique ou perméation de gel (SEC/GPC) lors desquelles les grandes molécules subissent l’élution en premier.
Le processus est rapide et doux du fait des faibles forces de cisaillement et de l’absence de phase stationnaire. Par rapport à la SEC, la FFF affiche une plus grande sélectivité et une plage d’application aussi large.

Diffusion de la lumière multi-angles (MALS)

Les détecteurs MALS utilisés dans cette étude sont les seuls détecteurs absolus de diffusion de la lumière multi-angles disponibles sur le marché. Cela signifie qu’ils mesurent la masse molaire directement à partir de l’intensité de la lumière diffusée, sans référence à une masse molaire standard ou « connue ».
Dans l’application de détermination de la masse molaire d’un monomère protéique et de détection des agrégats, la sensibilité du détecteur de diffusion de la lumière est capitale. Les protéines sont présentes en très faibles concentrations et seuls quelques microlitres peuvent être utilisés pour la mesure. Comme l’intensité de diffusion est proportionnelle à la masse molaire des temps de concentration, le pic de diffusion de la lumière résultant sera d’un ordre de magnitude inférieur pour les monomères par rapport aux agrégats, car ces derniers ont de fortes masses molaires de plusieurs millions de Daltons par rapport à quelques dizaines de milliers de Daltons pour les protéines natives.
Par conséquent, la tâche de détection est conséquente et nécessite un photomètre de diffusion de la lumière à la forte gamme dynamique. La technologie FFF s’est avérée à la hauteur de ce défi et a fourni des données précises pouvant être utilisées afin d’identifier les monomères protéiques et les agrégats en un seul cycle de séparation. La structure cellulaire unique associée à un banc optique et une tête de lecture sophistiqués se sont avérés capitaux dans le traitement d’aussi petits pics de diffusion de la lumière.

FFF-MALS

La technique FFF-MALS, alliant une séparation haute résolution à une détection absolue des masses molaires, s’est avérée plus qu’adaptée pour identifier et quantifier des protéines monomériques repliées. Les cycles ont typiquement été terminés en 12 minutes, produisant des résultats hautement reproductibles. Les monomères et les agrégats ont pu être séparés de manière fiable. Le système a été automatisé en utilisant un échantillonneur automatique HPLC, et s’est avéré assez sensible pour fournir de bons signaux avec des quantités aussi infimes que 1 à 2 µg de protéine.

En utilisant la MALS, Novartis a été en mesure d’obtenir des calculs de masse précis de monomères protéiques repliés– typiquement, dans les 10 % de la valeur nominale. La quantification de rendement a permis un classement des composant de la matrice de repliement afin d’évaluer le protocole de repliement le plus productif pour une protéine spécifique. Par exemple,
les monomères et les dimères peuvent être détectés et quantifiés de la manière présentée dans la figure ci-joint.



Résultats

Afin d’évaluer le précision, Novartis a réalisé plusieurs cycles consécutifs d’une protéine et a vérifié que la quantification du monomère/dimère était reproductible. Dans une étude modèle, la méthode FFF-MALS a été comparée à la quantification RPHPLC d’un monomère replié. On a montré que tandis que la RP-HPLC rapportait des valeurs protéiniques constantes, la méthode FFF-MALS était en mesure de discriminer différents protocoles de repliement et montrait des variations valides de la récupération du monomère.

Conclusion

La FFF basée sur le système Eclipse associéeà la diffusion de la lumière multi-angles s’est avérée une méthode solide et fiable de classement des conditions de repliement. Bien que Novartis a testé plusieurs méthodes afin de déterminer si les protéines s’étaient ou non repliée, la méthode FFF a été de loin l’outil de caractérisation le plus fiable et informatif. En outre, on a constaté que la FFF était une excellente méthode de caractérisation des protéines produites pour élucidation structurelle.

En utilisant la FFF-MALS, Novartis a replié plusieurs nouvelles protéines, et a aussi significativement améliorée plusieurs de ses protocoles de repliement. De plus, les résultats ont notablement varié d’une protéine à l’autre, ce qui signifie que ce n’est qu’en passant en revue la matrice de test que l’on a pu trouver le protocole optimal. D’autres développements dans l’écran de pliement semblent prometteur, et Novartis procéderaà des modifications/ optimisation continuelles de l’écran. Celui-ci devra aussi subir quelques expansions.

Nos remerciements à René Hemmig et Paul Ramage de Novartis Pharma AG qui nous ont fournis les matériaux pour cet article.

 

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