Mars 2006 - n°108

Regard sur les systèmes de gestion des données de laboratoire (LIMS, Laboratory Information Management Systems) dans l’industrie pharmaceutique

Résumé / Introduction

L’industrie pharmaceutique est unique par bien des aspects. Les défis que doivent relever les sociétés pharmaceutiques, notamment celles fabricant des produits pharmaceutiques, biotechnologiques et génériques, sont parfois écrasants. Des laboratoires divers, des contraintes règlementaires, une gestion des lots complexe et des exigences en matière de tests, sont autant de facteurs qui nécessitent des solutions informatiques sophistiquées, à l’échelle de l’entreprise.

Cet article se propose de passer en revue les défis auxquels les laboratoires pharmaceutiques sont confrontés, et d’examiner les trois choix les plus fréquents qui s’offrent aux entreprises du monde pharmaceutique évaluant des systèmes informatiques de laboratoire, en considérant les défis ci-dessus mentionnés. Il s’agit en l’occurrence des systèmes développés en interne, des systèmes LIMS « génériques » et des solutions commerciales prêtes à l’emploi (COTS, commercial off-the-shelf).
Nous nous intéresserons également à certaines des nouvelles tendances qui se dessinent au niveau des capacités des LIMS, et à leur déploiement dans une entreprise pharmaceutique.

Les défis des laboratoires pharmaceutiques

L’un des défis sujet à controverse qui se dresse pour le choix d’un LIMS dans le domaine pharmaceutique tient à la grande diversité des laboratoires au sein de l’entreprise. La chimie combinatoire, le criblage, la bioanalyse pré-clinique et clinique, la chimie analytique, la R&D en fabrication et le contrôle qualité de la production ont chacun des besoins et des flux de travail qui leur sont propres. Pourtant, les utilisateurs finaux à la recherche d’une solution à leurs besoins professionnels sont souvent invités par la direction à quelque peu « se débrouiller » avec un système déjà déployé dans un autre secteur de l’entreprise. Dans certains cas, cela peut fonctionner ; mais la plupart du temps, cela n’aboutit qu’à un échec de la mise en œuvre et à un nombre important d’utilisateurs insatisfaits (et potentiellement improductifs). En règle générale, l’industrie admet rapidement qu’un outil n’est pas en mesure de répondre aux besoins de ces divers utilisateurs. Des solutions qui en sont véritablement, doivent aider et assister les utilisateurs finaux. Il convient d’automatiser autant que possible les méthodes de test complexes, qui comportent des critères d’acceptation à niveaux multiples. Les tests de produits pharmaceutiques sont fortement orientés sur les lots ; par conséquent, toute solution potentielle pour le secteur de la fabrication doit présenter des capacités au niveau de la gestion des lots. La bioanalyse préclinique et clinique est fortement dépendante de protocoles ; de ce fait, les solutions applicables à ces laboratoires doivent être conçues en considérant le protocole d’étude.

D’aucuns pourraient interpréter cette approche comme étant contraire à la tendance à la standardisation, en vogue dans l’ensemble de l’industrie. En réalité, la standardisation ne devrait intervenir que lorsqu’elle s’avère avantageuse. Si une entreprise compte 25 installations de fabrication réparties dans le monde, chacune avec son propre laboratoire de contrôle qualité, alors la standardisation peut s’avérer très bénéfique, par l’harmonisation des processus et par la réduction des coûts de déploiement et de validation dans l’ensemble des 25 sites. Toutefois, cela n’a aucun sens d’essayer de mettre en application, dans un laboratoire de bio analyse clinique dépendant de protocoles, un outil conçu pour les tests de contrôle qualité. Ce n’est pas de standardisation qu’il s’agit, et pour l’utilisateur final cela ressemble davantage à un abus !
Il est également largement reconnu que l’industrie est soumise à un examen réglementaire plus intense que toute autre, mis à part peut-être l’industrie de l’énergie nucléaire. Toute solution potentielle doit satisfaire aux demandes provenant de vérificateurs autant internes qu’externes. Cela comprend une flexibilité permettant d’assister des flux d’analyse et d’approbation d’une grande diversité, à la fois pour des données statiques, comme les caractéristiques de produits et les protocoles d’études, et pour des données dynamiques, comme des résultats de tests et la disposition d’expédition des lots.

Enfin, les entreprises pharmaceutiques dans leur grande majorité sont mises au défi de faire preuve de plus d’efficacité. Les énormes profits générés par les médicaments vedettes deviennent vite histoire ancienne, et à l’instar de l’industrie pétrochimique dans les années 1970 et 1980, les sociétés pharmaceutiques sont soumises aux mêmes pressions consistant à rationaliser, à devenir plus efficace et à se recentrer sur le cœur de métier. Les grands projets informatiques ont durement ressenti cette pression, et aucun projet d’envergure n’a de chance d’avancer sans que les justifications de coûts ne soient clairement démontrées.

Les tendances des LIMS dans l’industrie pharmaceutique

Les systèmes de gestion des données de laboratoire ont fait leur entrée dans l’industrie pharmaceutique il y a environ 20 ans. A l’époque, la plupart des LIMS n’étaient mis en oeuvre que pour servir à entreposer des données finales et approuvées. La collecte, les calculs et, dans la plupart des cas, l’évaluation des données, étaient réalisées hors du champ du LIMS, dans un environnement papier. « Faire l’interface » avec d’autres systèmes revenait à mettre toutes les impressions papier dans le même classeur !

Les environnements commercial, informatique et réglementaire ont évolué, et les LIMS ont suivi, ainsi que, de façon plus importante, leur rôle dans l’entreprise pharmaceutique. Ce que l’on attend aujourd’hui souvent des LIMS, c’est non seulement qu’ils conservent les données finales, mais que toutes les données recueillies produisent le résultat final. On attend d’eux qu’ils appliquent une logique de l’entreprise pour évaluer les résultats et déclencher des évènements en temps réel, et qu’ils imposent le respect des lois en vigueur conformément aux cGxP. On attend d’eux qu’ils communiquent directement avec d’autres systèmes de l’entreprise, et qu’ils génèrent de véritables sorties, prêtes à être soumises. Enfin, les LIMS assument un rôle essentiel dans l’évolution vers la disparition du support papier dans les laboratoires. Pour répondre à ces attentes grandioses, les solutions doivent intégrer une logique reposant sur les normes de l’industrie, comme celles apportées par l’ICH (International Conference on Harmonization, conférence internationale pour l’harmonisation), par des listes nationales de médicaments comme l’USP (United States Pharmacopeia, pharmacopée des Etats-Unis) et l’EP (European Pharmacopeia, pharmacopée européenne), et diverses recommandations publiées par les autorités réglementaires.

Les choix de LIMS

Plusieurs solutions potentielles existent pour répondre aux défis et tendances développés ci-dessus. Toutefois, ces solutions ne présentent pas toutes un intérêt égal.
Les solutions personnalisées
Pendant de nombreuses années, les solutions sur mesure ont joui d’une grande popularité dans l’industrie pharmaceutique. Bon nombre des défis identifiés précédemment s’opposent constamment à l’industrie pharmaceutique depuis les trois dernières décennies, particulièrement en ce qui concerne les contraintes réglementaires et la complexité des tests réalisés. En l’absence d’un produit commercial qui réponde aux besoins spécifiques du processus métier pharmaceutique, et en l’absence de pressions limitant l’envergure ou le budget de projets informatiques de grande échelle, beaucoup de sociétés ont construit des solutions« maison » personnalisées, ou ont délégué la construction de systèmes personnalisés à des entreprises de développement d’applications sur mesure.

Par certains aspects, il est possible qu’un système personnalisé soit plus à même de répondre aux besoins d’une entreprise pharmaceutique que toute offre commerciale. Le coût d’un tel système peut néanmoins être prohibitif. Le coût du développement d’un projet est monumental en termes de liquidités et de temps, et le coût de la propriété devient un cauchemar qui réapparaît chaque année. En outre, les projets de développement de logiciels détournent l’entreprise pharmaceutique de son cœur de métier, à savoir le développement et la commercialisation de thérapies.

Les LIMS « génériques »
Les LIMS ont commencé à apparaître sur le marché dans les années 1980. Quelques uns de ces systèmes subsistent encore, et ont étendu leur champ pour englober de nombreux domaines divers de la gestion d’un laboratoire, notamment les stocks d’équipements et la gestion des formations. Au fur et à mesure de leur évolution, ces systèmes ont été élaborés dans l’optique d’être indépendants de l’industrie. Bien souvent, ils ont également été conçus pour être quelque peu indépendants des plateformes, acceptant diverses plateformes de bases de données et divers systèmes d’exploitation. De ce fait, ils sont souvent désignés sous l’appellation de LIMS « génériques ».

Les systèmes LIMS génériques sont quasi systématiquement orientés vers l’échantillon et centrés sur un laboratoire. Cela signifie que l’entité centrale autour de laquelle tourne le système est un échantillon, et que les actions et fonctions disponibles sont conçuesà partir du point de vue du laboratoire. Les échantillons arrivent au laboratoire, les résultats sont saisis par rapport aux échantillons ; chaque échantillon est analysé et/ou approuvé. Les systèmes génériques sont livrés dotés des fonctionnalités de base orientées vers l’échantillon, de recommandations et parfois d’outils, pour permettre au client ou aux consultants en charge de la mise en œuvre d’étendre la fonctionnalité de base du système générique pour répondre aux besoins du client.

Dans beaucoup d’industries, les LIMS génériques peuvent être déployés sans personnalisation excessive. Etant donné qu’ils continuent à être développés depuis de nombreuses années, plusieurs LIMS génériques ont prouvé leur grande robustesse ; toutefois, la fonctionnalité que l’on peut obtenir grâce à la personnalisation peut être limitée en raison de l’architecture et de la technologie patrimoniales utilisées pour construire le LIMS générique.

Le problème qui se pose, néanmoins, c’est le défi consistant à déployer un LIMS générique dans l’industrie pharmaceutique. Quasiment aucun des nombreux laboratoires du domaine pharmaceutique n’est orienté vers l’échantillon. Les laboratoires de criblage sont orientés vers le produit ou la molécule. Les laboratoires de bioanalyse préclinique et clinique sont orientés vers l’étude et vers le sujet/patient. Le développement analytique est orienté vers le produit, et le contrôle qualité de la fabrication est orienté vers le produit/les lots. Pour chacun de ces exemples, un LIMS générique nécessiterait une personnalisation considérable. Il est important de préciser la définition de la personnalisation, telle que nous l’entendons ici : TOUT code écrit manuellement et visant à modifier la fonctionnalité du produit original. Que le LIMS soit doté d’un langage de script intégré ou qu’un outil ou environnement externe soit nécessaire pour écrire une fonctionnalité personnalisée, toute instruction écrite dans le but d’activer ou de créer une fonctionnalité rentre dans le cadre de la personnalisation. Cela comprend la création manuelle de pages XML ou HTML, de routines ou procédures stockées, pour automatiser les flux de travail ou les processus de routine. Dans certains cas, l’ampleur de la personnalisation nécessaire peut aboutir à un système dont la maintenance, la validation et la mise à niveau impliquent des coûts tellement élevés qu’elle en vient presque à effacer la différence en termes de dépenses entre un système générique personnalisé et un système entièrement « maison ».

Les solutions commerciales prêtes à l’emploi
Vu le coût important du déploiement de systèmes « maison » ou de systèmes génériques fortement personnalisés dans le domaine pharmaceutique, on observe une tendance qui se développe rapidement, au recours à un logiciel commercial prêt à l’emploi (COTS), dans la mesure du possible. Même si le coût d’achat initial de ces derniers est vraisemblablement supérieur à celui d’un système générique, les coûts de déploiement, de formation, de validation, de maintenance et de mise à niveau peuvent être considérablement diminués, ce qui ramène le coût global de la propriété à une fraction de celui d’une solution personnalisée.

Il existe d’autres avantages significatifs à envisager les solutions COTS lorsque l’on étudie les LIMS pour le domaine pharmaceutique. Pour développer une application ou une solution destinée à un domaine spécifique, un fournisseur doit faire valoir une connaissance approfondie du domaine et des défis qui lui sont spécifiques. Dans le domaine pharmaceutique, cela implique d’être sensibilisé à l’environnement réglementaire, existant et futur, ainsi qu’aux dernières avancées en matière de tests et de contrôle qualité. C’est ce niveau d’expertise qui peut permettre au fournisseur de garantir que les versions ultérieures de sa solution seront capables d’intégrer une nouvelle fonctionnalité et une nouvelle logique d’entreprise, dans la lignée des besoins, et exigences réglementaires les plus récentes et aux tendances de l’industrie.

Lors du déploiement de solutions COTS aux fonctionnalités hautement développées, il émerge souvent un compromis entre une configuration du système de telle sorte qu’il soit aligné avec les processus métier existants, et une adaptation des processus existants de telle sorte qu’ils soient alignés avec la fonctionnalité existante. Malgré tout, l’analyse interne nécessaire pendant cette phase peut s’avérer bénéfique, au sens où elle permet d’identifier les processus désuets et d’optimiser ceux qui sont inefficaces. Du point de vue de la standardisation, un COTS est aussi à même de faire la preuve de son utilité, en établissant des pratiques standard dans de multiples installations.

Il est important de souligner que même une solution COTS est peu susceptible de véritablement satisfaire l’intégralité des besoins d’un laboratoire pharmaceutique. Evaluer des solutions spécifiques à l’industrie ou à des applications constitue un effort d’optimisation des fonctionnalités standards, et la réduction de la personnalisation nécessaire. Une fois l’évaluation réalisée, il est possible qu’une certaine extension du système s’avère nécessaire ; par conséquent, il est important de comprendre parfaitement la stratégie de tout fournisseur de COTS pour pouvoir répondre aux attentes fonctionnels. Des outils d’extension du logiciel doivent exister ; le fournisseur doit être capable de mettre à disposition des analystes expérimentés pour aider au déploiement, et la plateforme de technologie doit utiliser une architecture moderne et des normes ouvertes pour faciliter les extensions nécessaires. De la même manière, une solution COTS n’élimine pas la charge de responsabilité de la part de l’utilisateur. Même si l’effort de validation est susceptible d’être considérablement réduit, il sera toujours nécessaire de fournir une certaine somme d’efforts pour garantir que le système, tel qu’il est configuré, fonctionne conformément aux attentes.

Il est aussi important d’évaluer les degrés de conformité et de flexibilité inhérents à la solution COTS. L’histoire a montré qu’en dépit d’une personnalisation importante de systèmes génériques, les sociétés pharmaceutiques n’ont pas été en mesure de mettre en oeuvre une solution qui réponde simultanément aux besoins d’utilisateurs moins réguliers, comme la R&D analytique par exemple, et aux laboratoires de production étroitement contrôlés. La configuration du système doit inclure la définition des règles de conformité en fonction du type de données manipulées.

Conclusion

L’industrie pharmaceutique se trouve confrontée à un certain nombre de défis singuliers, notamment un examen réglementaire intense, des méthodes de test complexes, et une pression financière grandissante et permanente face à une concurrence toujours plus rude. Trois options principales s’offrent aux sociétés désireuses d’investir dans un LIMS : un système « maison », un système « générique » personnalisé, ou une solution commerciale prête à l’emploi. Quand bien même il est possible de construire un système personnalisé qui réponde exactement aux besoins d’une société, le coût de l’effort et le coût global de l’acquisition une fois le système déployé, sont astronomiques et prohibitifs. Etant donné l’ampleur des besoins exclusifs au domaine pharmaceutique, bon nombre de LIMS « génériques » disponibles dans le commerce passent souvent par une personnalisation importante pour que ces besoins soient satisfaits. Cette importante personnalisation a pour effet d’élever spectaculairement le coût de déploiement du système, ainsi que les frais indirects continus pour le maintenir en place. A l’inverse, une solution COTS peut répondre à une vaste proportion des besoins du domaine pharmaceutique sans devoir recourir à une personnalisation. Vu qu’il est peu vraisemblable que même une solution COTS soit en mesure de satisfaire l’intégralité des besoins d’une société, il est important de s’assurer que le COTS choisi offre la possibilité d’une extension en cas de nécessité. A condition que le fournisseur propose cette assistance, il est clair que les COTS remportent la préférence, et de loin.

 

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