Décembre 1995 - n°3
Si l'Abbaye d'Hautvillers mérite à juste titre son glorieux nom de "berceau du Champagne", c'est au génie et à la persévérance de Dom Pérignon qu'elle le doit. Moine champenois, ayant tenu la charge de Cellérier de l'Abbaye pendant près de cinquante ans, Dom Pérignon y découvre, un à un, tous les secrets de l'élaboration du Champagne. Au fil des ans, par des "mariages" de raisins et de vins provenant d'un grand nombre de crus différents et par une méthode très spécifique et naturelle, il élabore le vin de Champagne.
C'est du vivant de Dom Pérignon que Claude Moët, né en 1683, habite Cumières, village viticole jouxtant Hautvillers, et cultive ses vignes dans la vallée de la Marne. En 1743, il fonde la Maison Moët, qu'il laisse à son fils, Claude Louis Nicolas (1719-1792) puis à son petit-fils Jean Rémy (1758-1841). Sous l'égide de ce dernier, la Maison Moët se rend acquéreur de l'Abbaye d'Hautvillers et de son vignoble. En 1832, Jean-Rémy Moët transmet l'affaire à son fils, Victor Moët, et à son gendre Pierre-Gabriel Chandon.
De ce jour, la Maison prend la dénomination "Moët & Chandon".
Les vendanges sont l'aboutissement d'une année de soins attentifs et constants prodigués à la vigne. Entre la fin septembre et la mi-octobre, les vendangeurs se rassemblent dans les vignes afin de cueillir le raisin au meilleur de sa maturité. C'est le moment le plus fébrile de la vie du vignoble.
Alors que les autres travaux viticoles s'effectuent au rythme des saisons, les vendanges sont marquées par la hâte de récolter enfin le fruit d'une année de labeur et le souci de tout faire, pour éviter au raisin la moindre meurtrissure au cours des différentes étapes qui le mèneront de la vigne au pressoir.
Dans un pressoir traditionnel, le jus est rapidement séparé de la pulpe pour ne pas se tacher au contact des pellicules teintées, et descend par gravité dans des cuves de débourbage, où se déposent en quelques heures les parties solides et bourbeuses en suspension. Il passe ensuite en cuves de vinification afin d'y subir une première fermentation.
Le pressurage s'effectue d'une manière strictement codifiée par les usages et consacrée par la tradition :
utilisation du pressoir traditionnel, pressurage par "marcs" de 4000 kg, séparation des premiers jus des suivants, ces derniers donnant des vins moins fins car marqués par le goût des peaux et du bois de la grappe. Le jus clair qui sort des cuves de débourbage est transféré, soit dans des fûts de chêne, soit dans des cuves de vinification. Il va s'y transformer en vin sous l'effet d'une première fermentation, le bouillage. Il importe que celui-ci se déroule à une température constante d'environ 20°C et dans des conditions d'extrême propreté.
Pendant plusieurs semaines, le moût bouillonne et chante sous l'action des ferments qu'il contient.
Une fois le bouillage bien mené, les vins sont refroidis pour être soutirés. Le Champagne va pouvoir naître dans sa bouteille. Lorsque la première fermentation est achevée, les Dirigeants de la Maison et le Chef de Cave réalisent la cuvée à partir des vins provenant des différents crus et cépages de la dernière vendange. Par dégustation, ils déterminent l'assemblage des vins qui saura marier au mieux les caractères différents dans le plus parfait équilibre. Au printemps, la cuvée est mise en bouteille et les ferments, remis en action, provoquent la seconde fermentation, au cours de laquelle s'effectue la prise de mousse. Les bouteilles, descendues en cave, y sont couchées. Une fois la prise de mousse obtenue, le vin vieillit lentement pendant de longues années.
Le Remuage constitue alors l'étape suivante : un dépôt s'étant formé lors de la seconde fermentation, les bouteilles sont "mises sur pointe", c'est à dire goulot en bas, sur des pupitres. Chaque jour pendant plusieurs mois, les "remueurs" travaillent pour rassembler le dépôt sur le bouchon. Les bouteilles sont ensuite placées en masse, le goulot toujours en bas. Elles resteront ainsi encore de longs mois avant que le dépôt ne soit éliminé par l'opération du dégorgement, au cours de laquelle le goulot de la bouteille est gelé et le dépôt, pris dans un glaçon, expulsé sous l'effet de la pression interne, qui atteint 5 à 6 bars.
On ajoute enfin dans chaque bouteille une certaine quantité de sucre de canne préalablement dissout dans du vin vieux pour obtenir, selon la composition de la cuvée et le goût, un vin brut, sec ou demi-sec.
Puis la bouteille est immédiatement munie d'un nouveau bouchon maintenu par un muselet. Après un dernier séjour en cave de quelques mois, elle reçoit sa parure définitive avant d'être acheminée dans le monde entier.
Quelques chiffres:
Moët & Chandon, c'est :
* 765 ha en exploitation
* 118 Millions de bouteilles en stock
* 30 Millions de bouteilles expédiées chaque année
*1315 personnes en France
* 54 kilomètres de cave
* 80 % du chiffre d'affaires à l'exportation (vers 170 pays dont les USA, la Grande Bretagne, l'Allemagne, l'Italie, etc...)
Le Docteur Bruno DUTEURTRE, responsable des laboratoires de Recherche, nous a ouvert leurs portes :
Le laboratoire de contrôle :
La mission du laboratoire de contrôle est de suivre, jour après jour, l'évolution du jus de raisin en Champagne. Dès le départ, les jus de raisin sont analysés afin de traiter à part des lots "suspects", ces derniers pouvant être orientés vers la distillerie. Les jus sélectionnés vont subir 3 fermentations successives et l'effet du temps.
La première fermentation, dite alcoolique, transforme les sucres du moût en alcool et en gaz carbonique. Pour une meilleure maitrîse du procédé, l'ensemencement est réalisé sous l'action de levures, sélectionnées il y a quelques années à partir de levures naturellement présentes sur le raisin.
La deuxième fermentation, malolactique, est réalisée après la fermentation alcoolique grace à l'action de bactéries. Elle transforme l'acide malique en acide lactique. Cette étape permet de réduire l'acidité du vin.
Après ces deux étapes, le vin est analysé au laboratoire et dégusté. Le vin est assemblé pour marier les caractéristiques des cépages, des crus et années. Après filtration et addition de levures, il est mis en bouteille. Les bouteilles sont couchées dans les caves, où elles demeurent de 2 à 10 ans suivant la nature du Champagne.
La troisième fermentation démarre dans la cave. De nature alcoolique, elle est spécifique de la méthode champenoise et donne la mousse.
Cinq personnes travaillent à temps complet dans le laboratoire de contrôle, qui assure l'analyse de 30 à 40 échantillons par jour. L'effectif est doublé pendant les vendanges.
Les principaux paramètres contrôlés sont : sucre, acide tartrique, acide malique, pH, SO2, dénombrement des microorganismes...
Le laboratoire de recherche :
Créé il y a une quinzaine d'années, 12 personnes y travaillent à temps complet, sous la responsabilité de trois chefs de projets (Mme CHARPENTIER, Mme MAURO, Mr ROBILLARD - Voir photo 2)
Le laboratoire accueille des étudiants pour la réalisation de leur thèse.
Les thèmes de recherche développés sont très variés, mais toujours en rapport avec l'amélioration de la vigne, du process d'élaboration du Champagne et de l'image du Champagne dans le verre.
Nous ne citerons que quelques exemples pour illustrer l'activité de ce laboratoire et faire ressortir les enjeux économiques qui peuvent être liés aux découvertes:
Recherche sur la vigne :
Elle s'est développée grace aux techniques de biologie moléculaire et à la maîtrise de la culture in vitro sur milieu gélose et aseptique. Cette méthode de culture permet l'obtention d'un nombre important de plantes dans des conditions d'humidité, de lumière et de température contrôlées. Les objectifs sont d'obtenir des plantes dont les bourgeons présentent une meilleure résistance aux gels printaniers nocturnes (-3 à -4°C), de diminuer la mauvaise fécondation des fleurs et d'améliorer la résistance aux maladies (notamment à la pourriture grise, Botritys Cinerea, qui se développe sur le raisin lorsque les conditions climatiques sont défavorables).
Comprendre, pour mieux maîtriser les fermentations: le vin, contrairement à d'autres liquides (lait, bière, etc ...) ne peut pas subir une stérilisation avant un ensemencement. Cette opération entrainerait en effet des pertes d'arômes, qui sont souvent caractéristiques d'un terroir.
Il faut donc rechercher et améliorer d'autres souches de levures pour l'ensemencement des jus, qui soient capables de prendre le dessus sur la flore naturelle du vin.
L'une des premières réalisations a été le développement d' un système vidéo et informatique pour l'analyse de la stabilité de la mousse. Ce travail a d'ailleurs été partiellement subventionné dans le cadre d'un projet EUREKA et a été réalisé en collaboration avec le CNRS de Meudon.
La mousse est un phénomène thermodynamiquement instable régi par deux lois : sa formation, qui provient essentiellement de la création de bulles au sein du liquide et sa destruction, gouvernée par trois processus physiques - le drainage, qui est l'écoulement du liquide séparant les bulles, la covalescence, résultant de la rupture des films (traces de lipides) et enfin, le disproportionnement, traduisant la diffusion de gaz entre les bulles selon la loi de Laplace.
Au niveau sensoriel, la mousse représente pour le consommateur un des premiers critères de qualité. Il attend d'un produit comme le Champagne une suite d'évènements caractéristiques de ce vin, à partir de l'instant où le verre se remplit : une chute homogène de la mousse, une effervescence régulière mais aussi la formation d'une collerette de fines bulles (appelée aussi cordon) stable durant plusieurs minutes.
Il est clair que l'analyse qualitative et quantitative de ces phénomènes est importante.
Le Champagne contient plus de 1000 molécules (sucres, protéines, ...). Pour comprendre par exemple le phénomène de vieillissement, il faut étudier l'apparition et la disparition des molécules, voire leur cinétique. Compte-tenu de sa complexité, le Champagne devrait garder ses secrets pendant encore quelques décennies, malgré les moyens mis en oeuvre par le laboratoire.
En plus des analyses du laboratoire, des dégustations sont régulièrement organisées, car aujourd'hui comme hier, le palais du spécialiste reste pour longtemps encore la meilleure solution pour analyser la maturation du Champagne.
B.BOUILLARD
LE CHAMPAGNE
Le Champagne c'est trois cépages :
Le Chardonnay, le Pinot Noir et le Pinot Meunier qui couvrent 25000 hectares
répartis principalement dans les départements de la Marne et de
l'Aube. Deux autres départements sont concernés :
l'Aisne et dans une bien moindre mesure la Seine et Marne.
Un peu plus de trois cents communes peuvent produire du champagne. Celles ci
sont classées en Grand Cru, Premier Cru et Simple Cru selon à
la base la valeur marchande de leur raisin, qui va de 80% à 100% d'un
prix fixé par l'interprofession.
Les communes classées Grand Cru sont à 100%. On en compte 17.
Les communes Premier Cru entre 90% et 99%, sont au nombre de 41.
Le reste est situé entre 77% et 89%.
Certaines communes peuvent avoir un classement différent pour le Chardonnay
et le Pinot Noir. Le Pinot Meunier étant interdit dans les catégories
Grand Cru et Premier Cru.
G. Martin - Conservatoire de vin.