Décembre 1995 - n°3
L'INSERM 422 de Lille reçoit le Prix Biomérieux 95
Le Docteur DELACOURTE, directeur de recherche INSERM et responsable du groupe "Vieillissement Cérébral et Dégénérescence Neuronale" au sein de l'unité INSERM 422, par ailleurs dirigée par le Docteur J.C. BEAUVILLAIN, a reçu le prix Biomérieux pour ses travaux dans le domaine du diagnostic des maladies neurodégénératives.
Le cerveau est un organe d'une efficacité et d'une complexité stupéfiantes, constitué de plus de 50 milliards de cellules nerveuses interconnectées, appelées neurones. Mais parfois la "dégénérescence neurofibrillaire" (DNF) peut affecter ces neurones. La DNF est caractérisée par une accumulation intra-neuronale de filaments pathologiques, signe avant-coureur de la mort neuronale. La DNF est observée particulièrement au cours de la maladie d'Alzheimer, où les grands neurones des régions corticales associatives vont dégénérer par millions, puis par milliards. Ceci va provoquer progressivement et inexorablement la perte des fonctions intellectuelles et conduire à la démence. La maladie d'Alzheimer se manifeste essentiellement chez les personnes âgées. Etant donné le vieillissement de la population des pays industrialisés, cette maladie est de plus en plus fréquente et est en passe de devenir un grave problème socio-économique.
Les espoirs thérapeutiques reposent en partie sur les moyens de ralentir la DNF, en découvrant de nouvelles molécules neuro-protectrices. Ces espoirs sont permis, car les dysfonctionnements moléculaires responsables sont de mieux en mieux connus. En effet, les fibrilles intraneuronales de la DNF sont constituées par l'agrégation de protéines anormalement phosphorylées. Le rôle normal des protéines Tau est de stabiliser les microtubules, véritables rails du transport intraneuronal. Dès 1989, le laboratoire du Dr A. Delacourte mettait en évidence le concept de "protéines Tau pathologiques", marqueurs biochimiques de la maladie d'Alzheimer. En effet, ces protéines Tau pathologiques sont observées dans la presque totalité des régions cérébrales des patients Alzheimer. Elles ne sont jamais observées chez les personnes âgées normales, à l'exception d'une région particulière nommée la région hippocampique. Cette dernière joue un rôle important dans les fonctions mnésiques (mémoire à court et à long terme).
Les protéines Tau pathologiques de la maladie d'Alzheimer ont un profil très caractéristique : il s'agit d'un triplet nommé Tau 55, 64, et 69, en fonction de la masse moléculaire de ces protéines.
En 1991, l'équipe montrait que le profil des protéines Tau pathologiques peut-être différent dans d'autres maladies neurodégénératives. Le premier exemple provient de la paralysie supranucléaire progressive (PSP), qui est une maladie caractérisée par une dégénérescence neurofibrillaire qui touche d'abord les noyaux sous-corticaux puis le cortex, et qui provoque une démence. Quelle que soit la région étudiée, l'équipe a montré que l'on trouvait un doublet de protéines Tau pathologiques (Tau 64 et 69). La signature biochimique des protéines Tau pathologiques dans la PSP est donc différente.
Le deuxième exemple provient des démences fronto-temporales. la première pathologie de ce groupe est la maladie de Pick où l'on observe une atrophie considérable du cortex frontal et la présence de lésions caractéristiques : les corps de Pick. Le Professeur DELACOURTE a pu montrer récemment que ces lésions sont constituées d'un doublet de protéines Tau pathologiques 55 et 64. Il s'agit donc d'un troisième type de profil. L'autre pathologie rattachée aux démences fronto-temporales est la dégénérescence du lobe frontal. Il s'agit d'une pathologie de caractérisation récente, bien que cette maladie soit assez fréquente, puisqu'il s'agit de la deuxième pathologie neurodégénérative, après la maladie d'Alzheimer. Pour cette maladie qui ne possède pas de lésions caractéristiques, les travaux ont montré qu'il y avait des protéines Tau pathologiques particulières. Ainsi, la présence de lésions moléculaires spécifiques a été mise en évidence.
Mr DELACOURTE et son équipe ont continué la caractérisation des maladies neurodégénératives, et sont maintenant capables de reconnaître sept types différents de processus dégénératifs.
Mr DELACOURTE nous confiait : "Cette étude qui a véritablement démarré en 1989, est le fruit du travail de plusieurs membres de l'équipe (photo1) -Annick Wattez et les Docteurs Stéphane Flament, Patrick Vermersch, Luc Buée, Valérie Buée-Scherrer, Messieurs Nicolas Sergeant et Thierry Bussière-, et de nombreuses collaborations -Dr Chantal Mourton du CNRS-UMR 9921 ; Pr P. Hof du Mount Sinai Hospital de New-York, Pr Yves Robitaille du Projet IMAGE de Montréal ; AP-HP et les services de Neurologie de Lille, Caen et Strasbourg).
De l'ensemble de notre étude, nous remarquons que les protéines Tau pathologiques présentes dans le cortex cérébral sont toujours associées à un déclin cognitif sévère, quels que soient la pathologie et le profil des protéines (triplet ou doublet). Il s'agit donc d'un marqueur biochimique étroitement associé aux signes cliniques.
Nos perspectives sont d'élargir notre étude à un plus grand nombre de patients et à un plus grand nombre de maladies neurodégénératives. Les retombées de nos travaux devraient se manifester au niveau de la compréhension des mécanismes moléculaires de la dégénérescence et de l'élaboration de modèles expérimentaux des différents types de dégénérescence neurofibrillaire. Le projet qui nous tient le plus à coeur est d'élaborer des sondes immunologiques spécifiques de chaque sous-groupe de protéines Tau pathologiques. Nous espérons ainsi pouvoir élaborer un test diagnostique de la maladie d'Alzheimer qui soit précoce (au tout début des signes cliniques) et périphérique (à faire à partir du sang ou du liquide céphalo-rachidien)."
B BOUILLARD