Octobre 1996 - n°11
Rencontre avec Joël Nargeot, Directeur de recherche au CNRS, distingué par la Fondation pour la Recherche Médicale pour ses recherches sur les canaux calciques
Cette année, deux chercheurs se sont partagés le prix J. P. BINET de cardiologie de la Fondation pour la Recherche Médicale: Jean- Baptiste Michel (INSERM - Paris) et Joël Nargeot (CNRS - Montpellier). Nous avons rencontré ce dernier au Centre de Recherche de Biochimie Macromoléculaire (C.R.B.M., Directeur Jacques DEMAILLE) où il dirige une équipe d'une dizaine de personnes: le groupe d'étude de la physiopathologie des canaux calciques. " Comprendre le fonctionnement des canauxcalciques dans le coeur mais aussi dans les autres organes" telle est la motivation de cet électrophysiologiste qui a débuté ses recherches à Tours avant de rejoindre le C.R.B.M. de Montpellier.
Les canaux calciques: que
font ils ?
Les ions calcium sont impliqués dans le développement et
le contrôle de nombreuses fonctions cellulaires comme la contraction musculaire,
le tonus artériel ou la libération d'hormones et de neurotransmetteurs.
Ces fonctions cellulaires - et bien d'autres... - dépendent de l'entrée
rapide de calcium dans les cellules excitables. Cette entrée est réglée
principalement par des macromolécules de la membrane plasmique, les
canaux calciques. L'ouverture de ces canaux est déclenchée
par une dépolarisation de la membrane cellulaire, elle doit être
brève pour permettre une entrée transitoire de calcium. (Toute
élévation durable de calcium peut engendrer des situations pathologiques).
On peut distinguer deux principales catégories de canaux calciques en
fonction de leur seuil d'activation. La première catégorie s'active
pour de faibles dépolarisations membranaires, ce sont les L.V.A. pour
"Low Voltage Activated"ou T " Transient"car ils s'inactivent
rapidement. La seconde catégorie est activée par des dépolarisations
plus élevées, ce sont les HVA pour "High Voltage Activated
". Plusieurs types de canaux calciques HVA ont été décrits.
La diversité des canaux
calciques
" Le C.R.B.M. - aux compétences multIdisciplinaires - me donne
l'opportunité de développer de nouvelles approches, notamment
les techniques de blologie moléculaire...>, explique Joël Nargeot.
" Ces techniques ont permis le clonage de plusieurs gènes codant
pour des canaux calciques et l'utilisation des modèles d'expression fonctionnelle
pour des études structure-fonction ". Les modèles d'expression
fonctionnelle sont des cellules ne possédant pas de canaux ioniques et
dans lesquelles on peut donc mesurer l'expression du gène cloné.
Le premier modèle d'expression utilisé (le plus facile et le plus
robuste) est l'ovocyte de xénope capable d'exprimer des protéines
membranaires fonctionnelles après injection d'ARNm ou d'ARN transcrit
in vitro à partir d'un ADNc. L'expression de gènes clonés
est aussi étudiée dans des lignces cellulaires de mammifères
comme les fibroblastes. " Nous travaillons aussi sur des cellules cardiaques
humaines "précise Joël Nargeot,"...grâce à
une coopération avec le service de cardiologie de l'hôpital Arnaud
de Villeneuve, nous récupérons des micro-fragments tissulaires
cardiaques à l'occasion de poses de sondes. Ces recherches ont notamment
permis de mettre en éviden des récepteurs spécifiques
à l'espèce humaine".
Les techniques récentes de blologie moléculaire combinées
à celle du patch clamp ont largement fait progresser les recherches dans
le domaine de l'étude des canaux calciques, en particulier, elles ont
introduit le concept de la diversité moléculaire des canaux calciques.
" Un canal calcique est un assemblage de plusieurs sous-unités protéiques
et il existe au moins 6 gènes codant pour celle qui forme le canal et
4 gènes codant pour la sous-unité associée régulatrice.
Il est nécessaire de comprendre cette diversité afin de proposer
des stratégies pour le développement de nouvelles molécules
d'intérêt thérapeutique " explique Joël Nargeot.
Un enjeu thérapeutique
L' ion calcium est un messager intercellulaire vital pour de nombreuses
fonctions physiologiques mais une élévation maintenue de sa concentration
intracellulaire est toxique et entraîne des pathologies. On peut citer
I'ischémie cardiaque ou I'ischémie cérébrale. Dans
le traitement de ces pathologies, les canaux calciques sont des cibles thérapeutiques
potentielles. Les molécules dites " antagonistes" calciques
qui bloquent le canal calcique sont d'ailleurs parmi les plus utilisées
dans le monde pour le traitement des maladies cardiovasculaires. Les recherches
récentes permettent de penser que l'on peut améliorer la spécificité
de ces molécules. Dans le cas de l'ischémie cérébrale,
si les antagonistes calciques ont à l'heure actuelle une efficacité
limitée, il est probable que ce soit dû en partie à leur
manque de spécificité entre les isoformes neuronales, cardiaques
ou vasculaires. La encore, les recherches ont un grand enjeu thérapeutique.
Vers une approche génétique
Depuis le début de ses recherches sur les canaux calciques, Joël
Nargeot a toujours eu une volonté d'approche pluridisciplinaire. Avec
l'emménagement prochain de son équipe à l'lastitut de Génétique
Humaine dont les travaux vont démarrer sous peu, une diversification
vers la génétique est prévue. En effet, la variété
des gènes codant pour des canaux calciques et l'importance physiologique
des processus qu'ils contrôlent permettent de penser qu'ils sont sans
doute impliqués dans la physiopathologie de certaines maladies chez l'homme.
" L'équipe de Bertrand Fontaine (INSERM, Paris), avec laquelle nous
collaborons, a récemment montré qu'une mutation du canal calcique
de muscle squelettique est responsable de la Paralysie Périodique Hypokaliémique
(HypoPP) et on parle aussi de l'implication des canaux calcIques neuronaux dans
certaines maladies autoimmunes" conclut Mr Nargeot.
La technique de patch clamp
C'est la technique électrophysiologique la plus utilisée
aujourd'hui. Elle permet l'enregistrement de l'activité électrique
d'une cellule isolée ou d'un canal unique. Mise au point par les Docteurs
Neher et Sackmann (Prix Nobel de Médecine en 1991), la technique consiste
à appliquer une pipette de verre de faible diamètre sur la surface
de la membrane de la cellule et à créer une faible dépression
à l'intérieur de cette pipette. Cela permet d'aspirer légèrement
la membrane de la cellule se trouvant sous la pipette et d'établir un
contact électrique de très forte résistance. On peut de
cette manière enregistrer le courant de très faible amplitude
(proche du picoampère) qui s'écoule à travers un canal
unique isolé dans la portion de membrane à l'extrémité
de la pipette. Cette configuration est dite cellule attachée. Une succion
plus forte appliquce à la membrane induit la rupture de la portion de
membrane à l'extrémité de la pipette et met en communication
les milieux intrapipette et intracellulaire. Cela permet d'enregistrer l'activité
électrique de l'ensemble de la membrane cellulaire, c'est-à-dire
le courant à travers l'ensemble des canaux. Cette configuration est dite
cellule entière.
v. CROCHET