Novembre 1996 - n°12

Université de la Méditerranée (Aix-Marseille II ) : Gros plan sur Le Laboratoire de Biogénotoxicologie et Mutagenèse Environnementale

Le Laboratoire de Biogénotoxicologie et Mutagenèse Environnementale dirigé par le Professeur G. DUMENIL, résulte de l'association en 1984 de deux équipes: ie laboratoire de Microblologie Industrielle et Mutagenèse Environnementale de la Faculté de Pharmacie (responsable Pr. G. DUMENIL) et le laboratoire de Biogénotoxicologie du service de Médecine du Travail de la Faculté de Médecine (responsable Pr. A. BOTTA).

Pour savoir en quoi consiste la biogénotoxicologie et la mutagenèse environnementale, nous avons rencontré le Pr DUMENIL et ses plus proches collaborateurs à la Faculté de Pharmacie de Marseille: Mmes les Drs LAGET et GUIRAUD-DAURIAC et Mr le Dr DE MEO, tous trois Maïtres de Conférences Universitaires.

Leurs travaux s'inscrivent dans le cadre de la Toxicologie Génétique qui concerne l'étude des agents susceptibles d'altérer l'ADN d'une cellule vivante.

En effet, différents agents sont potentiellement génotoxiques (toxiques pour le génome) et peuvent créer des lésions au niveau de la double hélice d'ADN: c'est le cas des rayons UV, de la radioactivité, de divers produits chimiques ou de polluants de l'atmosphère.

Heureusement, la cellule possède des systèmes de réparation. Parmi eux, certains réparent en totalité l'ADN et ne laissent aucune trace de "I'attaque" du composé génotoxique; d'autres assurent la survie de la cellule quand les premiers sont débordés, mais dans ce cas la réparation de l'ADN n'est pas totale et peut conduire à des mutations. "Au sein du laboratoire, nous appliquons et nous mettons au point des tests de génotoxicité, c'est-à-dire capables de mesurer les lésions de l'ADN. Ils nous permettent de réaliser différentes études comme le suivi de salariés exposés à des agents génotoxiques ou l'évaluation du potentiel génotoxique de nouvelles molécules. Ces méthodes sont aussi utillsées pour sélectionner des molécules ayant une activité antimutagène", nous explique l'équipe du Pr DUMENIL.

Les tests de génotoxicité
Le test de génotoxicité le plus largement utilisé actuellement est un test d'AMES, qui met en œuvre des cellules procaryotes. L'activité mutagène de l'échantillon est mesurée par l'apparition de colonies mutantes de Salmonella typhimurium, et le laboratoire marseillais a été un des premiers à l'implanter dans la région.
Monsieur DE MEO l'a optimisé dans le but de le rendre plus sensible et cette technique modifiée est décrite dans la littérature sous le nom de microméthode. Le test d'AMES permet de mesurer le potentiel génotoxique d'un produit pur, mais aussi de dépister des métabolites génotoxiques dans les urines d'individus professionnellement exposés. C'est un test rapide et peu coûteux mais limité par son extrapolation à la cellule eucaryote.

Le test de numérisation des micronoyaux est lui réalisé sur cellules eucaryotes, lors d'une lésion majeure de l'ADN, une fraction de chromosome ou un chromosome entier après la division cellulaire peut se détacher et former un micronoyau visible après coloration au microscope. Sur culture de cellules, ce test de micronoyaux permet de mesurer la génotoxicité des produits purs et appliqué aux Iymphocytes humains, il permet d'évaluer l'exposition professionnelle à des toxiques.

Ce test ayant le désavantage d'être lourd à mettre en œuvre, les chercheurs lui préfèrent une nouvelle technique: le test des comètes que l'équipe du Pr DUMENIL a été une des premières à développer en France. Il s'agit d'un test sur cellules eucaryotes qui consiste en l'étude du matériel nucléaire de cellules individuelles.

D'une facon schématique, I'ADN peut être représenté sous la forme d'une bobine de fil et après cassures simples ou doubles brins induites par le composé génotoxique, cette bobine se segmente. Positionnée dans un champ électrique, la bobine s'étire et prend la forme d'une comète plus ou moins allongée proportionnellement au nombre de lésions. Avec ce test, les chercheurs visualisent toutes les lésions mais aussi celles provoquées par les mécanismes de réparation. C'est le gros avantage de cette méthode comparée aux deux précédentes qui ne détectent que le stade final, c'est-à-dire les lésions ayant entraîné une mutation.

Cette technique récente a d'abord été appliquée sur des Iymphocytes humain, puis l'équipe du Pr DUMENIL l'a étendue à d'autres types de cellules. Lobjectif est de travailler prochainement sur des animaux entiers pour déterminer le tissu cible d'un composé génotoxique. L'apport des techniques de cytométrie en flux introduites dans le laboratoire par le Dr GUIRAUD-DAURIAC a permis d'étudier l'effet des génotoxiques sur les systèmes d'ADN et d'aborder, à ce niveau, les possibilités de réparation de la cellule.

Les applications

Le suivi de salariés: le laboratoire répond à de nombreuses demandes de médecins du travail sur la région mais aussi pour des études au niveau européen et international. Les urines d'infirmières exposées aux produits cytostatiques, les urines de personnel exposé aux émissions de cokerie, les urines de fumeurs ont fait l'objet d'études par le test d'AMES.
A noter que pour la dernière catégorie, le test d'AMES modifié permet de détecter des métabolites génotoxiques dans des urines de fumeurs "lépers" (moins de cinq cigarettes par jour). "Le but de ces études est d'informer les médecins du travail, en aucun cas nous n'extrapolons sur les conséquences de la présence de ces métabolites dans les urines" précisie le laboratoire.

L'évaluation du potentiel génotoxique: pour les chimistes désireux d'utiliser de nouvelles molécules (naturelles ou de synthèse), le laboratoire évalue leur pouvoir génotoxique. De la même façon, il complémente les fiches de sécurité de nombreux produits ou médicaments déjà sur le marché.

La mise au point de méthodes de dégradation de composés génotoxiques: à la demande du Centre International de la Recherche sur le Cancer (C.l.R.C.), le laboratoire participe à la mise au point de méthodes de dégradation de produits mutagènes largement utilisés en laboratoires et hôpitaux et dont l'élimination pose problème. Plusieurs méthodes ont déjà été publiées, elles concernent notamment le bromure d'éthidium (BET), les agents alkylants, les agents anticancéreux.
Cette étude sera prochainement étendue aux liquides physiologiques présentant une activité génotoxique résiduelle.

La recherche de composés antimutagènes: I'équipe s'intéresse également à la recherche des molécules naturelles ou de synthèse capables d'inhiber les effets génotoxiques.

Le Dr LAGET, responsable de cette étude, nous donne l'exemple concret de la vitamine C ou de la chlorophylle qui sont des modèles capables d'inhiber l'effet de produits mutagènes apportés par l'alimentation.
En parallèle de leurs activités de recherche, les enseignants chercheurs du laboratoire assurent la formation de personnel extérieur désireux d'acquérir ces techniques très spécifiques. "Nous avons actuellement beaucoup de demandes de divers industriels pour une formation sur le test des comètes", précisent-ils.

V CROCHET

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