Décembre 1996 - n°13
Station de recherches sur les champignons - INRA Bordeaux
"La domestication des champignons comestibles"
L'automne et l'hiver sont des saisons riches en champignons et les forêts et sous-bois comptent de nombreux promeneurs en quête des mets savoureux que sont les cèpes ou les truffes. L'image du champignon est celle d'un végétal sauvage que l'on va cueillir dans la nature, pourtant de nombreuses espèces sont déjà domestiquées. La France produit environ -par an- 200 000 tonnes de champignons de Paris, 2500 tonnes de pleurotes, 500 tonnes de shii-také -champignons parfumés- et 100 tonnes de pieds bleus.
Et la truffe ? La fameuse truffe noire du Périgord, est aussi cultivée, sa production est encore faible (40 à 60 tonnes par an) mais présente une bonne valeur ajoutée puisque le kilo se négocie autour des 2200 francs !
Maîtriser la culture des champignons est un long travail
qui nocessite une connaissance approfondie de leur biologie, des substrats qu'ils
utilisent et des populations microbiennes, amies ou ennemies de chacun.
Une fois leur culture en conditions artificielles maî'trisée, il
faut aussi améliorer les espèces pour leur rendement économique.
Pour nous parler de ces recherches très appliquées, nous avons
rencontré J.M. Olivier, Directeur de la Station de recherches sur les
champignons, INRA à Bordeaux. Créée en 1972, cette station
a pour vocation " I'étude biologique et la domestication des champignons
comestibles", les chercheurs travaillent à l'amélioration
des espèces cultivées et à la domestication toujours plus
vaste des champignons.
Deux grands types de champignons,
deux approches biologiques différentes.
Les champignons comestibles appartiennent à deux catégories
bien définies par leur écologie.
Les espèces saprophytes se développent hors sol sur un support d'origine végétale ayant subi un degré de décomposition plus ou moins poussée. C'est le cas du champignon de couche (ou champignon de Paris), des pleurotes, des pieds bleus...
Les espèces mycorhiziennes vivent en association
symblotique avec un arbre. On peut citer dans cette catégorie quelques
champignons de grande valeur gastronomique comme les truffes, les cèpes
ou les girolles...
Parmi toutes ces espèces, certaines sont déjà cultivées,
d'autres sont en voie de l'être. Les champignons saprophytes sont souvent
plus faciles à cultiver que les mycorhiziens car leur mycélium
colonise les supports de façon autonome. La domestication des champignons
mycorhiziens qui vivent en symbiose avec les arbres sur leurs racines est plus
difficile. Néanmoins, un système moderne de culture des truffes
s'est mis en place au milieu des années 70.
Des recherches pluridisciplinaires:
de la biologie moléculaire à l'agronomie
La station de recherches sur les champignons compte trois unités
de recherche et une unité d'expérimentation. Une équipe
travaille sur la génétique des champignons avec un volet
de biologie moléculaire. Une autre équipe étudie la biochimie
des champignons à travers essentiellement le système enzymatique
du processus de nutrition. Une dernière équipe effectue des recherches
sur les relations champignons-microorganismes qu'elles soient positives,
avec des microorganismes qui préparent le "terrain" pour le
développement du mycélium, ou négatives avec les microorganismes
pathogènes pour le champignon. L'unité expérimentale permet
de développer à plus ou moins grande échelle des technologies
de cultures intégrant les résultats des équipes précédentes.
Tous ces thèmes de recherches s'appliquent indépendamment aux
deux types de champignons mais les champignons saprophytes représentent
75% de 1'activité de la station. Leurs cultures déjà très
industrialisées notamment pour le champignon de Paris -la France est
le 3ème pays producteur après les USA et la Chine- entrament de
nombreuses demandes de recherches pour améliorer les rendements et la
qualité. Chez les mycorhiziens, les études sur la truffe sont
particulièrement d'actualité.
Amélioration génétique
du Champignon de Paris
Le champignon de Paris a fait l'objet de nombreuses recherches à
la station INRA de Bordeaux: mise au point d'une technologie de fermentation
des substrats (le compostage " in door " contrôlé), lutte
contre les maladies... Plus récemment, les chercheurs se sont intéressés
à l'amélioration génétique du champignon de couche.
En effet, la variabilité génétique du champignon de couche
cultivé est très faible et au début des années 1990,
un programme de prospection pour la recherche de cette espèce à
l'état sauvage a été lancé. Ce programme fait l'objet
d'un contrat cadre associant l'INRA, le Centre Technique du Champignon et l'Association
Nationale Interprofessionnelle du Champignon de Couche.
Plus de 500 souches différentes ont été mises en collection
suite à la prospection sur la France et des croisements génétiques
sont en cours dans le but d'obtenir de nouvelles souches dont la vitesse de
croissance, la qualité organoleptique et la résistance aux maladies
sont améliorées. Des brevets ont déjà été
déposés et les nouvelles variétés sont actuellement
évaluées par les organismes techniques.
Maîtriser l'hétérogénéité
de la trufficulture.
La truffe ne vit qu'associée aux racines d'un arbre porteur: le champignon
et la racine forment un organe mixte, la mycorhize, et cette symbiose profite
aux deux organismes simultanément. C'est en 1973 que l'INRA de Clermont-
Ferrand réalise pour la première fois la mycorhization artificielle
de noisetiers et de chênes par les truffes. En parallèle, I'INRA
de Bordeaux travaille sur l'environnement écologique de la trufficulture,
notamment le choix des sols. Il faut compter 1 à 2 ans entre l'inoculation
de l'arbre et sa plantation, puis 5 ans pour obtenir les premières truffes
chez le noisetier et 10 ans chez le chêne ! Actuellement 400 000 nouveaux
plants mycorhizés sont mis en culture chaque année. La trufficulture
est en plein essor et le Ministère de l'Agriculture a lancé un
plan d'aide à cette culture. J.-M. Olivier coordonne ce projet, qui associe
tout un réseau d'expérimentations dans les régions truffières
(Sud-Ouest, Sud-Est et Bourpogne) et des travaux de recherche en laboratoires.
Le but est d'optimiser les conditions de culture et notamment de lutter contre
l'hétérogénéité des récoltes pour
une même plantation.
Le clonage in vitro des chênes et des noisetiers
La source essentielle de l'hétérogénoité est
l'arbre lui-même. Comme les noisettes ou les glands sont formés
par voie sexuée non contrôlée, les arbres inoculés
ont des caractéristiques variées. Pour produire des populations
d'arbres homogènes, on prélève sur un chêne ou un
noisetier des fragments comportant des bourgeons et on les repique dans des
milieux de culture contrôlés. L'association du champignon à
l'arbre s'effectue en aseptie totale toujours in vitro. On utilise des spores
isolées d'une partie du carpophore (chapeau) de la truffe. Quelques gouttes
de cet inoculum liquide sont déposées sur les racines des plantules
cultivées.
On obtient ainsi des milliers de copies du même clone mycorhizé.
La difficulté réside dans la sortie de ces plants et leur mise
en contact avec l'environnement traditionnel de culture. Les expérimentations
en champ sont en cours à l'INRA de Bordeaux pour la mise en uvre
pratique de ces clones. D'autres travaux sont réalisés en parallèle
sur la truffe. Le cycle biologique et la sexualité de la truffe ont fait
l'objet d'une thèse à la station et l'amélioration des
techniques d'identification des différentes espèces de truffes
est aussi d'actualité.
Des outils biochimiques et génétiques d'identification ont déjà
été mis au point conjointement par l'INRA de Bordeaux et de Clermont-Ferrand.
Ces méthodes sont utilisées en routine à Clermont-Ferrand
dans le cadre de la Répression des Fraudes. L'espèce de la truffe
doit en effet être précisée à l'étalage car
la qualité gastronomique et le prix diffèrent d'une espèce
à l'autre.
En revanche, il n'y a pas obligation de mentionner son origine: truffe sauvage
ou cultivée car il n'y a aucune différence organoleptique observable.
A ce sujet, I'INRA de Bordeaux a effectué des recherches sur les qualités
aroma tiques des champignons et a collaboré pour la truffe avec le CATAR
de Toulouse (voir notre article dans le numéro précédent).
L'INRA travaille aussi à la culture des lactaires et des bolets, autres
champignons mycorhyziens associés au pin maritime. Du côté
des champignons saprophytes, I'INRA a par ailleurs apporté des améliorations
pour la culture des champignons parfumés, des pleurotes et des pieds
bleus.
Certains champignons comme les morilles, les cèpes ou les girolles ne
sont pas encore cultivés mais les cèpes font l'objet de recherches
actives à l'INRA pour tenter d'élucider leur mécanisme
de reproduction et de fructification.
V.CROCHET