Janvier 1997 - n°14
INSERM 399 MARSEILLE - Localisation chromosomique du gène majeur déterminant la résistance à la bilharziose
Un pas important vient d'être franchi dans la recherche du déterminisme des formes graves de bilharziose par les chercheurs de l'unité 399 de 1'INSERM dirigée par le Pr Alain DESSEIN à la faculté de médecine de Marseille. Ils viennent en effet, de localiser dans les chromosomes humains une courte région contenant un gène déterminant la résistance ou la susceptibilité de l'organisme à la bilharziose.
Qu'est ce que la bilharziose ?
La bilharziose ou schistosomiase est une infection parasitaire due aux schistosomes.
Les schistosomes sont des organismes eucaryotes appartenant à la classe
des vers plats (Trématodes) à sexe séparé. Le genre
Schistosoma comprend plusieurs espèces S mansoni et S japonicum étant
les plus pathogènes pour l'homme.
Les schistosomes infectent un escargot aquatique. Le mollusque infesté
libère des larves et l'homme est infecté à son tour au
contact des eaux contaminées La forme larvaire pénètre
la peau de l'être humain par digestion des tissus et migre dans le système
vasculaire. En 4 à 5 semaines, elle se transforme en un vers adulte (1
à 2 cm de long) et s'établit dans les rameaux de la veine porte
pour plusieurs années. Les vers femelles pondent des ufs; une partie
perfore la paroi intestinale et passent dans les selles. Dans I'eau, les ufs
éclosent et contaminent de nouveaux mollusques contribuant ainsi à
la propagation du parasite. L'autre partie de la ponte est entraînée
par le sang vers le foie où les ufs sont bloqués et initient
une réaction inflammatoire qui est à I origine des formes cliniques
graves de cette parasitose car elle a pour conséquence une augmentation
importante de la pression du sang dans la veine porte. Les infections élevées
sont donc associées à une maladie chronique avec évolution
vers la cirrhose. Aucune méthode ne permet actuellement de contrôler
durablement cette maladie parasitaire qui sévit par endémie. Les
médicaments sont peu efficaces contre les formes graves et n'empêchent
pas les réinfections
La bilharziose est à I aube de l'an 200O un fléau sanitaire encore
non maîtrisé.
Cette découverte constitue un pas essentiel dans la compréhension d'une maladie parasitaire présente à l'état endémique dans de nombreuses régions d'Amérique du Sud, d'Asie et d'Afrique. La bilharziose ou schistosomiase atteint près de 300 millions de personnes dans le monde et provoque près de 20000 Ddécès chaque année. C'est après le paludisme la maladie parasitaire la plus répandue dans les pays en voie de développement. Cette localisation chromosomique est l'aboutissement de plusieurs années de recherche qui ont associé les méthodes modemes d'épidémiologie, de génétique et d'immunologie. C'est aussi une grande aventure scientifique et humaine.
Pourquoi certains individus
sont-ils plus infectés que d'autres ?
Dans les régions où la bilharziose est endémique,
une fraction seulement de la population présente une infection élevée
et développe une forme clinique grave. Au début des années
1980, le Dr Alain Dessein, lors d'un séjour dans le Nord-Est brésilien,
prend conscience que de grandes différences existent entre les habitants
de cette région face à l'infection. Si de telles inégalités
avaient déjà été décrites, on les attribuait
plus volontiers -à cette époque- à des facteurs sociaux
ou au mode de vie, plutôt qu'à un déterminisme génétique.
C'est pourtant un tel facteur génétique qu'Alain Dessein suspecte
chez ces populations infectées. Il engage alors une étude épidémiologique
de plusieurs années en collaboration avec les médecins brésiliens
de la faculté de médecine d'Uberaba.
Cette étude a été effectuée dans un village du Nord-Est
brésilien où la bilbarziose est la seule endémie parasitaire
ayant des conséquences médicales majeures. Le village est traversé
par une rivière peuplée de nombreux mollusques dont certains sont
infectés par Schistosoma mansoni. Comme la rivière est la principale
source d'eau pour les usages domestiques et pour l'irrigation, toute la population
est infectée mais à des niveaux d'infection variables.
Aucun facteur environnemental
ou comportemental n'explique l'hétérogénéité
de l'infection
Le niveau d'exposition au parasite de plus de 400 personnes fut enregistré
plusieurs fois par jour pendant plusieurs années. Ces observations permirent
d'évaluer l'influence du niveau d'exposition sur la charge parasitaire,
laquelle était mesurée par comptage des ufs du parasite
dans les selles.
L'analyse statistique des paramètres relevés montre alors une
influence certaine du sexe, de l'âge et de la fréquence d'exposition,
mais elle montre également qu'ils ne suffisent pas à expliquer
les différents niveaux d'infection rencontrés. Les chercheurs
remarquent par ailleurs que les personnes les plus résistantes sont regroupées
dans les mêmes familles, tandis que les personnes les plus sensibles appartiennent
à d'autres familles. En raison d'une telle ségrégation
familiale, la susceptibilité à la bilharziose semble dépendre
d'un mécanisme génétique assez simple.
Les moyens disponibles pour mettre en évidence l'intervention de facteurs
génétiques dans des affections multifactorielles, comme les maladies
infectieuses, sont des méthodes statistiques, essentiellement l'analyse
de ségrégation et l'analyse de linkage (ou analyse de liaison).
L'analyse de ségrégation est la première étape nocessaire pour déterminer, à partir de données familiales, le mode de transmission d'un phénotype, avec comme but principal, I'identification d'un gène unique, appelé gène majeur. Le principe général de cette méthode est de déterminer, par des tests statistiques, le mode de transmission expliquant le mieux les distributions familiales observées du phénotype étudié. Des modèles mathématiques ont récemment été développés et incluent l'influence de facteurs environnementaux et génétiques dans les différentes hypothèses concernant le mode de transmission du phénotype.
L'analyse de linkage permet de localiser le gène étudié sur le chromosome en étudiant dans les familles sa transmission conjointe avec des marqueurs génétiques. Cependant, cette méthode nécessite que le rôle de ce gène dans l'expression du phénotype étudié ait déjà été prouvé par d'autres moyens, et en particulier par une analyse de ségrégation préalable.
La résistance à la bilharziose est d'origine génétique
Une analyse de ségrégation est donc menée, en collaboration avec Laurent Abel de l'unité INSERM 436 (CHU Pitié-Salpêtrière - Paris), sur des données recueillies à partir de 45 familles. En 1991, les résultats de cette analyse permettent de conclure à la présence d'un gène majeur contrôlant chez l'homme la susceptibilité à l'infection par S. mansoni. Un allèle est associé aux infections graves, I'autre est lié aux infections quasi-silencieuses. L'intuition d'Alain Dessein du déteminisme génétique est donc confirmée. Les chercheurs français se lancent alors dans l'analyse de liaison pour confirmer l'existence de ce gène et le localiser sur le génome humain.
Le gène SM1
Une étudiante, Sandrine Marquet rejoint l'unité 399, où
elle est chargée avec Dominique Hillaire, Ingénieur, INSERM de
la même unité, du génotypage dans le cadre de sa thèse.
Un travail énorme qui nécessite selon ses termes "dêtre
rigoureux, reproductible etpatient". Pas moins de 60 000 réactions
PCR seront en effet nécessaires pour la localisation de ce gène
! En s'aidant de la carte du génome humain développée par
Jean Weissenbach au Généthon et avec la méthode de localisation
génétique qui s'appuie sur le polymorphisme des microsatellites
C-A, les génomes complets de 142 sujets issus de 11 familles sont analysés.
La plupart des réactions PCR ont été réalisées
au généthon où le matériel mis à disposition
permet de traiter simultanément 16 microplaques de 96 puits. Le travail
ultérieur sur membranes a été effectué au laboratoire
de la faculté de médecine. Une fois ces membranes lues et relues
pour confirmation par une autre personne, toutes les données ont été
compilées et analysées en collaboration avec Laurent Abel.
Enfin, en 1996 le gène SM1 (pour Schistosoma mansoni 1) est localisé
dans la région q31 - q33 du chromosome 5.
Une découverte confortée
par les immuno logistes
" Cette découverte doit être rapprochée des résultats
obtenus par les immunologistes de notre groupe" précise Alain Dessein.
En effet, les chercheurs ont montré que les niveaux de résistance
chez les sujets étudiés sont fonction d'un équilibre entre
IgE/lgG4, les IgE jouant un rôle protecteur et les IgG4 jouant un rôle
facilitant l'infection. IgE et IgG4 dépendent totalement de l'IL-4 et/ou
de l'IL-13 pour leur synthèse. Les gènes codant ces cytokines
sont dans la région 5q31-33.
De plus, la production de Iymphokines par les clones Iymphocytaires T issus
de ces patients homozygotes "sensibles" et homozygotes "résistants"
a été étudiée. Les clones provenant de ces deux
classes de patients se révèlent différents dans la production
d'lL-4, IL-10, IL-5 et interféron. Les clones provenant de sujets résistants
produisent plus d'lL-4, IL-10 et d'lL-5 que les clones de sujets sensibles alors,
qu'à l'inverse, ces derniers produisent plus
d'interféron que les premiers.
La région 5q31-33 comprend également les gènes de l'IL-5,
de l'IL-12 et de l'IRF-1, ces deux dernières protéines sont capables
de réguler la transcription du gène d'interféron.
Ainsi les études génétiques et les études immunologiques,
conduites indépendamment produisent des résultats concordants.
"L'approche génétique seule est insuffisante, conclut Alain
Dessein ...Elle doit être doublée d'une étude immunologique".
Le gène est en cours de caractérisation à l'unité 399 et son implication dans la résistance est susceptibilité à d'autres pathologies comme le paludisme, la tuberculose et la maladie de Chagas est activement étudiée. L'enjeu scientifique et médical de ces recherches est important. L'identification du gène SM1, la découverte de facteurs génétiques comparables dans d'autres maladies pourraient permettre un meilleur suivi médical par des tests de diagnostic rapide et la mise au point de nouvelles substances thérapeutiques.
v CHOCHET