Mars 1997 - n°16

Le laboratoire de neurocybernétique cellulaire à Marseille, "L'étude des mécanismes de fonctionnement des neurones"

Un neurone est constitué d'un corps cellulaire (ou soma) et de prolongements: dendrites et axone. En fait, l'arborisation dendritique représente 95% de la surface membranaire du neurone et sa forme est variable selon la région du cerveau.

"Au laboratoire, nous étudions la relation qui existe entre les différentes formes de neurones et leurs capacités à traiter l'information nerveuse", nous explique J.P. TERNAUX, directeur du laboratoire "notre approche est résolument pluridisciplinaire puisque nous associons, au laboratoire ou par le biais de collaborations, l'électrophysiologie, l'enregistrement optique, la morphologie photonique ou électronique, la culture cellulaire, la modélisation et tout récemment, la biologie moléculaire et la virologie".

Le laboratoire a pris pour modèle les motoneurones, c'est-à-dire les neurones qui innervent les muscles.

Observer les neurones en 3dimensions

Pour étudier la relation structure/fonction d'un neurone, la première chose est bien sûr de connaître exactement sa forme. Le laboratoire de neurocybernétique cellulaire a développé un logiciel performant qui permet, à partir d'observations de coupes histologiques, de reconstituer l'image du neurone en 3 dimensions.

Un colorant est injecté dans le soma d'un motoneurone (ou directement dans le muscle associé à ce neurone) ; par le phénomène de transport rétrograde, le produit diffuse dans toute l'arborisation dendritique. L'histologie en coupes sériées couplée à l'informatique permet ensuite de reconstruire la géométrie du neurone en 3 dimensions.

Mesurer l'activité des neurones

L'influx nerveux peut être mesuré par des micro-électrodes mais celles-ci ne peuvent être positionnées que sur le soma du neurone car les dendrites sont trop fines. Le potentiel enregistré est donc la résultante de tous les potentiels électriques générés au niveau de l'arborisation dendritique. L'étude de la variation de polarisation au niveau d'une dendrite isolée n'étant pas possible avec les micro- électrodes, les chercheurs marseillais ont élaboré une autre technique pour observer la transmission du message au niveau de l'arborisation dendritique, cette méthode utilise des neurones cultivés in vitro.

Les neurones mis en culture ...

Le laboratoire a mis au point la culture de motoneurones purifiés, à partir de motoneurones embryonnaires prélevés chez le rat au quinzième jour de gestation. Les corps cellulaires sont mis en culture en boîtes de pétri et le développement des dendrites et de l'axone se déroule in vitro . Il est aussi possible de pratiquer la co-culture de motoneurones et de muscles, on met en culture simultanément des cellules embryonnaires de neurones et de muscles ; les axones des neurones se développent et font alors contact avec les cellules musculaires. Ce dernier modèle in vitro est limité par sa configuration spatiale en 2 dimensions, en revanche, la culture organotypique permet de garder in vitro l'organisation in vivo. Elle consiste en la mise en culture, sur une lamelle de verre plongée dans un tube, d'une petite tranche de tissu embryonnaire contenant des neurones (la moelle par exemple). On ajoute à côté un explant de muscle, les axones des motoneurones s'allongent et viennent innerver le muscle comme dans la culture précédente, mais dans ce cas, le développement se fait en 3 dimensions.

... et observés par une caméra d'astronomie!

Le laboratoire de neurocybernétique cellulaire a conçu une technique unique pour étudier les neurones en fonctionnement jusque dans les branches dendritiques les plus infimes. Sur une lamelle de verre mise en chambre perfusée, les neurones en culture sont incubés avec des sondes fluorescentes sensibles au potentiel de membrane. Elles se fixent sur les membranes des neurones et leurs fluorescences varient selon le potentiel membranaire local donc selon l'activité des dendrites ou de l'axone. Les variations de fluorescence sont très faibles (de l'ordre de 2%) et nécessitent un matériel ultra performant pour les enregistrer et obtenir une cartographie des potentiels des membranes. Le dispositif mis en place par le laboratoire permet d'enregistrer l'émission d'un seul photon. Il est constitué d'un microscope inversé couplé à une caméra CDD empruntée à l'astronomie.

La modélisation mathématique, une autre voie d'étude des neurones

Les équations mathématiques d'atténuation des signaux dans les cables, décrites au siècle dernier, s'appliquent à la circulation de l'influx nerveux et permettent de calculer comment le courant circule dans les arborisations de neurones selon leurs différences de morphologies. La simulation, qui résulte de concepts mathématiques, est donc une autre façon d'étudier le fonctionnement des neurones.

Les diamètres et les longueurs des dendrites sont exactement mesurables grâce aux techniques d'observation en 3 dimensions, la modélisation permet alors de dire selon la localisation de la synapse (zone de transmission de l'influx nerveux) si un message arrivera ou non au soma. La connaissance de la répartition des synapses sur l'arborisation dendritique est nécessaire pour réaliser une simulation mathématique proche de la réalité biologique. Cette topographie est réalisée grâce à l'immunohistochimie : les chercheurs utilisent des anticorps dirigés contre les neurotransmetteurs libérés au niveau de l'interface synaptique lors du passage de l'influx nerveux.

Sur cet axe de recherche mathématique, le laboratoire marseillais travaille depuis de nombreuses années en collaboration avec un groupe de biophysiciens ukrainiens.

Deux nouvelles approches : la biologie moléculaire et la virologie

Deux chercheurs viennent de rejoindre le laboratoire de neurocybernétique cellulaire pour développer de nouveaux outils.

La biologie moléculaire pour l'étude des gènes codant pour des protéines, appelées neurexines, impliquées dans la jonction neuromusculaire lors du développement.

La virologie pour connaître les formes des neurones encore plus précisément. Le virus de la rage sera utilisé dans cette étude, c'est en effet un virus neurotrope dont l'entrée dans l'organisme se fait uniquement par les muscles. Il remonte ensuite, via les synapses, dans les motoneurones et contamine tout le réseau neuronal. Le marquage des glycoprotéines de l'enveloppe du virus est envisagé comme un moyen de reconstruction très précis de l'arborisation dendritique car le virus envahit les dendrites jusqu'à leurs extrémités les plus infimes ; les colorants utilisés actuellement ne sont pas si performants.

Dans le cadre de ce nouveau projet, la construction d'une salle P2, pour la manipulation du virus, est en cours au laboratoire.

Depuis une dizaine d'années, le laboratoire de neurocybernétique cellulaire s'est spécialisé dans l'étude des formes des neurones et leurs influences sur le traitement de l'information: une thématique unique pour une approche transdisciplinaire. Les premiers résultats confirment que la forme d'une arborisation détermine bien le mode de circulation du courant. L'enregistrement optique de l'activité de neurones en cultures a aussi permis de montrer que la membrane n'est pas excitée de façon homogène lors de l'émission d'un potentiel d'action.

 

Dispositif expérimental permettant d'analyser l'activité de neurones en culture par enregistrement optique. Les neurones en cultures sont incubés avec des molécules fluorescentes potentiel sensibles. Ces molécules se fixent sur la membrane du neurone et leur fluorescence varie en fonction du potentiel local. Les variations de fluorescence sont enregistrées à l'aide d'une caméra CCD d'astronomie, refroidie à l'azote liquide, montée sur un microscope inversé. Les images obtenues avec ce procédé permettent d'observer le neurone en fonctionnement et de décrypter les mécanismes du traitement de l'information dans ses branches dendritiques.Motoneurone spinal de grenouille injecté intracellulairement par de la peroxydase. La peroxydase est révélée par une méthode chimique qui induit la formation d'un précipité brun. L'histologie en coupes sériees permet une reconstruction tridimensionnelle de la géométrie du neurone. La coupe présentée montre le corps cellulaire du neurone (environ 60µm de diamètre) et ses branches dendritiques proximales.

V.CROCHET

 

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