Février 1998 - n°25
Dans notre édition de janvier 1998, nous vous avions présenté le Laboratoire Pierre SÜE -LPS- et l'une des techniques à l'origine même de sa création: l'Analyse par Activation Neutronique. La Gazette du Laboratoire vous propose aujourd'hui de découvrir le second grand domaine d'expertise de ce laboratoire mixte CEA/CNRS: la microsonde nucléaire.
L'Histoire de la microsonde au sein du Laboratoire Pierre SÜE de Saclay
Durant 15 ans, l'activité du Laboratoire Pierre SÜE a été essentiellement consacrée à l'utilisation des flux neutroniques des réacteurs nucléaires de Saclay pour pratiquer l'analyse par activation dans diverses disciplines: Sciences des Matériaux, Sciences de la Terre, Archéologie, Biologie, Odontologie...
En 1987, le CEA et le CNRS décidèrent, non seulement de prolonger cette collaboration pour une nouvelle durée de 15ans, mais encore de l'étendre par la réalisation et l'exploitation en commun d'une microsonde nucléaire. Cette dernière est devenue opérationnelle en 1993, tout d'abord dotée d'un accélérateur provisoire de 2,5MV, puis en 1995 avec un accélérateur définitif de 3,8MV.
Les performances de la microsonde du LPS, en permanence améliorées, permettent de multiplier les applications de la microanalyse, en particulier sur le plan de l'analyse locale des échantillons. Des analyses non destructives peuvent ainsi être réalisées, avec une précision de l'ordre du micromètre, donnant la composition isotopique des éléments légers et une mesure simultanée des éléments lourds à l'état de traces...
Aux nombreuses applications déjà existantes, est venue récemment s'en ajouter une autre concernant l'analyse des échantillons radioactifs. Cette nouvelle application, rendue possible par la mise en place d'une ligne spécifique de microfaisceau, fait de la microsonde du Laboratoire Pierre SÜE la première de sa génération -et la seule au monde- à travailler sur des échantillons radioactifs. La première étude sur échantillons radioactifs a été réalisée fin 1997.
Un principe simple basé sur l'utilisation des interactions électroniques et nucléaires
"La technique d'analyse par microsonde obéit à un principe simple", nous explique B.BERTHIER, chercheur CNRS, Directeur Adjoint du Laboratoire Pierre SÜE. "En bombardant un matériau au moyen d'un faisceau d'ions légers produit par un accélérateur de particules, nous induisons des interactions électroniques et nucléaires. Celles-ci provoquent l'émission de particules et de rayonnements spécifiques de chaque élément, que nous pouvons récupérer grâce à divers détecteurs, et analyser...".
Au Centre d'études de Saclay, les faisceaux de protons, deutons, hélions sont produits par un accélérateur électrostatique VAN de GRAAFF dans une gamme d'énergie comprise entre 300keV et 3,8MeV.
Le faisceau est focalisé sur les échantillons à étudier à l'aide d'un doublet magnétique quadripolaire agissant comme une lentille optique convergente.
Les chambres d'analyse sont équipées de goniomètres de précision à mouvements linéaires et à rotation. Deux objectifs optiques reliés à des caméras sont utilisés pour choisir les points d'analyse avec une précision inférieure au micron.
Sur la ligne dédiée à l'analyse des échantillons radioactifs, l'introduction dans la chambre d'analyse des échantillons irradiés se fait par une cellule d'accueil blindée, suivie d'une cellule de transfert reliée à la casemate de mesure par voie pneumatique.
Soulignons que des contrôles très stricts sont régulièrement effectués sur l'ensemble de l'installation afin de vérifier la conformité des taux de radioactivité avec les normes en vigueur...
L'analyse par microsonde nucléaire se fait alors principalement par détection de 3types de rayonnement: émission de rayonsX, émission* et émission de particules.
- Le premier, méthode PIXE, correspond à l'interaction du faisceau avec le nuage électronique de la cible. Il est utilisé pour l'étude et la quantification des éléments de numéro atomique Z>11.
- L'émission*, méthode PIGE, est produite par désintégration de noyaux cibles légers, excités par diffusion inélastique ou réaction nucléaire après collision avec le faisceau. Ce rayonnement permet l'analyse d'un grand nombre d'éléments légers (Z>3).
- L'émission de particules est consécutive à un choc élastique ou à une réaction nucléaire pure entre le faisceau et la cible. La sélection faisceau-cible permet une analyse isotopique des éléments légers (Z<12) par le choix d'une cinquantaine de réactions nucléaires. Certaines, très utiles pour les analyses en profondeur, permettent la localisation des éléments dans la masse de l'échantillon avec des résolutions de quelques dizaines de nanomètres.
Notons que le Laboratoire Pierre SÜE du centres d'études de Saclay réalise simultanément la mesure de ces trois types de rayonnement, obtenant ainsi un ensemble d'informations complémentaires sur une même zone analysée.
Des applications inattendues: des magmas aux matériaux en passant par la médecine...
"Localiser un micro-défaut de métallisation sur un composant électronique, mesurer des inhomogénéités de composition dans les joints de grains, observer la fixation d'un médicament sur les cellules, comparer des sections transverses de diaphyse de fémur en archéologie... sont autant d'études rendues possibles par l'utilisation de la microsonde nucléaire", nous confie B.BERTHIER.
Si les sciences des matériaux occupent environ 40% de l'activité de la microsonde nucléaire du Laboratoire Pierre SÜE (analyse notamment de nouveaux matériaux comme les semiconducteurs, les céramiques, les superalliages...), près de 30% de son activité sont consacrés aux sciences de la Terre et plus particulièrement à la minéralogie, la géochimie des éléments traces, la volcanologie et la cosmochimie (étude sur les météorites).
En géologie, par exemple, la localisation et la détermination quantitative d'éléments à l'état de traces permet d'analyser des inclusions vitreuses dans lesquelles réside un certain nombre d'éléments (Li, B, C, F...) dont l'étude est essentielle pour comprendre la formation et l'évolution des magmas...
A noter, également, parmi les autres secteurs directement concernés par l'utilisation de cette technique de pointe: l'environnement qui représente 25% de l'activité du laboratoire et la biologie-médecine pour laquelle la microsonde a déjà, notamment, contribué à l'étude de l'action du cisplatine -agent thérapeutique de certains cancers-, l'analyse de dents et de cheveux...
Rappelons par ailleurs que grâce à la récente installation de la ligne spécifique à l'analyse d'échantillons radioactifs, la microsonde nucléaire du LPS constitue un outil unique au monde pour les recherches liées au cycle électronucléaire. Plusieurs axes sont en cours précise B.BERTHIER, concernant le vieillissement des gaines de combustible, les matériaux d'infrastructure, le combustible irradié et les matériaux de stockage des déchets radioactifs.
Une large ouverture à la communauté scientifique nationale et internationale ainsi qu'aux industriels...
Laboratoire mixte CEA-CNRS a une vocation pluridisciplinaire, le Laboratoire Pierre SÜE accueille régulièrement de nombreux scientifiques; il développe de nombreux contrats avec les industriels et se veut largement ouvert à la communauté nationale et internationale.Soulignons que le LPS a également une vocation de formation. Partenaire de l'Université, il entretient avec elle des contacts permanents, notamment au travers de l'accueil de stagiaires et de doctorants. L'ensemble de ses activités est périodiquement soumis à l'appréciation d'instances extérieures au Laboratoire. Ainsi, pour la microsonde nucléaire, les faisceaux sont attribués uniquement sur des critères scientifiques, par un comité d'experts indépendants...
S.DENIS