Mai 1998 - n°28

UPR9027 : Laboratoire d'ingénierie des systèmes macromoléculaires

Cette unité de recherche CNRS se consacre à l'ingénierie des protéines et à l'étude des systèmes membranaires, sièges d'activités fondamentales des cellules biologiques.

Le laboratoire UPR 9027 fait partie de l'IFR 1 du CNRS, institut de biologie structurale et de microbiologie. Les chercheurs de cette unité de recherche ont acquis, depuis 20 ans, une grande expérience dans l'ingénierie des protéines. En effet, avant sa création en tant qu'UPR, le laboratoire se dédiait à l'étude des transports de molécules et plus spécifiquement des protéines à travers et dans les membranes.

Ce laboratoire est constitué de cinq équipes se consacrant principalement à l'étude des micro-organismes (bactéries et levures) sur les thèmes suivants :

- Ingénierie des immunoglobulines (D. Baty)

Cette équipe se préoccupe de produire et remodeler la partie hypervariable d'immunoglobulines (région qui reconnaît l'antigène) chez E-Coli ou dans la levure en vue d'application au diagnostic. L'idée est de faire des anticorps que l'on ne peut obtenir par voies naturelles comme pour les stéroïdes qui sont omniprésents dans le corps. Connaissant la structure des anticorps et utilisant la modélisation, on peut réorienter la spécificité et l'affinité de ces anticorps. A partir de bactéries, l'équipe met ainsi au point des anticorps partiellement artificiels qui permettront d'avoir des trousses de diagnostic pour tester toute une variété de stéroïdes... Cette étude présente un grand avenir pour certaines pathologies.

Une autre étude en cours est la réalisation d'anticorps bispécifiques. Ces anticorps présentent la capacité de reconnaître un aptène (exemple : antigène tumorale) et de pouvoir fixer un métal lourd, éventuellement radioactif (l'iridium par exemple).

" Il est alors concevable de faire de l'imagerie de ces tumeurs avec les * caméras. Les contours de cette tumeur sont connus, ce qui profite à la chirurgie. On pourrait espérer également faire de la thérapie en tuant spécifiquement ces tumeurs grâce à un tel système. Ces travaux débutent et devraient déboucher dans 5 ou 10 ans. Il est possible que ces molécules soient disponibles pour un développement industriel. " déclare Claude Lazdunski, directeur de l'UPR.

- Dynamique des systèmes membranaires (C. Lazdunski).

Les toxines, produites chez E-coli et sécrétées dans le milieu extracellulaire, ont la capacité de s'attacher à d'autres cellules de E-coli, via une translocation à travers l'enveloppe (la membrane externe et parfois celle interne). Elles atteignent ensuite leur cible et tuent la cellule.

Les toxines présentent divers types d'activité telles qu'une activité formatrice de canal ionique sensible au voltage ou une activité DNase ou RNase (cliver l'ADN ou l'ARN ribosomique).

Les toxines, produites par des cellules à Gram négatif, servent à coloniser des niches écologiques en tuant dans l'environnement toutes les cellules de même type qui ne possèdent pas de défense. La cellule produit aussi une antitoxine pour se protéger, ce qui lui confère une immunité spécifique contre la toxine qu'elle produit.

Après avoir élucidé le mécanisme de sortie, l'équipe se consacre à l'étude du mécanisme d'entrée. Ce groupe sait aujourd'hui que la toxine parasite des voies d'entrées de la cellule et les utilise à ses propres fins. Deux systèmes d'entrées ont été découverts, ce sont les entrées de produits nutritifs :

- un système qui permet à la bactérie d'acquérir des produits nutritifs "rares" dans l'environnement. Par exemple pour les ions ferriques, elle utilise des sidérophores, petites molécules (poids moléculaires <1000) qui chélatent le fer. Les pores sont gros (diamètre de 20Å). L'association de la toxine va permettre d'ouvrir ces pores et d'atteindre sa cible après une cascade d'interactions.

- un système d'entrée de produits nutritifs de faibles poids moléculaires (<600), les pores appelées porines (diamètre de 10Å), de structure tridimensionnelle connue, laissent rentrer les ions et les petites molécules (ex : aminoacide).

L'équipe essaye de comprendre ces mécanismes au niveau moléculaire et atomique. Cette étude montre plusieurs applications possibles :

- elle permet de comprendre le mécanisme de fonctionnement de ces systèmes, ce qui présente un intérêt pour le développement de nouveaux antibiotiques. En effet, aujourd'hui, il y a recrudescence d'infections nosocomiales, les micro-organismes ont développé des systèmes de résistances aux antibiotiques utilisés à grande échelle. " Dans certains cas , on devient impuissant face à ces résistances multiples surtout en milieu hospitalier. Ainsi, beaucoup de malades qui entrent pour des opérations, subissent parfois des complications dues à des infections bactériennes occasionnées par des souches devenues résistantes. Chercher de nouveaux antibiotiques pour éliminer ces micro-organismes résistants revêt par conséquent un caractère primordial. " confirme C. Lazdunski.

- un intérêt écologique. " On sait réaliser des produits recombinants dans les espèces bactériennes. Certaines espèces bactériennes, en particulier les bactéries du sol (pseudomonas putida), sont très utiles pour dégrader des produits dits polluants (ex : benzène, toluène...). Une voie possible de dépollution s'avère ainsi l'utilisation de bactéries. Mais le public craint que ces bactéries subsistent et transmettent les gènes ajoutés à d'autres organismes. Il faut donc que ces organismes se suicident après avoir dépollué. L'équipe travaille sur cet aspect : le suicide. On détourne ainsi l'utilisation des toxines pour qu' un signal se déclenche à l'intérieur de la cellule lorsque la bactérie a fini d'utiliser le polluant. Elle va alors synthétiser une toxine et déclencher sa propre mort. Le système de suicide et celui de dégradation sont aujourd'hui au point, il faut maintenant combiner les boucles de régulation qui déclenchent la dégradation puis l'activité suicide. " déclare C. Lazdunski.

Ce projet est patronné par la CEE.

- Intégrité de l'enveloppe cellulaire (R Lloubes)

Ce travail est en relation avec celui effectué par l'équipe précédente. Ce groupe s'intéresse à l'enveloppe cellulaire à travers l'étude des divers mutants. Les mutants de systèmes d'importation sont altérés dans la perméabilité de l'enveloppe cellulaire. Il existe des souches de coli qui sont pathogènes. En effet, elles produisent des lipopolysaccharides qui contiennent un antigène O et certaines de ces bactéries toxiques produisent des diarrhées importantes. Les mutants d'importation de colicines sont affectés dans l'intégrité de la membrane externe, les cellules deviennent sensibles au détergent et les protéines périplasmiques peuvent sortir dans le milieu extracellulaire. L'étude de ce phénomène est réalisée a partir de techniques de microscopie électronique et de biologie moléculaire.

- Maturation des macromolécules et régulateur de la chromatine. (V. Gelli)

L'équipe travaille principalement sur la levure. Deux études sont abordées :

* le mécanisme de transport dans les mitochondries. Ce groupe étudie le processus de transfert des protéines du cytosol aux mitochondries dans la levure. Lors du transfert du cytosol vers les mitochondries, la séquence adresse est clivée par une protéine spécialisée (peptidase mitochondriale). L'équipe clone, surproduit et séquence cette peptidase et étudie la relation structure-fonction à partir d'une approche moléculaire et structurale.

* les régulateurs de la chromatine. Dans les séquences du génome total d'un organisme eucaryote, la levure il y a environ deux ans, l'équipe a observé les séquences qui ressemblent à des parties de la protéine trithorax. Ces protéines jouent un rôle important dans le développement. Actuellement, le groupe se consacre à l'étude du rôle de ces domaines protéiques dans la régulation de la chromatine, c'est à dire dans l'expression des gènes. Cette étude s'avère intéressante car si l'on disloque des gènes trithorax chez l'humain, des leucémies aiguës se déclenchent. Ces protéines interviennent ainsi dans la différenciation des lignées sanguines.

-Génétique moléculaire et sécrétion des protéines chez Pseudomonas aeruginosa (A. Lazdunski).

Cette bactérie opportuniste ubiquitaire présente de multiples résistances aux antibiotiques et s'avère source de complications, particulièrement en milieu hospitalier, dans deux contextes :

* pour les malades atteints de mucoviscidose car les malades souffrent surtout d'une infection des poumons par pseudomonas aeruginosa, ce qui leur produit un inconfort respiratoire et digestif.

* pour les immunodéficients (grands brûlés, VIH...) colonisés par pseudomonas aeruginosa.

La virulence de cet organisme bactérien est multifactorielle et essentiellement liée à la sécrétion dans le milieu extérieur de plusieurs toxines (par exemple exotoxine A) et enzymes dégradatives. Cet ensemble de protéines dégradatives (lipase, phospholipase...) va favoriser l'implantation de la bactérie dans les tissus malades.

L'équipe a montré qu'il existe deux voies principales de sécrétion de ces protéines :

* une voie simple utilisée pour la protéase alcaline en particulier. L'étude est réalisée au niveau moléculaire et atomique, connaissant la structure tridimensionnelle de la protéase alcaline. Le moyen employé par cette protéase alcaline pour atteindre le milieu extracellulaire du cytoplasme en une seule étape, par un système à trois composantes, reste à déterminer.

* un système de sécrétion à deux étapes. Tout d'abord, la protéine va franchir la membrane interne grâce à une séquence signal reconnue par le système sec. Douze protéines membranaires vont ensuite lui permettre d'être sécrétée à travers la membrane externe. Comment ces protéines interagissent-elles et quelles sont leurs fonctions ? Les fonctions de deux de ces protéines sont actuellement connues. Le mécanisme de sécrétion et leur régulation restent à déterminer.

L'Association Française de Lutte contre la Mucoviscidose et des sociétés pharmaceutiques sont intéressées par ces études.

L'ensemble de ces travaux fait appel à des techniques variées allant de la microbiologie et la génétique à la biologie moléculaire, la biochimie structurale, l'ingénierie des protéines, la microscopie électronique, l'immunochimie et la modélisation moléculaire.

J. SILVY

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