Juin 1998 - n°29
La thérapie cellulaire : l'avenir de l'E.T.S. Isère-Savoie ?
L'Etablissement de Transfusion Sanguine (ETS) Isère - Savoie, dont le siège social se situe à La Tronche, travaille actuellement sur un projet qui pourrait, dans un proche avenir, modifier complètement l'approche thérapeutique de certaines maladies : la thérapie cellulaire.
L'ETS est structuré en GIP (Groupement d' Intérêt Public). Il est en collaboration avec des organismes publics et privés, tels que le CHU de Grenoble, le CH de Chambéry, l'Université Joseph Fourier de Grenoble, les Conseils Généraux de Grenoble et Chambéry et la clinique mutualiste. Avec une gestion privée et un chiffre d'affaires de l'ordre de 80 millions de francs, l'ETS emploie 210 personnes, dont treize (soit huit Equivalent Temps Plein) travaillent sur la thérapie cellulaire. Son domaine d'activité principal reste bien sûr la transfusion sanguine, fondée sur le don du sang bénévole, qui représente 72% du chiffre d'affaires. Il s'agit de préparer des concentrés de globules rouges, de plaquettes et de plasma pour traiter des patients souffrant de différents déficits en produits sanguins.
L'activité de thérapie cellulaire, qui se développe depuis peu de temps, semble être une voie d'approche très prometteuse dans le traitement de certaines maladies comme le cancer.
Qu'est-ce que la thérapie cellulaire ?
La thérapie cellulaire s'inscrit dans une évolution logique de la transfusion sanguine car elle implique les mêmes contraintes et les mêmes règles de bonne pratique en ce qui concerne la production de cellules. Ces cellules sont préparées dans des salles « blanches », c'est-à-dire des salles où l'air est filtré afin d'éliminer les bactéries (cf photo). La thérapie cellulaire a commencé à voir le jour dans les années 80 et à l'heure actuelle 60% des ETS pratiquent les trois quarts des activités de thérapie cellulaire.
Cette technique consiste en l'administration de cellules autologues (du patient lui-même), allogéniques (d'un donneur volontaire), ou xénogéniques (d'un animal) à des êtres humains dans le but de prévenir, traiter ou atténuer une maladie. Elle concerne donc les produits biologiques à effet thérapeutique issus de la préparation de cellules vivantes humaines ou animales. Selon la loi du 28 mai 1996, les produits de thérapie cellulaire ne sont pas des médicaments mais des produits biologiques à effet thérapeutique. Les sites sont agréés par le Ministre de la santé. Les protocoles d'essais cliniques sont soumis à l'Agence du Médicament.
Beaucoup de types cellulaires sont concernés comme par exemple les cellules souches qui sont à l'origine de toutes les cellules sanguines (cellules hématopoïétiques), les cellules de l'immunité (les macrophages, lymphocytes ou les cellules dendritiques), mais aussi les cellules produisant de l'insuline (îlots de Langerhans), les cellules du foie (hépathocytes), les cellules musculaires.
La technique se découpe généralement en trois étapes distinctes :
- un prélèvement de cellules (du malade ou du donneur)
- une sélection ou une activation des cellules en culture
- une réinjection des cellules au malade.
Bien sur, ces activités de thérapie cellulaire sont réalisées en étroite collaboration avec les établissements de soins : les cliniciens du CHU de Grenoble traitent les malades avec des cellules prélevées et manipulées à l'ETS.
Plusieurs activités de thérapie cellulaire sont pratiquées actuellement en routine à l'ETS. Celui-ci a mis en place, à la demande des cliniciens, les techniques permettant de conserver des tissus artério-veineux et des cornées afin de les greffer dans de bonnes conditions. Les activités de thérapie cellulaire concernant plus particulièrement les cellules sont les suivantes :
Les cellules souches hématopoïétiques
Les cellules souches hématopoïétiques sont les cellules dont dérivent toutes les cellules sanguines : globules rouges et blancs, plaquettes ou leucocytes. Elles sont greffées, après conditionnement des patients (chimiothérapie et radiothérapie), dans le cas de pathologies tumorales graves (leucémies, cancer du sein à un stade avancé...). La technique consiste à prélever, trier et conserver ces cellules avant le conditionnement. Les cellules souches ainsi préparées sont réinjectées au malade afin qu'il puissent reconstituer les différentes cellules sanguines.
A Grenoble, 82 patients ont déjà été traités représentant un total de 150 prélèvements. En 1998, une centaine de patients pourraient bénéficier de ce traitement
La photochimiothérapie extracorporelle
Cette méthode est utilisée pour traiter des malades atteints de certains lymphomes T et les complications immunologiques survenant après greffes d'organes (coeur, poumon, moelle, rein). Les cellules du sang périphérique sont prélevées, traitées par un rayonnement Ultra Violet en présence d'un agent chimique, puis réinjectées au malade. Jusqu'à présent, sept patients ont été traités soit un total de soixante dix prélèvements. Il est envisagé de traiter dix patients en 1998.
L'injection de lymphocytes T d'un donneur après greffe de cellules souches hématopoïétiques
Cette technique est utilisée pour traiter certaines leucémies rechutant après greffe de moelle osseuse. Les lymphocytes du donneur sont prélevés et injectés au malade dans le but de détruire les cellules tumorales. Cinq patients par an sont concernés par ce traitement.
Les activités de Recherche et Développement menées depuis plusieurs années à l'ETS, ainsi qu'une collaboration efficace avec les services cliniques du CHU de Grenoble et la société IDM (Immuno Designed Molecules) ont permis d'envisager de mettre en place de nouvelles activités de thérapie cellulaire, utilisant des Macrophages et des Cellules Dendritiques, augmentant ainsi l'arsenal thérapeutique contre les tumeurs et d'autres pathologies.
Les macrophages
Les macrophages sont des cellules capables de phagocyter des bactéries et d'autres cellules. Elles peuvent aussi stimuler les défenses de l'organisme. La technique employée est la suivante (cf schéma) : les cellules du sang sont prélevées et traitées pendant sept jours avec des facteurs de croissance de façon à différencier les monocytes en macrophages. Ces derniers sont ensuite purifiés et injectés au malade au contact de sa tumeur. Jusqu'alors cinq patients ont été prélevés à Grenoble pour le traitement du cancer de la plèvre, cancer survenant le plus souvent après exposition prolongée à l'amiante. Pour l'année 1998, l'ETS prévoit de participer à plusieurs protocoles cliniques utilisant des macrophages dans le traitement des cancers de la vessie et de l'ovaire ainsi que dans le traitement d'ulcères veineux chroniques.
Les cellules dendritiques
L'utilisation de cellules dendritiques représente actuellement un véritable avenir dans le traitement du cancer. Ces cellules sont les sentinelles de notre système immunitaire qu'elles préviennent dès qu'un organisme étranger pénètre dans notre organisme. La possibilité récente d'obtenir des cellules dendritiques par culture cellulaire permet d'envisager de les utiliser pour traiter les cancers. Une étude au Etats-Unis a déjà montré leur efficacité chez l'homme. Elles sont obtenues comme les macrophages en différenciant les monocytes à l'aide de facteurs de croissance spécifiques. Les cellules dendritiques purifiées sont sensibilisées avec des protéines spécifiques de la tumeur que l'on appelle antigènes tumoraux. Elles sont ensuite injectées au malade où elles vont déclencher une réaction du système immunitaire spécifiquement dirigée contre la tumeur afin de la détruire. Les recherches que l'ETS mène actuellement devraient permettre en 1999 de proposer un traitement pour les malades atteints de lymphomes et de mélanomes.
La thérapie cellulaire est utilisée actuellement pour traiter des malades en stade avancé de leur maladie et souvent en complément d'autres thérapies car elle apparaît comme une nouvelle solution, un nouveau mode de guérison beaucoup moins traumatisant que les traitements actuels. La stratégie de thérapie dépend de l'état du malade et de l'avancée de sa maladie.
Les objectifs de l'ETS sont de mettre en place un centre de thérapie cellulaire qui soit un centre de référence capable de proposer des traitements novateurs pour des pathologies récidivantes qui échappent aux traitements conventionnels. Pour ce faire, l'ETS mettra en place mi 98 une unité de thérapie cellulaire d'environ 100 m2 au sein d'un plateau technique permettant de traiter jusqu'à 130 000 prélèvements sanguins. L'ETS a investi déjà plus de 300 000 F de matériel nouveau nécessaire aux manipulations cellulaires sur les macrophages et les cellules dendritiques.
NB : Les activités de recherche et de développement sont en partie soutenues par l'ARC (Association pour la Recherche sur le Cancer), l'ART (Association Recherche et Transfusion) et la Ligue contre le Cancer de la Savoie.
Frédéric Chapuis
Eve Coste