Septembre 1998 - n°30
La génétique des maladies cardiaques : de l'identification des gènes à la prise en charge des patients
Le développement de la génétique moléculaire est un des éléments marquant de ces dernières années. Le diagnostic génétique est pour l'instant réservé à quelques pathologies héréditaires graves pouvant conduire à un diagnostic anténatal où la pathologie cardiaque est peu impliquée. Il est cependant probable que les progrès apportés par les équipes de recherche impliquées dans la génétique des maladies cardio-vasculaires vont avoir des retombées importantes.
Au cours des dernières années des gènes à l'origine des cardiomyopathies hypertrophiques et dilatées, des syndromes du QT long, du syndrome de Marfan, de la dysplasie arythmogène du ventricule droit, de la fibrillation auriculaire, des troubles de conduction, ont déjà été identifiés ou localisés. Les découvertes s'accélèrent, ainsi, le mois dernier un gène responsable du syndrome de Brugada a été identifié et celui d'une valvulopathie dégénérescence myxoide localisé et dans les mois qui viennent il faut s'attendre à voir publiés ceux de certaines cardiopathies congénitales. Des polymorphismes génétiques ou des anomalies génétiques prédisposant à des maladies que l'on considérait acquises, telles que l'hypertension artérielle ou la maladie athéromateuse ont aussi été démontrés.
Ces découvertes qui vont de pair avec le développement de nouvelles techniques de biologie moléculaires, telles que les chips à ADN qui permettront un diagnostic rapide, nous font envisager une médecine prédictive et préventive et même le développement de traitements spécifiques à l'anomalie génétique, qui vont modifier de façon considérable la pratique médicale de la cardiologie dans les années qui viennent.
Parmi les maladies dont les gènes sont déjà identifiés, le syndrome du QT long représente l'exemple le plus caractéristique de ce que va apporter cette nouvelle approche médicale.
Le syndrome du QT long a été identifié au début des années 60 par Leuvell et Lange-Nielsen (1957) puis Romano et Ward (1963 et 1964). Le syndrome de Romano-Ward, de loin le plus fréquent (il représente plus de 90% des cas) se transmet selon le mode autosomique dominant. Le phénotype est caractérisé par un espace QT anormalement long à l'électrocardiogramme et par une onde T de morphologie anormale qui révèlent une anomalie électrophysiologique cellulaire secondaire à des mutations ou délétions sur des gènes codant pour des canaux ioniques (deux canaux potassiques, un canal sodique et un modulateur de canal potassique) impliqués dans la repolarisation des myocytes cardiaques.
Ces anomalies peuvent être à l'origine de "torsades de pointes", responsables de syncopes et pouvant conduire à la mort subite. La fréquence des porteurs d'un défaut de l'un des gènes du QT long, si elle n'est pas connue avec précision en raison du nombre important de sujets asymptomatiques, est probablement proche de un pour 5000 habitants. Pour des raisons encore inexpliquées, ces accidents rythmiques ne surviennent pas chez tous les sujets porteurs de l'anomalie génétique, ils sont par contre, particulièrement graves puisqu'en absence de traitement la mortalité serait proche de 50% dans l'année qui suit la première syncope alors que sous un traitement ß-bloquant, qui pour l'instant reste la référence, la mortalité est réduite à moins de 5 % à cinq ans.
Compte tenu de l'efficacité des traitements ß-bloquant on pourrait se poser la question de l'intérêt de la génétique moléculaire dans ce syndrome. En fait, son apport est important pour de nombreuses raisons.
Elle a d'abord permis de mieux comprendre la physiopathologie du syndrome du QT long. Ainsi, plusieurs anomalies différentes peuvent aboutir à un phénotype proche mais les anomalies de fonctions des protéines impliquées sont différentes, expliquant la variabilité des caractéristiques cliniques des syndromes du QT et pouvant aboutir à des traitements spécifiques au gène en cause.
Elle a permis d'identifier de nouveaux canaux ioniques (en particulier HERG responsable du courant lKr) et de comprendre pourquoi l'hypokaliémie, ainsi que certaines substances pharmacologiques étaient dangereuses.
Elle permet surtout, depuis que l'on sait que le diagnostic phénotypique peut être difficile, d'identifier les sujets porteurs de l'anomalie génétique. Ainsi, bien qu'il n'existe pas encore de certitude absolue, il est probable que même les sujets asymptomatiques puissent être exposés à des accidents rythmiques graves lors de la prise des certaines substances médicamenteuses. Il est ainsi possible de proposer des attitudes préventives en évitant la prescription des médicaments allongeant l'espace QT dont la liste a été récemment publiée par les membres du réseau de recherche clinique sur le syndrome du QT long.
Le syndrome du QT est le premier exemple. Il est probable que dans les années qui viennent, la génétique moléculaire sera d'une aide considérable pour le diagnostic et les choix thérapeutiques de nombreuses maladies cardio-vasculaires.