Décembre 1998 - n°33

L'Unité CNRS EA 26-59 : "Sciences et Méthodes Séparatives"

La croissance cristalline maîtrisée : une nouvelle technologie à fort potentiel de valorisation...

"Au-delà de la bonne pureté chimique d'un produit, tout l'art consiste à assurer la pureté structurale requise ; il s'agit là d'un paramètre essentiel dont dépendent des propriétés, notamment, aussi importantes que la toxicité, l'efficacité et la vitesse de dissolution d'un médicament...", nous explique le Pr. Gérard COQUEREL.

Partie intégrante de l'IRCOF (Institut de Recherche en Chimie Organique Fine) implanté à Rouen, l'équipe du Professeur COQUEREL s'impose à l'échelle internationale pour son savoir-faire exemplaire en matière de modélisation moléculaire et de croissance cristalline.

Depuis plus de 20 ans, Gérard COQUEREL travaille sur le sujet, et l'expertise de son laboratoire connaît chaque jour une sollicitation plus forte de la part du milieu pharmaceutique et chimique.

Du laboratoire à l'industrie, un nouveau procédé de cristallisation préférentielle est aujourd'hui au coeur de son actualité...

La croissance cristalline : une activité en trois dimensions

"Notre activité, initialement centrée sur la chimie minérale et structurale, s'est -au fil des années et des contrats industriels...- organisée autour d'un pôle de recherche majeur : la croissance cristalline", souligne M. COQUEREL. " os compétences résident ainsi, tout particulièrement, dans la maîtrise des process de cristallisation, permettant d'apporter à un produit final une pureté structurale donnée... "

Trois thématiques guident alors les travaux du Laboratoire : le polymorphisme, les mécanismes de nucléation et le dédoublement de molécules chirales.

" Le polymorphisme "

Comment identifier les différents types de cristaux ? Comment détecter et accéder à de nouvelles formes cristallines ?... : telles sont les interrogations face auxquelles de nombreux industriels font aujourd'hui appel à l'expertise du laboratoire rouennais.

" Un cristal étant un empilement très régulier de molécules, tout notre savoir-faire réside dans notre capacité à créer " sur commande " le bon empilement de ces molécules et, donc, à obtenir les caractéristiques de stabilité recherchées... ", poursuit M. COQUEREL.

Pour certains produits présentés sous forme amorphe, la problématique sera d'assurer la conservation de cet état et d'empêcher, par conséquent, toute cristallisation... tandis que pour d'autres, il s'agira au contraire d'en maîtriser la cristallisation, en définissant avec précision le type de cristal, son arrangement à l'échelle moléculaire, le degré de cristallinité, les relations propriétés/structure...

"Les mécanismes de la nucléation"

Cette seconde thématique vise à décrire et expliquer la naissance des premiers cristaux à partir d'une substance amorphe, puis à étudier la croissance cristalline elle-même.

Les travaux du laboratoire s'intéressent ici, plus précisément, à la cinétique de la nucléation ainsi qu'aux modifications d'autres paramètres -tels que granulométrie et morphologie-, tout au long du processus de cristallisation...

"Le dédoublement de molécules chirales"

"L'une des difficultés majeures pour le chimiste, lorsqu'il aboutit à un mélange moléculaire racémique, est d'effectuer la séparation et la purification de l'un des énantiomères ; en d'autres termes, de réaliser le dédoublement de molécules chirales", nous confie Gérard COQUEREL.

La maîtrise du process de cristallisation peut, dans ce cas, s'avérer fort utile et, le laboratoire rouennais a su mettre à profit son expérience du domaine, jusqu'à en faire aujourd'hui l'un de ses pôles d'excellence...

"Plusieurs méthodes sont pratiquées à ce jour, à commencer par l'utilisation d'agents chiraux ou d'agents complexants -tels que les cyclodextrines-, pouvant apporter par voie de cristallisation une discrimination chirale", explique M. COQUEREL.

Mais, au-delà de ces deux techniques, l'Unité "Sciences et Méthodes Séparatives" est à l'origine d'une découverte majeure : un nouveau procédé de cristallisation préférentielle.

Tout le succès des travaux menés par l'équipe du Pr COQUEREL réside dans la définition et la mise au point d'une technique originale qui garantit un contrôle parfait de la croissance cristalline.

"Notre longue expérience dans la pratique des diagrammes de phases et notre connaissance pointue des paramètres cinétiques nous permettent non seulement de conduire de façon reproductible les différentes étapes, mais aussi d'en assurer le suivi en temps réel", commentait il y quelques mois M. COQUEREL (magazine Bioprospective n6, du Centre Européen de Bioprospective).

"Résultat : la cristallisation n'est plus un phénomène aléatoire, mais bien un processus maîtrisé ; et, notre procédé s'applique avec d'autant plus de pertinence que la molécule recherchée et l'impureté sont soeurs jumelles..."

La cristallisation préférentielle : une porte ouverte vers de larges applications industrielles...

Adaptée à un très grand nombre de molécules, la technique se définit comme une cristallisation préférentielle auto-ensemencée et pilotée en température.

Ses avantages sont remarquables : meilleur rendement, meilleure pureté et excellente reproductibilité... autant d'atouts indiscutables qui intéressent, au plus haut point, de nombreux secteurs industriels et offrent d'importantes perspectives de valorisation.

"Notre procédé a aujourd'hui fait ses preuves à l'échelle du laboratoire", commente M. COQUEREL. "Après plusieurs années de mise au point sur des volumes de 50 ml. à 2 l., ses points forts ont été largement confirmés ; aussi, nos objectifs se tournent maintenant vers le stade industriel, autrement dit l'évolution du procédé "batch" vers une opération continue de cristallisation préférentielle... "

Pour cela, la recherche de nouveaux partenaires est capitale.

Le projet débutera en septembre 99 et, tout industriel intéressé peut encore aujourd'hui s'y associer et profiter ainsi "en direct" des innovations apportées.

Un premier accord est d'ailleurs, d'ores et déjà, signé pour trois ans entre le laboratoire rouennais et l'Ecole des Mines d'Albi. D'importants moyens humains et matériels seront alloués à cette opération ; Rouen apportera son savoir-faire reconnu de longue date en terme de croissance cristalline et modélisation moléculaire, tandis qu'Albi mettra à disposition ses locaux et son équipe technique.

Les collaborations nouvelles souhaitées avec l'Industrie pourraient, en outre, permettre l'orientation des travaux vers un type précis de molécules et faciliteraient, par ailleurs, l'acquisition de matériels spécifiques complémentaires...

Des moyens à la mesure des ambitions du Laboratoire

Fleuron de l'Unité rouennaise, le nouveau procédé de cristallisation préférentielle promet des applications fort intéressantes pour le secteur industriel ; la majorité des activités du Laboratoire trouvant d'ailleurs une origine commune dans la résolution de problèmes directement soulevés par l'Industrie.

Pharmaceutique, cosmétique, phytosanitaire, nutraceutique... : l'Unité du Professeur COQUEREL collabore, en effet, étroitement avec le secteur privé et travaille, ainsi, en parfaite adéquation avec les exigences Qualité de l'Industrie...

Son parc instrumental équipé de matériels de pointe -prototypes de cristallisation et de filtration, polarimètres, microcoulomètre Karl Fisher, RX, DSC...- lui permet de répondre efficacement aux besoins les plus divers en terme de croissance cristalline.

Par ailleurs, dans le but d'optimiser ses recherches par des outils toujours plus complets et plus performants, le Laboratoire se positionne comme l'une des composantes essentielles d'une toute nouvelle structure.

L'Unité CNRS EA 26-59 vient, en effet, de prendre forme sous l'intitulé "Sciences et Méthodes Séparatives". Creuset de compétences complémentaires, elle met en synergie les savoir-faire et les équipements, exploités sur le plan préparatifs par l'équipe du Pr COQUEREL, avec ceux de deux autres laboratoires, spécialistes de la séparation analytique :

- l'équipe du Pr COMBRET (IRCOF, Rouen), pour ses techniques HPLC et GC,

- l'équipe du Pr DESBENE (IUT, Evreux), en matière d'électrophorèse capillaire.

Près de 40 scientifiques de haut niveau sont ainsi réunis, depuis peu, sous cette nouvelle entité.

Un atout supplémentaire pour une recherche efficace largement tournée vers la satisfaction des besoins industriels..., tout particulièrement, à l'heure actuelle où la cristallisation préférentielle auto-ensemencée lui ouvre de nouveaux horizons...

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