Mars 1999 - n°36
Laboratoire de Biologie Marine - Centre Interuniversitaire de Microscopie Electronique de Jussieu
A la rencontre de mystérieux animaux hydrothermaux...
A plus de 2000 mètres sous le niveau de la mer, sur l'axe des dorsales océaniques ; à proximité immédiate de sources chaudes avoisinant les 400°C et fortement chargées en sulfures métalliques : nous voici au coeur du domaine étudié par le Laboratoire de Biologie Marine...
Un écosystème aux conditions extrêmes qui abrite, contre toutes attentes, une faune extraordinaire : gigantesque et riche en couleurs...
Mme Françoise GAILL, Directeur au CNRS, nous présente son univers...
A l'origine du Laboratoire...
Depuis près de 20 ans, Mme Françoise GAILL s'intéresse aux fonds océaniques et à leurs écosystèmes caractéristiques. Mais, c'est au début des années 80, alors qu'elle est invitée à participer à une campagne d'étude américaine, qu'elle se passionne pour les environnements associés aux sources hydrothermales profondes.
En 1990, elle fonde sa propre équipe CNRS ; puis, participe en 1993 à la création du Centre Interuniversiatire de Microscopie Electronique de Jussieu... : une technologie qu'elle maîtrise et qu'elle privilégie dans le cadre de ses travaux de recherche...
Aujourd'hui responsable du Laboratoire Biologie Marine sur le campus de l'Université Paris 6, Françoise GAILL coordonne, en parallèle, une Unité de Recherche IFREMER associant son laboratoire et deux autres équipes : l'une basée à Brest et l'autre à Roscoff...
Une thématique majeure : l'étude des biopolymères des milieux extrêmes
"L'objectif central du Laboratoire vise à analyser les stratégies d'adaptation des animaux hydrothermaux et comprendre, en particulier, les processus leur permettant de se développer dans des conditions à priori toxiques pour la vie...", nous explique Mme GAILL. Les dorsales océaniques, lieu de formation du plancher océanique, offrent en effet un étrange paysage. Là où le magma remonte, se solidifie et s'écarte au contact de l'eau de mer, apparaissent des sources chaudes où la température s'élève à plus de 350°C. Les conditions sont extrêmes : température, mais aussi pression importante (260 atm), absence totale de lumière solaire et forte concentration en soufre. "Il faut, ainsi, souligner qu'en l'absence de lumière, la photosynthèse ne peut se réaliser ; l'existence des organismes hydrothermaux reposent, donc, entièrement sur la chimiosynthèse, et en particulier sur les bactéries chimiosynthétiques transformant la matière minérale en matière organique..."
Et, ce processus se révèle fort productif, puisqu'une faune dense et colorée colonise les lieux : des animaux géants pouvant atteindre jusqu'à 2 mètres de hauteur.
Deux espèces ont pu être observées :
- les annélides Alvinella, animaux des pôles chauds qui se développent dans les parois des cheminées hydrothermales ; ils seraient les plus thermophiles des invertébrés et peut-être des eucaryotes...
- les vestimentifères, et en particulier Riftia pachyptila : animaux des pôles tièdes, insolites par leur anatomie et leur gigantisme ; ils vivent dans des tubes qui leur servent de squelette et leur permettent de s'épanouir à proximité des fluides...
Le Laboratoire de Biologie Marine s'intéresse ainsi, tout particulièrement, à l'originalité des surfaces protectrices de ces organismes hydrothermaux et, plus précisément aux polymères qui les constituent ces matrices extracellulaires :
- le collagène qui recouvre la surface du corps de ces animaux.
- la chitine qui, associée à des protéines, compose le matériau tubulaire du Riftia,
"Une ligne directrice guide l'ensemble de nos travaux", souligne Mme GAILL. "Celle de l'importance des informations contenues dans les structures, les textures et plus généralement les formes naturelles... Aussi, étudions-nous plus précisément la stucture, la diversité et la phylogénie des collagènes, les interactions protéines / chitine ainsi que les différentes étapes de la morphogenè de ces parois", commente Mme GAILL.
La chitine du tube des vestimentifères diffère de la chitine habituelle par plusieurs caractéristiques, notamment par son assemblage cristallin parfait dont les dimensions sont gigantesques (le diamètre des cristallites de Riftia s'élève à 50 nm au lieu des 3 nm classiquement rencontrés)...
Par ailleurs, alors que chez les crustacés la chitine est sécrétée par l'épiderme, il apparaît que, chez Riftia, cette sécrétion a lieu dans des structures spécialisées, remarquablement efficaces. "Un tel système n'a aucun équivalent dans le règne animal et ceci explique comment ces animaux sont capables de synthétiser de telles quantités de matériau tubulaire..., jusqu'à 85 cm par an certains Riftia...", commente Mme GAILL. L'étude des collagènes hydrothermaux s'articule quant à elle, plus précisément, autour de l'originalité majeure du collagène cuticulaire : sa grande stabilité thermique.
Les mécanismes moléculaires de thermostabilité ont pu être définis à l'aide de techniques de croisées de biologie moléculaie et de biophysique, pour l'obtention des séquences de collagènes.
"Le vestimentifères Riftia a ainsi été le premier invertébré chez lequel a été déterminé la séquence complète de collagène", précise Mme GAILL. "Les résultats sont d'autant plus importants que la compréhension du processus de thermostabilité de ces collagènes hydrothermaux pourrait avoir des applications intéressantes pour accroître la stabilité thermique des protéines..."
Terrain et Laboratoire : les deux facettes d'une recherche originale...
L'étude des écosystèmes hydrothermaux a toujours été étroitement liée au progrès technologique. Ainsi, avec l'apparition des sous-marins autonomes et le développements des technologies sous marines, le travail sur le terrain s'est trouvé largement optimisé, in situ et à bord des navires.
"Grâce à l'utilisation d'un appareil dédié au marquage des animaux par coloration (coloration bleue de la chitine du tube), nous avons pu mesurer les taux de croissance in situ des vestimentifères", souligne Mme GAILL. "Par ailleurs, un ensemble d'aquariums sous pression -simulant les conditions de fond (température, pression, concentration en H2S) nous permet de maintenir en vie les animaux à bord du navire et d'effectuer des expériences variées telles que l'analyse des processus métaboliques, dont la production de matière organique et l'analyse des effets de la concentration en oxygène, en sulfures ainsi que de la température, du pH et du CO2 ..."
Certaines mesures et expérimentations propres à des techniques d'analyses plus complexes sont quant à elles réalisées à terre, dans le Laboratoire de Biologie Marine.
Le plateau technique de l'institut fédératif de biologie intégrée dispose, en effet, d'un parc instrumental très sophistiqué. Au premier plan :
- les techniques d'imagerie : vidéo, polarisation, fluorescence...et, surtout, microscopie électronique,
- les cryotechniques appliquées aux structures cellulaires : congélation ultra-rapide, à haute pression, cryofracture et cryodécalage...
C'est ainsi, grâce à la complémentarité des collaborations des technologies et des savoir-faire du Laboratoire, que les mystères du fonctionnement des écosystèmes hydrothermaux sont peu à peu percés.
Les travaux en cours devraient permettre d'approfondir ces connaissances, notamment sur les plans des processus de colonisation des sources hyrothermales par les organismes et des interactions biogéochimiques.
A noter également, au coeur des objectifs de l'Equipe Biologie Marine, la volonté de valoriser activement ses compétences et ses équipements de pointe en matière de microscopie électronique dans le cadre de la création de l'institut Fédératif de recherche en Biologie Intégrative sous l'égide de l'Université Paris 6 et du CNRS.
A suivre !..