Avril 1999 - n°37
Le Centre Européen de Recherche et d'Enseignement de Géosciences de l'Environnement reconstitue l'histoire des sols grâce aux phytolithes
Le CEREGE, Centre Européen de Recherche et d'Enseignement de Géosciences de l'Environnement, est une unité mixte de recherche de l'Université d'Aix-Marseille III, au CNRS et en partenariat avec l'IRD (anciennement ORSTOM).
Installé sur le site du plateau de l'Arbois entre Aix-en-Provence et Marseille, le CEREGE a pour mission d'étudier les interactions présentes et passées à la surface de la terre, c'est-à-dire à l'interface de la biosphère, lithosphère, atmosphère et hydrosphère.
L'intérêt des phytolithes en paléoclimatologie.
La paléoclimatologie -la reconstitution de l'environnement passé- est un des thèmes de recherche menés au CEREGE. "Reconstituer l'environnement passé permet de comprendre l'évolution des sols et le rôle que joue la végétation dans leur fonctionnement. Ces connaissances sont primordiales pour prévoir le devenir de l'environnement suite à des changements climatiques. La transformation de la forêt en savane est par exemple un de nos sujets d'études" explique J.-D. Meunier, chargé de recherches au CEREGE. Pour reconstituer l'histoire de l'environnement d'une région (végétation, climat, incendie...), les scientifiques disposent de différents indicateurs paléoenvironnementaux présents dans les sédiments ou les sols : pollens, charbons de bois, phytolithes... Si l'intérêt des analyses de pollens et de charbons de bois en paléoclimatologie est connu et reconnu depuis de nombreuses années, les recherches menées dans ce domaine sur les phytolithes sont plus récentes et concernent peu d'équipes dans le monde. "Au CEREGE, les phytolithes et leur utilisation pour retracer les environnements passés font l'objet de nombreuses recherches et nous avons montré dans le cadre d'une étude comparative avec les analyses de pollens et de charbons de bois que ce sont des marqueurs paléoenvironnementaux fiables" explique J.-D. Meunier.
Des particules siliceuses fabriquées par les végétaux
Le silicium, élément le plus fréquent après l'oxygène sur la terre, est puisé par les racines des plantes, il circule dans la sève et arrive aux feuilles où il se concentre pour former un gel puis des particules d'opales qui épousent la forme des cellules : ce sont les phytolithes. A la mort des plantes, une partie des phytolithes entre dans le cycle géochimique, les particules sont dissoutes dans le sol et restituent le silicium qui devient de nouveau assimilable par la végétation. Une autre partie résiste à la dissolution et subsiste dans les sols ou les sédiments sous forme de fossiles et constitue ainsi un outil précieux pour reconstituer l'histoire de l'environnement.
Des marqueurs pour reconstituer l'histoire des sols
Des travaux récents du CEREGE ont montré que les phytolithes fossilisés avaient une grande utilité en milieu tropical, et tout particulièrement dans les savanes. L'intérêt principal des phytolithes, contrairement aux pollens, est qu'ils ne s'oxydent pas dans les sols. Ainsi, dans les savanes, les pollens fossiles de graminées (l'essentiel de la végétation des savanes) se conservent très difficilement dans un milieu oxydant comme le sol et leur rareté constitue un obstacle à la reconstitution de l'histoire de ce type d'environnement. Les phytolithes sont en revanche des marqueurs très intéressants de ces régions puisqu'ils sont préservés et qu'ils présentent des morphologies différentes en fonction des diverses sous-familles de graminées dont ils sont issus, ils permettent ainsi aux scientifiques de préciser la nature des savanes (herbes basses ou hautes) présentes il y a plusieurs millénaires.
Le CEREGE s'intéresse aussi aux particules de phytolithes qui se solubilisent et dont le silicium entre dans le cycle bio-géochimique. Des études menées en forêt équatoriale au Congo ont montré que plus de 90% du silicium absorbé par les plantes -soit environ 60 kg/ha/an- est ensuite de nouveau assimilable par la végétation. Cet apport en silicium dans le sol par les plantes est trois fois supérieur à celui provenant de l'altération de minéraux. Cette quantification des transferts de silicium prouve que les plantes participent de façon essentielle, à travers le cycle bio-géochimique, à la formation et au fonctionnement des sols. En outre, comme la quantité de silice fixée est variable selon les espèces de plantes, les scientifiques peuvent déterminer le rôle des différentes végétations dans la formation des sols.
Les phytolithes possèdent également d'autres qualités et sont notamment recherchés en archéologie. "Les phytolithes retrouvés en grands nombres dans les sols des sites archéologiques renseignent sur les cultures pratiquées par les civilisations anciennes. Les archéologues analysent aussi les phytolithes prélevés dans le tartre dentaire des fossiles humains ou animaux afin de reconstituer leur alimentation" confirme J.-D. Meunier.
Les recherches sur les phytolithes sont récentes et en pleine évolution, un congrès international consacré à cette jeune discipline existe depuis 1996, la seconde édition a été organisée l'année dernière par le CEREGE. Le but de ce congrès est de réunir tous les deux ans les scientifiques qui utilisent les phytolithes en paléoclimatologie, paléoécologie, archéologie, sciences du sol et diététique afin de faire le point sur les avancées des connaissances.
V. CROCHET