Mars 2001-n°56

Vous avez dit "e-university"?

Rencontre avec M. VAUTHIER, Professeur à l'Université Paris 6

Il y a quelques mois, était organisé à Paris un colloque international sur le thème de l'enseignement à distance (EAD) et, tout particulièrement, du e-learning : "Faut-il cabler la Tour d'ivoire? L'Europe face au monde nord américain - La place de la France - Le point, les décisions à prendre".

A l'origine de cette initiative : l'Agence Interministérielle EduFrance et l'EADTU (European

Association of Distance Teaching Universities) qui regroupe les plus importantes universités à distance ou organismes affiliés en Europe.

M. Jacques VAUTHIER, organisateur de ce colloque, nous propose un tour d'horizon des nouvelles technologies de l'information et de la communication appliquées au transfert des connaissances ; il nous expose les enjeux de ce nouveau mode d'enseignement et présente les mesures prises récemment par la France pour entrer dans la compétition internationale de la formation en ligne.

M. Jacques VAUTHIER : pionnier du e-learning français

Jacques VAUTHIER est Professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, chargé de développer l'enseignement à distance à l'Agence Interministérielle EduFrance, expert auprès de l'UNESCO et secrétaire général adjoint de l'EADTU.

Son expérience de la pratique de l'enseignement par les nouvelles technologies remonte au début du développement d'Internet en France. Il a été le premier à créer un enseignement à distance interactif par Internet de ses propres cours pour la licence de mathématiques à Paris 6. Il assure, par ailleurs, les cours sur Radio Sorbonne et dans le cadre des "Amphis de la Cinq".

Flexibilité et interactivité pour la nouvelle industrie de la connaissance

"Le premier à parler d'une "e-university" a été Tony Blair lors d'une intervention aux Communes à Londres. Le but était de faire entrer les universités traditionnelles anglaises - dont les célèbres Oxford et Cambridge - dans le "e-market"...", nous explique M. VAUTHIER. "L'enjeu : 800 millions de livres sterling d'exportation de contenus et de diplômes universitaires..."

Une situation d'ores et déjà bien établie aux Etats-Unis où ont été constitués des consortiums comme le projet de l'Université de Columbia qui regroupe plusieurs grandes universités mondiales.

Désormais de nouveaux opérateurs spécialisés dans le transfert de connaissances sont créés chaque jour et, actuellement, plus de 200 universités virtuelles existent dans le monde. Ces "universités" sont de niveaux très différents. "Comment comparer le projet d'un jeune free-lance qui s'attaque à ce type de marché à celui qui porte le nom de la très célèbre université américaine "Columbia" ou à ceux de groupes multinationaux de la taille de Microsoft ou de CISCO, pesant quelques milliards de dollars?..", remarque M. VAUTHIER.

Dans le monde du Laboratoire, deux grands modes ont été exploités pour développer l'enseignement à distance :

1/ la simulation

c'est-à-dire la mise en ligne de laboratoires fictifs, avec la transposition sur Internet de réactions et de manipulations de plus en plus sophistiquées ; que ce soit dans le domaine de la physique (par exemple, la mesure de l'allongement de ressorts), de l'électrique (étude de circuits électriques) ou de la chimie (dosage d'oxydo-réduction)...

Nous noterons notamment parmi les plateformes les plus actives dans ce domaine, celle de l'Open University (www.open.ac.uk) ou encore celle du ministère français (www.education.gouv.fr).

"Plusieurs sites français sont aujourd'hui en cours de création autour de ce concept, et nous devrions voir très prochainement se créer de véritables laboratoires à distance", déclare Jacques VAUTHIER.

2/ la manipulation en direct

Selon le mode réaliste, le laboratoire peut également être transposé en direct sur Internet grâce à l'utilisation de webcam et l'exploitation du principe des visioconférences.

C'est le cas notamment du site allemand de la Fern Universität (www.fernu.de) sur lequel il est proposé de télécommander un robot via son ordinateur.

Les limites de cet outil Internet : les manipulations à grande échelle, difficilement transposables, et les inconvénients propres à un enseignement pratique virtuel, à savoir que "ce n'est pas parce que l'on a vu une manipulation qu'on l'a réalisée", précise M. VAUTHIER.

L'enseignement à distance via Internet laisse donc transparaître certaines limites qui rendent l'implication humaine toujours indispensable dans le cadre d'un tutorat de proximité. Néanmoins, le e-learning a bénéficié ces dernières années d'énormes avancées technologiques et offre d'incontestables atouts en réponse aux enjeux de formation du 21ème siècle.

Le e-learning : une réponse aux enjeux du 21ème siècle, "just in time, just for me"

Une récente étude a montré que d'ici quelques années le nombre d'étudiants dans le monde devrait doubler, contrairement aux capacités d'accueil des universités. L'enjeu de la formation professionnelle est donc de répondre à cette demande émergente, qui émane d'un public de plus en plus diversifié, dans un contexte économique où progrès technologique et mondialisation favorisent le développement rapide d'un marché international de l'éducation.

Ce n'est pas seulement la formation initiale qui est concernée, mais aussi ce que l'on appelle le "life-long learning" ou "l'éducation tout au long de la vie". Le dernier rapport de la société Arthur Andersen fait état de 60 % de dépenses de formation des entreprises américaines via le e-learning. On en est encore loin en France, bien que la situation soit paradoxalement plus favorable grâce aux lois sociales ; les négociations sur les 35 heures, en effet, sont révélatrices d'un changement dans notre pays : la formation revient maintenant aux individus.

Quelles qu'en soient les motivations - personnelles ou professionnelles -, ces attentes se manifestent en tout lieu, à tout moment, à tout âge et ne peuvent être satisfaites que par des offres de formation fortement individualisées.

On note une évolution de plus en plus forte vers la notion de "knowledge management", qui prend en compte non seulement les connaissances de l'individu, mais aussi la culture de l'entreprise et les enjeux auxquels elle doit faire face dans la compétition internationale. Le "knowledge management" est donc moins individualisé et plus conçu dans la perspective d'un travail en équipe, le e-learning restant très personnel.

"Il faut donc maintenant des formations "cousues mains" - "just in time, just for me" - pour que les employés puissent recevoir, au moment où ils sont libres, sur leur lieu de travail, contenu et environnement pédagogiques qui leur permettront de faire évoluer leur carrière ou de changer de travail", confirme Jacques VAUTHIER.

Des impératifs pour entrer au cœur de la compétition internationale de la formation en ligne

- un partenariat indispensable avec l'Industrie

"On sait bien évidemment ce que coûtent les produits pédagogiques associés aux multimédias. F. PECCOUD, Président de l'université technologique de Compiègne, a estimé le coût d'une heure à environ 30 000 francs", nous confie M. VAUTHIER. L'enjeu économique est de plusieurs milliards de francs et les universités feraient bien de trouver des alliés, si elles ne veulent pas se laisser distancer et perdre une manne qui leur a été fort utile depuis de nombreuses années.

Le partenariat avec des industriels est donc indispensable et les opérateurs français devraient rapidement suivre cette voie, à l'exemple de ce qui se fait en Italie où les universités se sont regroupées dans un consortium "NETTUNO", en partenariat avec Berlusconi.

- en attente d'une codification pour la reconnaissance du multimédia dans les carrières universitaires

Outre la nécessaire collaboration entre universités et industries, la révolution du e-learning implique de profonds changements des mentalités dans le milieu universitaire.

"Tout ce qui est lié à la production multimédia n'est en effet absolument pas pris en compte dans les carrières", nous confie M. VAUTHIER. "Nous sommes aujourd'hui en attente d'une codification plus favorable..."

Un accord de coopération d'ores et déjà signé entre les principaux acteurs de l'EAD en France

Depuis 1999, l'enseignement à distance est devenu un axe prioritaire du gouvernement et des universités françaises. En novembre 99, des dotations ministérielles sont accordées à l'essor des nouvelles technologies et, plus récemment, M. Guy AUBERT -Directeur du CNED- s'est vu confier le développement de l'enseignement à distance en France.

Dans ce contexte, pour structurer et organiser l'offre française d'enseignement supérieur à distance, la Conférence des Présidents d'Université (CPU), la Conférence des Directeurs d'Ecoles et Formations d'Ingénieurs (CDEFI), la Conférence des Directeurs d'Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (CDIUFM) et le Centre National d'Enseignement à Distance (CNED) ont signé, pour la première fois fin 2000, un accord de coopération.

Tous "s'engagent à unir leurs efforts pour assurer notamment :

- la mise en place de cursus universitaires accessibles à distance pour les publics de la formation tout au long de la vie,

- le développement de consortiums thématiques pour l'enseignement à distance,

- la modernisation de filières existantes en faisant appel aux techniques numériques,

- la visibilité et la cohérence de l'offre de formation supérieure à distance,

- l'exportation de l'offre de formation à distance,

- la réponse conjointe à des appels d'offres européens ou internationaux"

A noter également, à l'initiative des Ministères, le lancement en 2001 d'un appel d'offres pour le développement de campus virtuels, d'un montant global de 40 millions de francs.

A suivre...

Contact :

Jacques VAUTHIER

 

A vos souris...

Les grandes universités européennes qui offrent des cours à distance :

- Open University (UK) : www.open.ac.uk

- UNED : www.uned.es

- Fern Universität : www.fernu.de

- NETTUNO : www.agora.stm.it/nettuno

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