Mars 2001-n°56

Les gènes homéotiques, véritables architectes du développement, au cœur des recherches de Yacine Graba, distingué par la médaille de bronze du CNRS

La médaille de bronze du CNRS a été remise le 3 novembre dernier à Yacine Graba, jeune chargé de recherche au sein du Laboratoire de Génétique et Physiologie du Développement (*) (UMR 6545 CNRS - Université de la Méditerranée) dirigé par Jacques Pradel. Une récompense qui souligne l'importance de ses travaux menés sur la mouche drosophile dans le domaine du contrôle homéotique de la morphogenèse.

Les gènes homéotiques (Hox) délivrent une information positionnelle déterminante pour assurer la formation des organes à leur juste place, ce sont en quelque sorte les architectes du développement. Ces gènes codent pour des facteurs de transcription, les protéines Hox. Leur fonction repose donc sur leur capacité à réguler d'autres gènes appelés gènes cibles. Si les transformations homéotiques sont décrites depuis plus d'un siècle, le mode d'action des protéines Hox gardent encore tout son mystère. Deux questions centrales sont au cœur des recherches sur la fonction des protéines Hox : quelle est la nature et la fonction des gènes cibles ; quelles sont les modalités moléculaires qui sont à l'origine de la diversité de fonction des protéines Hox.

Le groupe de Jacques Pradel s'intéresse depuis une dizaine d'années à la fonction des gènes Hox. L'approche principale a d'abord consisté en l'identification de gènes cibles des protéines Hox avant d'en analyser plus précisément la fonction. L'objectif à terme est de mieux cerner quelles sont les fonctions biologiques mises en œuvre en aval des gènes Hox et d'établir leurs contributions au processus de morphogenèse. L'essentiel des premiers travaux menés par Yacine Graba au sein du laboratoire marseillais s'est inscrit dans cette perspective. Après un stage post-doctoral à l'Université de Stanford en Californie, le jeune chercheur poursuit aujourd'hui des recherches sur les mécanismes moléculaires des spécificités d'action des protéines Hox.

Les gènes homéotiques, des gènes exceptionnellement conservés au cours de l'évolution

Chez la drosophile, les gènes homéotiques sont groupés sur le chromosome 3 sous forme de deux ensembles comportant chacun trois et cinq gènes Hox tandis que les mammifères comptent une quarantaine de gènes Hox regroupés en quatre complexes indépendants situés chacun sur un chromosome différent. "Malgré une conservation évolutive qui se limite presque exclusivement aux domaines de liaison à l'ADN, les recherches ont montré que les gènes homéotiques des insectes et des mammifères sont de véritables homologues moléculaires" précise Yacine Graba. Les fonctions et les structures de ces protéines ont été remarquablement conservées au cours de l'évolution au point d'être interchangeables entre les espèces. " Cette conservation fonctionnelle permet d'envisager que les connaissances acquises sur des modèles animaux, la drosophile pour ce qui nous concerne, soient rapidement transposables et utilisables dans la compréhension de pathologies humaines" poursuit Yacine Graba. Chaque gène homéotique est impliqué dans une multitude de fonctions au cours de la morphogenèse et la mutation d'un gène Hox entraîne des effets multiples. Ainsi, une mutation humaine affectant le gène Hoxa-13 a été décrite dans le syndrome main - pied- génital (MPG), les individus atteints par cette pathologie à l'état hétérozygote présentent des malformations de la main et du poignet ainsi que de graves altérations du système uro-génital. "Les gènes homéotiques et les défauts de morphogenèse associés à leur mutation sont aujourd'hui bien décrits, nous avons des données pour beaucoup d'espèces, vertébrées et invertébrées" confirme Yacine Graba, "en revanche, les connaissances sur le fonctionnement de leurs produits, l'identification et la fonction des gènes cibles qu'ils régulent, sont moins développées et mes recherches ont pour but de faire avancer les connaissances dans ce domaine".

Identification et caractérisation fonctionnelle des gènes cibles des protéines Hox

"L'identification ainsi que l'analyse de la fonction des gènes cibles des protéines Hox est une étape indispensable à une meilleure compréhension de la fonction des gènes homéotiques puisqu'elle permet d'apporter un éclairage nécessaire sur les fonctions biologiques activées par les gènes Hox lors du contrôle homéotique de la morphogenèse" explique Yacine Graba. Un travail de recherche particulièrement vaste puisque les chercheurs estiment que chaque gène homéotique code pour un facteur de transcription qui contrôle, en interaction avec des co-facteurs spécifiques, l'activité de plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de gènes cibles et ceci pour un seul événement de morphogenèse ! Une dizaine de gènes cibles ont été identifiés à ce jour par le laboratoire marseillais avec une participation active de Yacine Graba au cours de sa thèse. "La recherche de gènes cibles des protéines Hox reste d'actualité. Les méthodologies utilisées jusque là ont cependant toutes montré leur limite. L'application de nouvelles technologies issues de la génomique, comme par exemple les puces à ADN, pourrait être plus performante dans ce domaine". précise Yacine Graba.

Mode d'action et spécificité fonctionnelle des protéines Hox

Si la conservation évolutive et fonctionnelle des protéines Hox est aujourd'hui très clairement établie, le mode d'action des protéines Hox, facteurs de transcription, reste encore énigmatique. Une des questions les plus fascinantes est de cerner les modalités moléculaires qui permettent la diversité de fonction des ces protéines. Le jeune chercheur étudie actuellement les mécanismes des spécificités d'action des protéines Hox qui se caractérisent notamment par deux propriétés importantes : les protéines Hox parviennent à sélectionner des combinatoires distinctes de gènes cibles malgré les similitudes de leur propriété de liaison à l'ADN. Par ailleurs les gènes Hox activent ou répriment leurs gènes cibles de manière localisée, c'est-à-dire pas dans l'ensemble du domaine où ils sont eux-mêmes exprimés. Ce sont ces deux aspects fondamentaux de la fonction des protéines Hox que Yacine Graba s'attache à élucider encouragé par cette première reconnaissance du CNRS à poursuivre des recherches qui ont déjà permis des avancées remarquées sur le fonctionnement des gènes homéotiques au cours de la morphogenèse.

V. CROCHET

(*) Le Laboratoire de Génétique et Physiologie du Développement (LGPD) est une Unité Mixte de Recherche CNRS - Université de la Méditerranée qui comprend actuellement 12 équipes. Les recherches du LGPD sont centrées sur l'étude du développement animal à l'aide de différents modèles biologiques (nématode, drosophile, ascidie, xénope, poulet et rongeur). Les chercheurs étudient d'une part les gènes contrôlant le développement précoce et, d'autre part, les gènes et les interactions cellulaires qui gouvernent les différentes étapes de l'organogenèse. Le LGPD est une équipe fondatrice de l'Institut de Biologie du Développement de Marseille (IBDM), un Institut Fédératif de Recherche composé de 4 formations de recherche appartenant au CNRS, à l'INSERM et à l'Université de la Méditerranée et de 2 services hospitaliers dépendant de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille.

Contact :

Yacine Graba

LGPD

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