Avril 2001 -n°57

L'UMR CNRS/IRD "Génétique des maladies infectieuses" à Montpellier

L'application des concepts de génétique évolutive à l'étude des maladies infectieuses et parasitaires

L'UMR CNRS/IRD "Génétique des maladies infectieuses" se focalise sur l'étude génétique des parasites et des vecteurs des maladies infectieuses et parasitaires avec un volet de génétique évolutive particulièrement développé. L'origine de l'unité remonte à 1988 avec le lancement du Laboratoire de génétique des parasites et des vecteurs au sein du nouveau centre IRD de Montpellier. En 1992, le laboratoire devient une Unité Mixte de Recherche CNRS-IRD intitulée "Centre d'Etudes sur le Polymorphisme des Micro-organismes" avant d'être rebaptisée depuis le 1er janvier 2001 "Génétique des maladies infectieuses".

Dirigé depuis ses débuts par Michel Tibayrenc (Directeur de Recherche IRD), le laboratoire compte aujourd'hui trois équipes, une trentaine de personnes dont 12 chercheurs statutaires. "Nous travaillons majoritairement sur les agents des grandes parasitoses tropicales : maladie de Chagas, leishmaniose et paludisme et plus récemment nous avons diversifié notre activité en direction de certaines bactérioses : tuberculose et infections nosocomiales à Staphylocoques notamment" précise Michel Tibayrenc. Une ouverture aux bactéries souhaitées par le responsable de l'unité car "la communauté scientifique impliquée dans ces travaux est plus vaste, les échanges plus fructueux et la compétition plus marquée et motivante". Un contexte différent dû essentiellement au fait que tuberculose et infections nosocomiales touchent directement les pays industrialisés "nous passons de la savane africaine aux hôpitaux européens" confirme Michel Tibayrenc. La tuberculose, si elle reste en premier lieu répandue dans les pays en voie de développement, a été relancée dans les pays "riches" parallèlement à l'épidémie du SIDA dont elle est une infection opportuniste. Elle préoccupe les scientifiques car Mycobacterium tuberculosis développe de plus en plus de résistances au traitement ; a New York, 25% des souches actuellement isolées sont résistantes à tous les antibiotiques connus. Quant à la France, si elle reste moins touchée par la tuberculose que d'autres pays industriels, elle n'échappe pas aux infections nosocomiales qui tuent chaque année plus de 10 000 personnes.

La génétique des parasites et des vecteurs des maladies infectieuses

Dirigée par Michel Tibayrenc, l'équipe "Génétique des maladies infectieuses" constitue le cœur historique de l'unité et développe des recherches sur la structure génétique des populations des parasites et également de leurs vecteurs. "Nous avons pu mettre en évidence une grande diversité génétique des agents pathogènes, une variation qui peut se traduire au niveau fonctionnel par des pathogénécités et des résistances aux antibiotiques différentes et donc par une expression clinique variable. Nos travaux ont ouvert la porte à d'autres études plus appliquées au niveau médical et ont montré la nécessité de prendre en compte le polymorphisme des micro-organismes pour la mise au point des médicaments et des vaccins" explique Michel Tibayrenc. Les chercheurs utilisent également cette diversité génétique pour suivre le cheminement épidémiologique de ces parasitoses, ainsi, Leishmania chagasi, agent de la leishmaniose viscérale en Amérique du sud est similaire génétiquement à L. infantum qui sévit dans le bassin méditerranéen. Une similitude qui indique que vraisemblablement le parasite a été apporté sur le continent américain par les chiens des conquistadores. Les chiens et les canidés sauvages constituant en effet un réservoir de ce protozoaire transmis par des petits insectes hématophages, les phlébotomes.

L'évolution des systèmes symbiotiques hôtes-parasites

En 1998, le laboratoire qui s'appelait alors "Centre d'Etudes sur le Polymorphisme des Micro-organismes" accueille une nouvelle équipe dirigée par François Renaud (Directeur de Recherche CNRS). Dans les Sciences de l'Ecologie et de l'Evolution, les interactions hôtes-parasites constituent des modèles privilégiés de recherche. Dans ce contexte, l'équipe "Evolution des systèmes symbiotiques" mène des études évolutives sur des modèles parasitaires d'intérêt médical (douve du foie, bilharziose, paludisme) ou non médical et s'intéresse en particulier aux associations symbiotiques et aux phénomènes de co-évolution. "La finalité des travaux de l'équipe de François Renaud est différente de la notre puisqu'elle utilise les parasites comme modèles évolutifs tandis que nous utilisons les concepts de la génétique évolutive comme outil pour améliorer nos connaissances sur l'épidémiologie". précise Michel Tibayrenc. Il existe cependant une composante commune puisque certaines recherches concernent l'utilisation des marqueurs génétiques dans l'épidémiologie de parasitoses tant d'un point de vue conceptuel (développements d'outils théoriques) que sur des données de terrain (Fasciolose, Schistosomose, Candidoses).

Les mécanismes théoriques et expérimentaux de l'évolution

Le chercheur Yannis Michalakis (Directeur de Recherche CNRS) auparavant intégré au sein de l'équipe de François Renaud a pu récemment créer sa propre équipe à la faveur d'une ATIPE CNRS. L'équipe "Evolution théorique et expérimentale" aborde plusieurs problèmes évolutifs essentiellement au travers de l'étude des interactions hôtes-parasites. Les recherches comprennent des projets expérimentaux, des modèles mathématiques et informatiques et des méthodes de reconstruction phylogénétique.

La maladie de Chagas au cœur des activités de l'unité montpelliéraine

Les travaux les plus connus et les plus avancés du laboratoire portent sur la maladie de Chagas. Cette maladie sévit uniquement en Amérique latine où elle atteint 10 à 20 millions d'individus et représente un grave problème de santé publique. L'agent pathogène est Trypanosoma cruzi, un protozoaire flagellé transmis à l'homme par des triatomes, des punaises hématophages qui pullulent dans les habitats pauvres de la campagne et les bidonvilles des grandes villes. La maladie de Chagas se traduit à l'état chronique essentiellement par des pathologies cardiaques sévères, c'est la principale cause d'insuffisance cardiaque au Brésil et au Venezuela. Récemment, Michel Tibayrenc s'est vu décerner la médaille de la Fondation brésilienne Oswaldo Cruz (du nom d'un élève de Pasteur qui a créé l'équivalent de l'Institut français en Amérique latine) pour ses travaux sur cette maladie et leur contribution à la science latino-américaine. " Si jusqu'à présent nos travaux ont porté sur le parasite et son vecteur, nous allons prochainement développer le volet de la susceptibilité génétique humaine à la maladie de Chagas pour une approche plus synthétique de cette maladie parasitaire" annonce Michel Tibayrenc. L'équipe "Génétique des maladies infectieuses" lance dans cette perspective un programme pilote sur l'étude de la maladie de Chagas congénitale en Bolivie.

Un colloque, une société savante et une revue scientifique initiés par le laboratoire montpelliérain

Développer les échanges et la circulation de l'information scientifique est une volonté du laboratoire qui a lancé en 1996 conjointement avec le Center for Disease Control and Prevention d'Atlanta le colloque "Molecular Epidemiology and Evolutionary Genetics of Infectious Diseases". Cette réunion sponsorisée par le CNRS, l'IRD et le CDC a lieu tous les deux ans et regroupe des chercheurs du monde entier travaillant sur les parasitoses, bactérioses et viroses. "Nous traitons des trois grands axes d'études nécessaires et complémentaires pour appréhender une maladie infectieuse ou parasitaire : la génétique des agents pathogènes, la génétique des vecteurs et la susceptibilité génétique de l'homme" explique Michel Tibayrenc. Suite au succès de ce colloque, une société scientifique du même nom a été créée et une nouvelle revue scientifique "Infection, Genetics and Evolution" a été lancée aux éditions Elsevier. " Jusqu'à présent les recherches étaient très compartimentées avec peu de contacts entre les scientifiques de ces différents domaines pourtant concernés par une même maladie, le colloque et la nouvelle revue (http://www.elsevier.nl/locate/meegid) constituent de nouveaux outils d'échanges" se félicite Michel Tibayrenc.

V. CROCHET

Contact :

Michel Tibayrenc

 

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