Mai 2001 - n°58
Ecologie microbienne des insectes et interactions hôtes-pathogènes
Une nouvelle unité mixte de recherche INRA - UMII
La nouvelle unité mixte de recherche INRA-UMII "Ecologie microbienne des insectes et interactions hôtes-pathogènes" est située sur la faculté des sciences de Montpellier et fait partie de l'IFR 56 "Biologie cellulaire et processus infectieux". Cette nouvelle unité indépendante était auparavant une équipe intégrée au Laboratoire de Pathologie Comparée (INRA-CNRS-UMII) de St Christol-lez-Alès. "Nous étions à cheval sur deux sites, un éclatement qui posait de nombreux problèmes de fonctionnement, nous avons donc demandé dans un premier temps la constitution d'une UMR INRA-UMII, lors du prochain renouvellement de l'unité en 2002, nous demanderons à être reconnus UMR INRA-UMII-CNRS" précise Noël Boemare, responsable de la nouvelle unité qui compte une vingtaine de personnes dont quatre chercheurs INRA, trois maîtres de conférences, un chargé de recherche CNRS, 5 ingénieurs et techniciens, et des stagiaires et post-doc.
L'étude de l'écologie microbienne des insectes et des relations hôtes-pathogènes a pour objectif de caractériser des micro-organismes pathogènes d'insectes. Elle présente de nombreux aspects fondamentaux et des retombées intéressantes notamment en lutte biologique.
Les symbioses entomopathogènes bactéries-helminthes
L'unité est spécialisée dans l'étude de bactéries symbiotiques de nématodes entomophages : les entérobactéries Xenorhabdus et Photorhabdus respectivement associées aux nématodes des genres Steinernema et Heterorhabditis. Les bactéries symbiotiques sont conservées à l'état quiescent dans les larves infestantes durant la survie des parasites à l'état libre dans le sol. Véhiculées par les nématodes, elles entrent dans les insectes lors du parasitisme et sont alors libérées dans le milieu intérieur où elles se multiplient engendrant la mort de la proie par septicémie deux à trois jours après l'infection. Le nématode a alors toutes les conditions favorables pour se multiplier et se reproduire dans la dépouille de l'insecte se nourrissant de la biomasse bactérienne et des tissus bioconvertis par le métabolisme bactérien. "Il y a deux niveaux intéressants dans ce modèle d'étude, l'association symbiotique bénéfique à la bactérie et au nématode et l'effet pathologique vis-à-vis des insectes" remarque Noël Boemare.
A partir de ces modèles, le laboratoire développe des recherches autour de trois grands axes :
1) l'étude des facteurs de virulence des bactéries,
2) les réactions immunitaires des insectes infectés et
3) la biodiversité bactérienne.
Xenorhabdus-Steinernema et Photorhabdus-Heterorhabditis : une relation bactério-helminthique étroite, exclusive et complexe
Le souchier du laboratoire montpelliérain compte environ 150 souches différentes de bactéries des genres Xenorhabdus et Photorhabdus, des bactéries étudiées dans leurs caractéristiques phénotypiques et génotypiques afin de proposer une classification bactérienne. En collaboration avec le laboratoire INRA de Pointe-à-Pitre qui s'occupe plus particulièrement de l'étude et de la classification des nématodes, les chercheurs ont généralement pu constater que la corrélation espèce-espèce est stricte et qu'une espèce de bactérie est associée à une seule espèce de nématode. Une co-spéciation entre les nématodes et leurs bactéries qui indique que vraisemblablement la coopération des deux génomes associés a apporté un saut évolutif considérable aux bénéficiaires. Les complexes bactério-helminthiques formés sont capables de s'attaquer efficacement à un large spectre d'insectes ce qui n'est pas le cas pour la bactérie ou le nématode seul à quelques exceptions près. Les chercheurs ont en effet pu montrer par l'obtention de sujets axéniques que certaines espèces de nématodes sont entomopathogènes sans l'aide de bactéries. Des exotoxines insecticides actives par ingestion sont également produites par certaines souches de Photorhabdus et Xenorhabdus et rendent inutile dans ce cas le rôle de vecteur joué par les nématodes. Plusieurs armes semblent donc être à la disposition du couple bactérie-helminthe, chaque partenaire ayant un pouvoir entomopathogène propre plus ou moins développé qui se trouve exacerbé lors de la symbiose. "Beaucoup de points restent à élucider dans cette relation symbiotique et le processus infectieux mis en uvre, cest pourquoi des travaux de recherche fondamentale sont développés dans ce sens au laboratoire" explique Noël Boemare.
"Le génome d'une souche de Photorhabdus a été entièrement séquencé dans le cadre d'un programme de recherche en collaboration avec l'Institut Pasteur. Des données importantes sont et seront ainsi recueillies pour étudier les mécanismes moléculaires sous-jacents impliqués dans la symbiose et la virulence et qui sont pour l'essentiel encore ignorés" poursuit le responsable de l'unité.
De multiples applications agronomiques
Les recherches de l'unité trouvent tout naturellement des débouchés dans la lutte insecticide. Les nématodes sont de bons candidats à la lutte biologique : ils sont virulents suffisamment longtemps pour contrôler une population de ravageurs, ont un large spectre d'action et sont sans danger pour les vertébrés à sang chaud. Certains nématodes sont déjà commercialisés et des essais de R&D sont en cours. Les découvertes récentes de l'existence d'exotoxines insecticides produites par certaines souches de Photorhabdus et Xenorhabdus présentent également un intérêt pour leurs applications phytosanitaires qui constitueraient une alternative face à la résistance observée chez de nombreux insectes aux toxines de Bacillus thuringiensis. Des programmes de recherche portent également sur le transfert des bactéries vers les plantes des gènes codant pour la synthèse de ces toxines pour créer des espèces résistantes aux ravageurs. Un contrat industriel lie le laboratoire montpelliérain avec Rhobio et l'Institut Pasteur concernant l'identification de toxines utilisables en lutte insecticide pour la protection des cultures et aussi dans un but de santé publique, les insectes étant vecteurs de nombreuses maladies pour l'homme et les animaux.
Une source de nouveaux antibiotiques
Lors du parasitisme, à la mort de l'insecte par septicémie, l'envahissement de la cavité générale par la microflore intestinale de l'insecte et les bactéries du sol est empêché par la synthèse de plusieurs antibiotiques par le symbiote du nématode. La reproduction du nématode dans la dépouille de l'insecte se fait alors dans un microcosme quasi monoxénique. Cette exclusion de toute compétition microbienne explique en partie la spécificité symbiotique de chaque couple et la transmission de la bonne bactérie à la descendance.
Parmi les nombreuses molécules synthétisées par les souches de Photorhabdus et Xenorhabdus, différentes familles chimiques de molécules sont représentées et ont des propriétés antibiotiques relativement larges sur les bactéries à Gram négatif, Gram positif mais également les moisissures et les nématodes. Un brevet Rhobio-INRA a été déposé et concerne l'utilisation d'un de ces antibiotiques pour lutter contre les champignons pathogènes de plantes. Les molécules qui présentent des activités nématicides intéressent également la lutte biologique car de nombreux nématodes sont des vecteurs de virus ravageurs de plantes.
Vers la création d'une start-up pour valoriser ce potentiel de nouvelles molécules antibiotiques
Selectbiotics, une nouvelle société en cours de montage financier, va procéder à un criblage général et systématique de toutes les bactéries du souchier de l'unité afin d'identifier tous les antibiotiques synthétisés et leur potentiel d'action. Les antibiotiques qui présenteront un intérêt phytosanitaire ou médical seront proposés à des industriels. "Ces nouvelles molécules pourraient apporter des solutions intéressantes au problème majeur que posent les bactéries multirésistantes aux antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire" confirme Noël Boemare.
Photorhabdus et Xenorhabdus sont deux genres bactériens qui ne manquent décidément pas de ressources et qui nécessitent encore de nombreuses recherches fondamentales même si leur valorisation industrielle apparaît déjà prometteuse.
V. CROCHET
Contact :
Noël Boemare