Octobre 2001 - n°61

DISTINCTION :

Bernard Spinner, Professeur au CNRS-IMP de Perpignan, reçoit Le Prix du Jury du Grand Prix Européen de l’Innovation 2000 pour le procédé STIMP-CNRS

L’Institut de Science et Génie des Matériaux et Procédés (IMP) est une Unité Propre du CNRS qui est rattachée au Département des Sciences Physiques pour l’Ingénieur et dont une part importante des recherches relève également du Département des Sciences Chimiques. L’IMP est localisé sur le campus universitaire de Perpignan et au Four Solaire d’Odeillo-Font Romeu. Le Professeur Bernard Spinner est Directeur de l’IMP et responsable depuis vingt ans d'une équipe spécialisée dans les recherches sur le génie de la sorption solide-gaz appliqué à des fins énergétiques. Derrière cet intitulé technique se cache la mise au point d'un procédé innovant qui bouleverse aujourd'hui l’univers frigorifique. Le procédé STIMP-CNRS a valu récemment le Prix du Jury du Grand Prix Européen de l’Innovation 2000 à Bernard Spinner.

Faire du froid sans électricité

Le procédé STIMP-CNRS (Système Thermochimique IMP-CNRS) est le résultat de nombreuses années de recherche menées sur l’utilisation rationnelle de l’énergie par l’équipe du Pr. Bernard Spinner grâce à plusieurs programmes financés par le CNRS, le MENRT, l’ADEME et la CEE. La société ELF a également largement soutenu ces travaux puisqu’elle s’intéresse depuis 1981 au développement des systèmes thermochimiques. C’est ainsi que, dans le cadre d’accords entre le CNRS et ELF, la propriété industrielle des résultats des recherches a été prise en copropriété et gérée par ELF, soit plus de vingt brevets déposés en commun pour assurer la propriété du procédé alors dénommé STELF pour Systèmes Thermochimiques ELF-CNRS. En 1999, le CNRS a repris seul la gestion des brevets et licences et le procédé a été rebaptisé STIMP-CNRS, le groupe Total-Fina-Elf étant licencié du CNRS pour l’utilisation du procédé par grands fonds.

Une réaction thermochimique pour produire froid et chaud

Le procédé STIMP-CNRS est fondé sur la réaction chimique entre un gaz (l’ammoniac, le gaz carbonique ou l’eau avec l’inconvénient pour ce dernier gaz de ne pouvoir produire du froid en dessous de 0°C) et des sels réactifs (chlorures de calcium, de manganèse, de baryum…). Le gaz liquide sous pression s’évapore à l'ouverture d’une vanne liant le réservoir de gaz liquéfié et le réservoir contenant les sels. L’évaporation consomme de la chaleur, le réservoir du gaz produit donc du froid alors que le réservoir de sel produit de la chaleur, la réaction chimique étant exothermique. Après évaporation totale du gaz, le processus inverse est entamé par une source de chaleur qui permet la re-liquéfaction du gaz. " Ce concept de pile thermochimique est connu depuis les années 1920 en Allemagne où des chercheurs se sont intéressés au problème de la fourniture en froid des trains, mais à l’époque le système n’a pas fonctionné car il manquait le réactif support à cette réaction chimique " nous explique Bernard Spinner. En effet, les sels de chlorure sont poreux et présentent naturellement de faibles propriétés de transfert de chaleur. Le travail des chercheurs de l’IMP a consisté à optimiser cette réaction avec la mise au point d’un liant, un graphite naturel expansé qui ne participe pas à la réaction chimique mais qui favorise les transferts de chaleur. Ce matériau nouveau, l’IMPEX est la clé du développement industriel de ce procédé. Les premiers brevets déposés sur ce matériau datent de 1983 mais c’est seulement depuis 1992 que l’IMPEX prend tout son intérêt avec la mise au point d’un procédé de fabrication en continu par la société Le Carbone Lorraine. " La mise en œuvre et les dimensionnements de ces matériaux supports sont en réalité les vraies commandes du procédé puisqu’ils assurent les fonctions de production à des puissances variables sans autre nécessité de contrôle de type électronique. La nature des réactifs solides fixe le niveau de température du froid produit " souligne Bernard Spinner . Ainsi, un support sera spécifiquement élaboré pour obtenir un froid à — 30°C sur plusieurs heures tandis qu’un autre aux propriétés différentes permettra de produire des glaçons en moins d’une minute.

"Nous poursuivons actuellement des recherches très appliquées sur la mise au point de supports adaptés à des cas précis soumis par les industriels " précise le directeur de l’IMP .

Un procédé séduisant et performant

Le procédé STIMP-CNRS révolutionne la technique frigorifique par ses multiples propriétés. La première est que contrairement aux systèmes frigorifiques traditionnels, il ne fonctionne pas seulement à l’énergie électrique mais peut utiliser les sources d’énergie les plus variées (combustion de gaz , vapeur ou énergie solaire). Il est capable de faire simultanément du froid et du chaud et couvre à lui seul une large gamme de températures : de —50°C à 30°C dans la production de froid et de 80°C à 250°C dans la production de chaleur. Autre avantage de la méthode, la possibilité de stocker de l’énergie sans limitation de durée et de la restituer à l’instant et à l’endroit voulus sur un temps très court ou très long en fonction des besoins. Respectueux de l’environnement, le procédé évite l’emploi des gaz à effet de serre, permet l’utilisation d’énergies renouvelables et l’IMPEX est aisément recyclable. Enfin, derniers avantages, le procédé STIMP-CNRS est parfaitement silencieux et sans vibration. D’un coût encore non compétitif, le procédé trouve des marchés de niche où les systèmes classiques de réfrigération et de climatisation ne sont pas adaptés.

Un fort potentiel de valorisation industrielle

Plusieurs industriels ont acquis à ce jour des licences pour développer différentes machines à froid originales basées sur le procédé STIMP-CNRS et d’autres brevets d’application ont été déposés en partenariat avec des industriels. La société suédoise Viborg fabrique et commercialise des vitrines réfrigérées autonomes utilisables sur les marchés pour le stockage des denrées périssables. La réfrigération de tout produit alimentaire à risque étant aujourd’hui obligatoire sur les marchés, ces vitrines offrent une solution souple et performante. La société Socamel (Grenoble) développe des chariots porte-repas équipés du système STIMP-CNRS pour assurer le transport des plats cuisinés des cuisines centrales où ils sont préparés aux lieus où ils sont consommés (écoles, maisons de retraites, hôpitaux…). Ces chariots réfrigérés nouvelle génération sont actuellement testés auprès de certaines cliniques et municipalités et leur utilisation devrait rapidement se généraliser car ils assurent un respect total de la chaîne du froid avec une température de 3°C (précise à un degré près) garantie pendant six heures. A l’image de ces deux applications, le procédé STIMP-CNRS est particulièrement adapté au transport autonome de produits à température dirigée : denrées alimentaires, médicaments, prélèvements biologiques ou encore produits dangereux ou toxiques.

Dans un tout autre domaine, les établissements Paul Boyé (Sète), spécialisés dans la fourniture de vêtements de protection en milieu extrême notamment pour les pompiers et les militaires, ont mis au point des combinaison étanches et climatisées grâce à ce nouveau procédé. Enfin, si le groupe Total-Fina-Elf s’intéresse depuis fort longtemps à ce système thermochimique, c'est pour son utilisation par grands fonds où il rend possible le maintien en température de certains éléments de la tête de puits à 2000 mètres de profondeur actuellement irréalisable en raison de la différence de température entre la mer et la tête du puits de pétrole.

L’IMP : une longueur d’avance dans les nouveaux procédés de production, gestion et stockage de froid et de chaleur

Technologie d’avenir, le procédé STIMP-CNRS fait l’objet de projets très avancés et pour certains déjà commercialisés. D’autres applications intéressantes concernent également la climatisation de différents habitacles (voitures, avions…) ou encore l’équipement en machine frigorifique des camping-car, caravanes et bateaux. Pionniers dans ce domaine de nouveaux procédés de production, gestion et stockage de froid et de chaleur, les chercheurs de l’IMP bénéficient d’une renommée internationale soulignée récemment par cette récompense remise à Bernard Spinner lors du Grand Prix Européen de l’Innovation que certains ont déjà surnommé " le prix Nobel de la recherche appliquée ", les vrais prix Nobel étant pour la recherche fondamentale.

V. CROCHET

Contact :

Pr. Bernard Spinner

Retour aux archives de la gazette du LABORATOIRE