Décembre 2001 - n°63
L'unité INSERM U 385 de Nice reçoit le prix Jouan 2001 Thérapie génique
Lancé en 1997 pour cinq années consécutives, le prix Jouan Thérapie génique est destiné à récompenser et encourager un projet scientifique qui participe à l'avancée des nouvelles thérapies du 21ème siècle. D'une valeur de 40.000 FF, le prix Jouan Thérapie génique met l'accent sur des thèmes différents à chaque édition, après "les vecteurs" en 1998 et 1999, "la modélisation sur les petits animaux" en 2000, le prix 2001 était dédié à "la modélisation sur les grands animaux".
L'équipe lauréate du Prix 2001 est l'unité INSERM U 385 de la faculté de médecine de Nice représentée par Guerrino Meneguzzi, Directeur de Recherche INSERM, et Flavia Spirito, Docteur ès sciences employée par le CHU. L'équipe de Guerrino Meneguzzi poursuit des recherches sur la génétique et la thérapie génique des épidermolyses bulleuses héréditaires et, au-delà de l'étude et du soin de ces affections cutanées, utilise ces maladies rares pour envisager la faisabilité de la thérapie génique sur les kératinocytes de la peau.
L'unité INSERM U 385 "Biologie et physiopathologie de la peau" (Dr : Pr. Jean-Paul Ortonne)
L'unité INSERM U 385 est composée de 37 personnes et quatre équipes de recherche dont trois travaillent sur les kératinocytes et une sur les mélanocytes. L'équipe de Guerrino Meneguzzi est, en terme de personnel et d'avancées scientifiques, la plus importante de l'unité avec celle de Robert Balotti qui travaille sur "la pharmacologie moléculaire cellulaire et clinique de la mélanogenèse photo-induite". Les deux autres équipes ont été constituées plus récemment et s'intéressent à "la régulation transcriptionnelle de gènes kératinocytaires" et aux "événements moléculaires qui contrôlent la cicatrisation".
Les épidermolyses bulleuses héréditaires
Il existe une vingtaine de formes d'épidermolyses bulleuses héréditaires. Ces maladies, qui se caractérisent par une perte d'adhérence cutanée causée par une extême fragilité de la peau, sont classées en trois grandes catégories selon la localisation du clivage du tissu, qui peut interesser soit l'épiderme, le derme ou la jonction dermo-épidermique. L'équipe niçoise est plus particulièrement spécialisée dans l'étude de l'épidermolyse bulleuse jonctionnelle (EBJ) liée à une jonction dermo-épidermique défectueuse. Cette maladie de l'adhérence des cellules épithéliales entraîne la formation de décollements (bulles) et d'érosions de la peau mais également des lésions internes puisque tous les épithéliums en contact direct ou indirect avec l'air sont concernés : poumon, vessie, système digestif etc. "L'épidermolyse bulleuse jonctionnelle est une maladie génétique autosomique récessive qui concerne environ 150 familles en France. Elle se caractérise par des décollements de l'épithélium qui, dans les formes les plus sévères, causent le décès des patients. Dans l'épidermolyse bulleuse jonctionnelle, la jonction dermo-épidermique, structure macromoléculaire complexe à l'interface entre l'épiderme et le derme, est déficiente et nous nous sommes attachés à identifier les gènes impliqués, leurs différentes mutations et à les corréler avec la clinique" précise Guerrino Meneguzzi. Dès 1987, les chercheurs niçois identifiaient la laminine-5 une protéine constituée de trois chaînes a 3, b 3 et g 2 impliquée dans l'assemblage de la jonction dermo-épidermique. Quelques années plus tard en 1994, ils établissent la corrélation entre la présence de mutations dans les trois gènes codant pour cette protéine ainsi que dans six autres gènes codant pour des constituants des membranes basales cutanés et l'apparition de cas d'épidermolyse bulleuse jonctionnelle plus ou moins sévères.
L'identification des mutations génétiques : recherche et diagnostic
Une partie du laboratoire niçois est centrée sur le diagnostic des épidermolyses bulleuses héréditaires et l'identification de mutations génétiques chez des patients français et étrangers atteints de cette pathologie. A partir d'un prélèvement de peau, les scientifiques définissent la forme clinique de la maladie et identifient la mutation impliquée. Ces études permettent, d'une part, d'établir un registre national des patients souffrant d'une épidermolyse bulleuse jonctionnelle et, d'autre part, d'éclaircir la relation génotype-phénotype de la maladie et de procéder à l'analyse fonctionnelle des gènes codant pour les protéines de la jonction dermo-épidermique. Par ailleurs, ces recherches ont permis d'établir des diagnostics anténataux pour les familles à risque, "ces familles sont malheureusement identifiées suite à la naissance d'un enfant atteint d'épidermolyse bulleuse, le test anténatal est applicable pour les grossesses suivantes grâce aux analyses pratiquées sur le premier enfant malade" précise Guerrino Meneguzzi. Le laboratoire pratique ainsi à la 11ème semaine de grossesse 4 à 6 dépistages anténataux par an avec le soutien de l'association française Epidermolyse Bulleuse Association d'Entraide (EBAE) et l'association anglaise DEBRA U.K.
La mise au point de stratégies de thérapie génique ex-vivo
L'équipe niçoise a montré qu'il est possible in vitro de corriger le défaut génétique de patients EBJ n'exprimant pas la laminine-5 par introduction d'un gène correcteur dans les kératinocytes de ces malades. Ces cellules génèrent alors des épithéliums humains corrigés qui, grâce à la réexpression de la laminine-5, synthétisent des structures d'adhérence normale. Actuellement, ces épithéliums ont été utilisés pour des greffes sur souris afin de confirmer les propriétés d'adhérence et la qualité de la peau ainsi reformée. Un projet de greffe de peau sur quatre patients atteints d'une forme localisée d'EBJ résultant de mutations de la chaîne b3 de la laminine-5 est aujourd'hui envisagé et, dans cet objectif, le Centre Hospitalier Universitaire de Nice met en place avec l'aide de la Région, de l'INSERM et de l'Association Française contre les Myopathies (AFM), un centre de thérapie génique et cellulaire où ces protocoles thérapeutiques innovants seront effectués. La technique de greffe envisagée se rapproche des autogreffes de kératinocytes effectuées dans les soins des grands brûlés, à la différence que l'expression de la laminine-5 sous une forme normale donc inconnue de l'organisme des patients peut entraîner un risque de rejet immunitaire.
La modélisation sur de grands animaux
Dans une même optique, l'équipe niçoise cherche à valider sur un modèle animal la correction des défauts génétiques de la laminine-5 par thérapie génique somatique. Les modèles retenus sont des chiens Braques Allemands présentant une EBJ non létale causée par une moindre sécrétion de la laminine-5 extracellulaire. La mutation génétique a été identifiée, un gène curatif a été construit et a montré sa capacité in vitro à corriger l'expression de la laminine-5 chez les kératinocytes déficients des chiens malades. Les chercheurs envisagent dans un bref délai de générer des épithéliums à partir des kératinocytes révertés, de procéder à des greffes de peaux reconstituées sur l'animal malade pour évaluer la persistance des greffons exprimant la protéine fonctionnelle. "L'expérimentation sera peu traumatisante pour ces animaux " tient à préciser Guerrino Meneguzzi. "Nos recherches ont également permis de mettre au point un test de dépistage de la mutation chez cette race de chien. Exploité par la société Labgèna (INRA, Jouy-en-Josas), il permet d'identifier les chiens porteurs sains et de les écarter de la reproduction" poursuit le directeur de l'équipe. Ce sont ces travaux doublement remarquables puisqu'ils marquent une avancée dans le domaine de la thérapie génique tout en apportant un plus à la santé animale qui ont valu à l'unité INSERM 385 le prix Jouan 2001 Thérapie génique.
Un projet similaire vise à caractériser un modèle animal pour la thérapie génique somatique des formes récessives d'épidermolyse bulleuse dystrophique (EBDR) dues à un défaut génétique d'une autre molecule de la joncion dermo-épidermique: le collagène VII. "Ces épidermolyses bulleuses très graves sont associées à des problèmes de décollement cutané mais également à une cancéristion des lésions qui entraînent la mort des malades avant la trentaine" explique Guerrino Meneguzzi. Là encore, l'espèce canine constitue un bon modèle avec l'identification de deux chiens Golden Retriever souffrant d'une forme légère d'EBDR liée à une expression réduite du collagène VII. Le protocole envisagé est semblable à celui employé dans le cas d'une EBJ, avec une différence : celle de la taille (9 kb) de l'ADNc curatif, qui pose des difficultés supplémentaires pour l'insertion et l'expression du transgène dans le vecteur viral. Un défi relevé par l'équipe niçoise, "nous avons pu montrer qu'un vecteur rétroviral de nouvelle génération pouvait exprimer des polypeptides codés par un ADNc de taille importante. C'est une avancée en thérapie génique" confirme Guerrino Meneguzzi.
Vers la thérapie génique in vivo
Si la thérapie génique ex-vivo est un axe de recherche majeur de l'unité 385, les chercheurs envisagent dès maintenant d'initier des travaux pour la mise au point de techniques de thérapie génique in vivo. "L'infection directe des kératinocytes du malade semble être une approche plus simple techniquement et moins traumatisante pour le malade" annonce Guerrino Meneguzzi. Dans ce but, les chercheurs travaillent sur la mise au point de vecteurs non rétroviraux exprimant les ADNc codant pour les chaînes de la laminine-5. Ces transgènes seront validés in vitro avant d'être administrés à des chiens atteints d'EBJ puis des essais cliniques sur des patients atteints de formes légères d'EBJ seront envisagés à plus long terme.
Au-delà de l'étude des épidermolyses bulleuses héréditaires, les recherches menées au sein de l'unité INSERM 385 apportent des avancées décisives sur la faisabilité de la thérapie génique sur les cellule épithéliales. "A terme, on peut imaginer d'envisager les kératinocytes de la peau un peu comme des bioréacteurs qui pourront synthétiser un certain nombre de molécules faisant défaut à l'organisme, et qui pourront diffuser par voie systémique" conclut Guerrino Meneguzzi.
V. CROCHET
Contact :
INSERM U 385
Guerrino Meneguzzi