Décembre 2002 - n°73
Institut de Médecine Tropicale du Service de
Santé des Armées
L’institut comprend trois unités de recherche distinctes
: l’unité de parasitologie, l’unité de virologie
tropicale et l’unité du méningocoque. Ces équipes
développent à la fois des activités de recherches, principalement
sur le paludisme, la méningite et la dengue, mais aussi, des activités
de surveillance et de diagnostic.
Installé dans les jardins du Pharo depuis sa création en 1905,
l’Institut de Médecine Tropicale du Service de Santé des
Armées (IMTSSA) regroupe aujourd’hui une centaine de personnes
et est dirigé par le professeur Patrick Queguiner, médecin général
inspecteur, et le médecin général Alain Buguet, maître
de recherches, directeur adjoint et chef du département de recherche.
Le centenaire de sa création, en 2005, sera l’occasion d’un
congrès international de médecine tropicale organisé
à Marseille sur le site du Pharo.
Les activités de l’institut sont au nombre de trois :
- La recherche.
L’IMTSSA est rattaché à l’Institut fédératif
de recherche “pathologies transmissibles et pathologies infectieuses
tropicales ” (IFR 48), créé en 1996. Des relations de
coopération étroites ont été développées
avec certaines équipes de l’IFR, notamment l’équipe
d’immunogénétique du paludisme et celle de virologie moléculaire,
tropicale et transfusionnelle.
- L’enseignement.
L’institut forme des médecins militaires français à
la médecine tropicale et accueille également des stagiaires
extérieurs français (en partenariat avec le milieu universitaire
de l’hôpital nord) ou étrangers (biologistes, techniciens
de laboratoire…) dans le cadre d’accords intergouvernementaux.
- L’épidémiologie et la santé publique.
Le service de médecine des collectivités a pour mission principale,
outre l’enseignement, la surveillance épidémiologique
dans les armées, en particulier dans les forces situées hors
métropole, et le recueil de données épidémiologiques.
Cette surveillance du personnel d’outre-mer est effectuée en
relation avec le centre de recherche du service de santé des armées
situé à Grenoble.
Présentation des trois unités de recherche :
Unité de Parasitologie
Les activités de l’unité de parasitologie, également
équipe d’accueil EA3282, dirigée par Daniel Parzy, se
déclinent suivant trois axes, tous orientés sur l’étude
de la chimiosensibilité du parasite, avec un intérêt tout
particulier pour l’espèce Plasmodium falciparum, responsable
des formes mortelles de la maladie.
Le premier axe consiste à faire l’évaluation du niveau
de sensibilité des souches de P. falciparum en circulation. Cette étude
s’effectue auprès des militaires qui présentent un accès
palustre (en opération ou au retour en métropole), auprès
des voyageurs en voyage d’agrément ou professionnel et auprès
des populations des zones d’endémie lors de campagnes d’étude.
L’équipe s’intéresse à l’évaluation
de la progression des résistances du parasite aux médicaments,
permettant l’adaptation de la chimioprophylaxie et de la thérapeutique
aux conditions locales de résistance. L’activité repose
sur un plateau technique qui permet de mettre en œuvre sur un même
site trois techniques complémentaires d’étude de la chimiorésistance
(culture des parasites en présence des différents antipaludiques
ou tests in vitro, techniques de biologie moléculaire, dosages par
chromatographie liquide haute performance des antipaludiques et de leurs métabolites).
Cette approche technique globale n’est réalisée que dans
de rares laboratoires dans le monde. Depuis cette année, l’unité
de parasitologie est laboratoire associé du centre national de référence
de la chimiosensibilité du paludisme.
Le deuxième axe concerne l’élaboration de nouveaux protocoles
chimioprophylactiques, thérapeutiques et diagnostiques en étroit
partenariat avec les cliniciens, les biologistes des hôpitaux militaires
et les épidémiologistes.
Le troisième axe est un axe de recherche plus fondamental et comprend
3 volets en relation avec les problèmes soulevés par la chimiorésistance
:
- Evaluation de nouvelles molécules antiparasitaires (amino-4-quinoléines
ferrocènes, nouvelles amino-8-quinoléines, chélateurs
du fer, dérivés phénothiaziques)
- Etude de voies métaboliques du parasite, cibles potentielles de nouvelles
molécules (voie de l’AMPc, voie des MAP kinases, molécules
impliquées dans le trafic vésiculaire)
- Mécanismes physiopathogéniques du paludisme grave et plus
particulièrement les molécules impliquées dans la séquestration
des hématies parasitées dans les vaisseaux capillaires (chondroïtines
sulfates endothéliales et ligands parasitaires)
Pour mener à bien ces différentes activités, de nombreuses
collaborations ont été développées avec des structures
établies en zone d’endémie : l’ORSTOM (Sénégal),
le Département de Parasitologie - Mycologie - Médecine Tropicale
(Gabon), l’OCEAC (Cameroun), l’Institut Pierre Richet (Côte
d’Ivoire), l’Institut Pasteur (RCA et Madagascar). Des relations
étroites sont également entretenues avec différentes
équipes de recherche telles que l’unité de Parasitologie
Expérimentale (Marseille), l’unité INSERM313 (Paris) et
l’URA 1960 (Institut Pasteur, Paris).
Unité du méningocoque
Cette unité, dirigée par Pierre Nicolas, est à la fois
unité de recherche et centre collaborateur de l’OMS pour la surveillance
des méningites à méningocoques depuis 1965. Le laboratoire
de référence caractérise et étudie la sensibilité
aux antibiotiques des souches de méningocoque pour les laboratoires
militaires et civils, en Afrique francophone principalement.
Le laboratoire de recherche utilise des techniques de biologie moléculaire
pour suivre des clones de méningocoques dans le monde entier. Le travail
consiste à mettre au point et à tester les méthodes de
typage moléculaire les plus performantes. Au printemps 2000, un clone
de méningocoque de sérogroupe W135 a été responsable
d’une poussée épidémique mondiale dont le point
de départ a été l’Arabie Saoudite. Les chercheurs
ont mis en évidence la diffusion de ce clone en Afrique : il a été
responsable d’une épidémie au Burkina Faso en 2002 et
de cas sporadiques de méningite à méningocoques dans
d’autres pays africains. Ce phénomène constitue une menace
importante pour les années à venir.
Unité de virologie tropicale
L’unité de virologie tropicale, dirigée par Hugues Tolou,
a deux activités distinctes mais complémentaires en termes de
techniques et d’objectifs : le diagnostic et la recherche. Le laboratoire
de diagnostic, confié à Jean-Paul Durand, réalise le
diagnostic des principales arboviroses humaines (regroupant toutes les maladies
virales transmises par des arthropodes), pour le compte des services médicaux
des armées, mais aussi pour celui des hôpitaux civils, en particulier
l’hôpital nord de Marseille. A ce titre, il est membre du réseau
européen de diagnostic des affections virales importées (ENIVD)
depuis 1988. En 2002, il est devenu laboratoire associé du centre national
de référence des arbovirus.
Le laboratoire de biologie moléculaire des virus se consacre à
la recherche selon plusieurs axes d’études.
Depuis 1985, les recherches portent sur les flavivirus (groupe taxonomique
dans lequel se trouvent le virus de la fièvre jaune et des virus apparentés
qui sont responsables d’autres affections comme l’encéphalite
japonaise, l’infection à virus West-Nile et la dengue)
Après plusieurs années de recherches consacrées à
la fièvre jaune, l’unité se focalise depuis 1996 sur la
dengue, première arbovirose humaine par son incidence et sa mortalité.
La dengue concerne 2,5 milliards de personnes dans le monde (Inde, Asie du
sud-est, Afrique, Amérique centrale, Australie…). Entre 50 et
100 millions de nouveaux cas sont dénombrés chaque année,
quelques centaines de milliers évoluant vers des formes graves. Alors
que, tous les ans, des centaines de nouveaux cas se déclarent parmi
les militaires, ces derniers n’ont jusqu’à présent
pas encore été atteints de forme grave (dengue hémorragique
et dengue avec syndrome de choc). “ Cela laisse supposer que les
populations sont exposées à faire des formes différentes
de la maladie en fonction de facteurs encore non identifiés - peut-être
des facteurs viraux, liés aux moustiques ou dépendant de l’hôte
lui-même ” déclare Hugues Tolou.
Des études d’épidémiologie moléculaire de
la dengue sont réalisées. L’objet est d’étudier
les souches virales et de les caractériser par des méthodes
moléculaires (séquençage des génomes viraux).
Les chercheurs établissent la «carte d’identité»
de tous les virus prélevés sur des sujets atteints, issus de
régions géographiques différentes et associés
à des formes différentes de la maladie.
Des études, effectuées dans le cadre de l’équipe
d’accueil EA 3292 formée avec le laboratoire de virologie moléculaire,
tropicale et transfusionnelle de la Faculté de Médecine, portent
sur la caractérisation génétique des souches virales
associées à diverses épidémies. Elles ont récemment
démontré l’existence de phénomènes de recombinaison
entre souches virales du sérotype 1 circulant en Afrique. Certains
virus du Sud-est Asiatique pourraient être le produit de recombinaisons
entre des virus identifiés comme étant le virus est- et le virus
ouest-africain. Ces travaux ont également mis en évidence la
présence de souches virales considérées comme particulièrement
pathogènes à la Martinique. L’augmentation des cas de
dengue grave semble dans certaines régions être concomitante
de l’arrivée et de la diffusion de certains types du virus dengue
2. Or, à la Martinique, de façon étonnante, aucune aggravation
(dengues hémorragiques) n’a été observée
comme dans les autres régions. Les études ont montré
que ce virus, apparenté à celui du sud-est asiatique, est arrivé
en 1998 à la Martinique. Il a été entièrement
séquencé.
En 1999, un nouveau virus de sérotype 3 (déjà implanté
en Amérique du sud et dans certaines îles des Caraïbes)
est isolé. “ Ce virus a été séquencé,
mais le travail est toujours en cours. L’unité s’est attachée
à caractériser ce virus car son importation à la Martinique
faisait redouter une aggravation de la dengue, que nous n’avons pas
encore constatée…. Les facteurs d’aggravation sont donc
à rechercher ailleurs que dans le virus. Car bien que la population
de la Martinique présente une importante diversité, associant
des groupes d’origine ethnique ou géographique et donc de susceptibilité
potentiellement différentes, on n’observe pas pour l’heure
le développement de formes graves ” ajoute Hugues Tolou.
Un autre axe de recherche concerne la mise au point de molécules antivirales
en partant de la caractérisation de protéines virales essentielles
(en particulier la protéase et la polymérase). Ce travail est
effectué dans le cadre d’une collaboration établie avec
le laboratoire Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques
(AFMB) du CNRS, situé à Luminy.
Enfin, une nouvelle voie se met en place depuis un an et s’intéresse
aux mécanismes cellulaires et moléculaires des phénomènes
pathologiques des dengues graves. Le mécanisme principal doit se situer
au niveau des parois vasculaires, en particulier l’endothélium
cellulaire. A partir de cultures de lignées cellulaires humaines infectées,
les scientifiques tentent de reproduire les phénomènes anormaux
pathologiques et d’identifier les marqueurs des altérations qui
se produisent au niveau des cellules infectées.
Potentiellement communs à plusieurs fièvres hémorragiques
virales, ces mécanismes sont étudiés en collaboration
avec le laboratoire de “biologie des infections virales émergentes
”, antenne de l’Institut Pasteur située à Lyon au
niveau du laboratoire P4.
Acquisition d’un FACS (Fluorescence Activated
Cell Sorting) pour l’analyse des populations cellulaires
L’institut possède une animalerie (souris) dédiée
à la production de réactifs pour la sérologie, un plateau
de biologie moléculaire (PCR quantitative en temps réel et séquenceur
automatique d’ADN ), un équipement de comptage automatique de
radioactivité (test de cytotoxicité), une enceinte P3 (ou BSL3)
où sont confinés les virus pathogènes, des salles de
culture où sont entretenues les cellules non infectées…
Il possède également des moyens de conservation au froid des
échantillons (congélateur, système à azote liquide)…
La récente acquisition d’un FACS, en janvier 2002, permet d’analyser
les populations cellulaires (identification des cellules par leurs tailles
ou par des marqueurs de surface grâce à des réactifs fluorescents).
Les marqueurs recherchés peuvent être les témoins d’un
état particulier de la cellule (modifications induites dans les cellules
en réponse à l’infection) ou des marqueurs viraux.
“ Cet instrument s’avère très utile tant pour
la recherche que pour le diagnostic ” ajoute Hugues Tolou.
J. Silvy