Décembre 2002 - n°73
Laboratoire de microbiologie marine
UMR 61-17
Le thème général des recherches menées par
l’UMR61-17 porte sur la caractérisation et la quantification des
interactions entre les différentes activités des bactéries
hétérotrophes et la matière organique. Le travail se focalise
sur l’impact des micro-organismes et plus particulièrement des
bactéries dans le cycle du carbone dans l’océan.
Créé en 1978 sous forme d’une UPR, le laboratoire de microbiologie
marine est devenu l’UMR 61-17 en 2000. Cette unité fait partie
du Centre d’Océanologie de Marseille (Observatoire des Sciences
de l’Univers) et de l’université de la Méditerranée.
Le laboratoire s’étend sur 440m2 et se compose de 11 permanents
(CNRS, Maître de conférence et ITA), qui travaillent tous en synergie
en alliant une double compétence : océanographe-microbiologiste
ou océanographe-biochimiste. « Nous sommes des» écologistes
microbiens» du milieu marin « déclare Micheline Bianchi,
directrice de l’UMR depuis 12 ans.
« Nos recherches se focalisent sur l’étude des bactéries,
de la source de matière organique nécessaire pour faire pousser
ces bactéries, des effets de la température, du rayonnement solaire
et de la pression hydrostatique, en ciblant plus spécifiquement leurs
influences sur le cycle du carbone « ajoute Micheline Bianchi.
Les différentes recherches sont réalisées sur des échantillons
d’eau de mer et de sédiments.
Le flux de carbone
La première étude concerne les interactions entre l’océan
et l’atmosphère, en particulier dans le flux de carbone. Les chercheurs
étudient dans toute la colonne d’eau, y compris l’océan
très profond et le sédiment, le devenir du carbone, à travers
les actions bactériennes. L’océan constitue la plus grande
réserve de carbone organique sous forme dissoute (protéines, sucres,
lipides…). Or, seules les bactéries hétérotrophes
sont capables d’utiliser le carbone organique sous sa forme dissoute.
Les chercheurs s’attachent à déterminer la capacité
des bactéries à se développer sur la matière organique
présente dans le milieu naturel pour en faire de la biomasse ou produire
du CO2,. Dans l’océan ouvert, les quantités étudiées
de matière organique dissoute sont très faibles, de l’ordre
du nanomol.L-1. Leur utilisation par les bactéries est mesurée
à l’aide de radioéléments traceurs.
Loin des apports côtiers, il y a environ 105-106 bacteries.mL-1 dans l’océan
(Les valeurs limites, pour des eaux très profondes, sont de l’ordre
de 104 bactéries par millilitre et peuvent atteindre 107 bactéries.mL-1
dans les eaux côtières comme le delta du Rhône).
Les scientifiques cherchent à comprendre les processus de la régulation
des effectifs bactériens (ce qui stimule ou diminue les communautés).
La stimulation est liée à la quantité et à la qualité
de la matière organique présente, et qui est nécessaire
aux bactéries pour se développer (ce processus est appelé
«bottom-up control»). La régulation vers le bas du nombre
(«top down control») est assurée par la prédation
des bactéries par des protozoaires. Proie et prédateur ont des
tailles voisines : la dimension d’une bactérie marine est de l’ordre
de 0.2 à 1 µm, celle d’un protozoaire de l’ordre de
0.8 µm.
En surface, les bactéries sont influencées par le rayonnement
UV , l’augmentation de ce rayonnement agit en effet sur le génome
des bactéries.
Pression hydrostatique
Le deuxième axe de recherche porte sur les effets de la pression hydrostatique.
A 2000m de profondeur, il y a une pression de 200bar. Afin d’étudier
les activités bactériennes en conditions naturelles de pression
hydrostatique, le laboratoire a développé un appareil «le
préleveur hyperbare « qui travaille jusqu’à 3000m
et qui n’a pas son équivalent en Europe. C’est un échantillonneur
d’eau qui permet de conserver la pression in situ, et de remonter à
la surface des échantillons d’eau.
Dans le milieu profond, les chercheurs ont mis en évidence que lorsque
la pression hydrostatique est conservée (pression in situ), l’activité
bactérienne mesurée s’avère plus importante que dans
un échantillon décomprimé (sous estimation d’un facteur
2-3). Cependant, ce facteur de correction est variable selon les conditions
hydrologiques de la zone océanique étudiée..
Dans le sédiment, les deux types de population de bactéries (daptée
et non adaptées à la pression) sont présentes l’une
à côté de l’autre. Une explication serait dans la
vitesse de chute de particules, comme les pelotes fécales des salpes,
pouvant atteindre 800 m.jour-1 amenant ainsi rapidement des bactéries
de la surface dans l’océan profond.
Pression et adaptation génétique
Dans l’océan, certaines bactéries sont barotolérantes,
d’autres barophiles (la pression leur est nécessaire pour pousser)
et d’autres meurent si la pression varie.
Un troisième axe de recherche concerne l’effet de la pression à
travers l’étude de protéines de stress. Le travail est mené
sur le modèle E-coli et chez un Photobacterium, bactérie bien
adaptée à la pression hydrostatique En comparant les spectres
des protéines de stress de ces deux bactéries, les chercheurs
tentent de définir si la pression hydrostatique correspond à une
adaptation génétique.
Relation entre activités bactériennes
et flux de particules
Pour estimer la contribution des processus bactériens au flux de carbone,
les chercheurs de l’UMR6117 se sont intéressé à la
relation entre les activités bactériennes minéralisatrices
et le flux de particules sortant de la colonne d’eau En effet, la couche
de surface de la colonne d’eau constitue la couche la plus active et la
production de carbone organique est exportée vers les couches inférieures
en partie sous formes de particules. A de fortes activités bactériennes
sont couplés des flux réduits de particules organiques vers le
fond.
Les processus dans la couche de surface et l’exportation du carbone organique
vers le fond, ont été étudiés à la station
DYFAMED (dynamiques des flux atmosphériques en Méditerranée),
située entre Nice et la Corse. Cette étude de la colonne d’eau
(située entre 0 et 1000 m) nécessite la mise en place de pièges
à particules (situé à 400m de profondeur) pour déterminer
le flux de particules au-dessous de la couche de surface.
Trois zones d’études
Les études menées au Laboratoire concernent essentiellement trois
zones géographiques :
- En Antarctique (programmes nationaux et européens), les recherches
ont démontré la corrélation entre le carbone organique
et la production de biomasse par les bactéries.
- En Méditerranée (programmes français et européens),
les études sont menées à la fois dans le bassin occidental,
où il y aurait le plus de production primaire (les apports continentaux
sont forts), et dans le bassin oriental, mer actuellement l’une des plus
pauvres du monde (présence de très peu de chlorophylle). Les activités
bactériennes, leurs influences dans les deux bassins et les facteurs
de limitation de ces activités sont observés. En Méditerranée,
et plus particulièrement dans le bassin oriental, c’est l’absence
de phosphore dans l’eau de mer qui limite l’activité bactérienne,
tout comme la production phutoplanctonique.
- En Atlantique Nord, les missions se sont terminées l’année
dernière et le dépouillement des données est en cours.
Le thème de recherche est en relation avec l’influence de l’océan
sur l’évolution du climat et porte plus particulièrement
sur la formation des eaux modales. L’étude est réalisée
entre le Portugal et les Açores. Les eaux modales constituent des couches
importantes d’eaux qui piègent le CO2
de l’atmosphère par des processus physiques et biologiques. Elles
plongent au printemps vers 800 m de profondeur et restent en profondeur, tout
en conservant la même température (environ 12° C), pendant
une dizaine d’années puis ressortent au Canada où l’eau
est plus froide. Elles libèrent alors la chaleur et le CO2
piégés, ce qui peut créer des perturbations dans le climat.
Or, une partie du CO2 reste dans l’eau, celle
non minéralisée par les bactéries, ce qui diminue la quantité
de dioxyde de carbone contenue dans l’atmosphère. Les chercheurs
étudient ainsi, dans les eaux profondes (800m), les activités
bactériennes en relation avec l’effet de serre. Ce travail est
réalisé en une collaboration pluridisciplinaire avec la communauté
française Océan-Atmosphère.
Matériel
Parmi le matériel destiné aux recherches, citons le préleveur
hyperbare, le matériel destiné à la biochimie (TOC 5000
Shimadzu pour le carbone organique total), HPLC pour les sucres et acides aminés,
un IATROSCAN, un chromato gaz pour les lipides et un pour l’analyse du
méthane, Protean Plus (biorad, gel bidimentionnel pour les protéines),
PCR, un compteur à scintillation Beckmann pour compter les activités
bactériennes utilisant le 14C, 32S et 3H,
microscope à épifluorescence couplé à un analyseur
d’image pour le comptage des bactéries…
Travail pluridisciplinaire
" Notre façon de travailler est pluridisciplinaire, c’est
la caractéristique majeure des laboratoires des sciences de l’univers
" déclare Micheline Bianchi. Le laboratoire travaille en collaboration
avec des physiciens pour l’étude des masses d’eau (caractéristiques
physiques, déplacement…), avec des chimistes pour l’étude
des composés présents dans l’eau (déficit…)
et avec d’autres biologistes qui s’occupent de la production primaire
ou qui étudient des animaux, du nano ou microzooplancton à la
baleine.
L’unité entretient également des relations avec l’industrie,
notamment avec Elf-Bio et la Lyonnaise des eaux.
Dans le cadre européen, deux programmes sont en cours en Méditerranée:
- ADIOS pour l’impact des apports externes à la Méditerranée
tels que les fleuves, l’atmosphère...
- BIOdeep pour l’étude à la fois microbiologique et biotechnologique
des fosses profondes en Méditerranée (principalement entre l’Italie
et la Grèce).
Dans le cadre du 6ème PCRDT, le laboratoire participe à l’élaboration
d’un réseau d’excellence de biogéochimie en européen.
J. Silvy
Contact :
Micheline Bianchi
Laboratoire de Microbiologie marine
Centre d’Océanologie de Marseille
Campus universitaire de Luminy
Case 907
13288 Marseille cedex 9