Décembre 2002 - n°73
Vin : Le goût de bouchon
bientôt un mauvais souvenir ?
Un ingénieur du CEA de Pierrelatte et un autre du Groupe Sabaté
Diosos viennent de mettre au point une technique révolutionnaire éliminant
le fameux «goût de bouchon» du vin. Quant à son développement
industriel, il est à l’étude chez Sabaté Diosos.
Quel amateur de vin ne s’est jamais plaint que ce qu’il buvait avait
le «goût de bouchon»?
Après cinq années de travail en commun, de 1997 à 2001,
Guy Lumia (1), un ingénieur du Commissariat à l’énergie
atomique de Pierrelatte (Drôme) et un autre, Jean-Marie Aracil (2), travaillant
pour le leader mondial de la fabrication de bouchons et tonneaux, Sabaté
Diosos (Pyrénées-Orientales) viennent de mettre au point un procédé
de nettoyage du liège par CO2 supercritique (3).
Les deux scientifiques, aidés dans leurs essais par toute une équipe
de chercheurs (ingénieurs, docteurs et techniciens) sont, chacun, spécialiste
de leur métier respectif, et ont été complémentaires
dans cette mise au point.
Goût et odeur de moisi ont plusieurs origines mais elles sont en grande
partie liées à la présence de composés organiques
bien connus, les chloroanisoles : PCA (pentachloroanisole), 2,3,4,6-TeCA (tétrachloroanisole)
et tout particulièrement le 2,4,6-TCA (trichloroanisole).
«Ces molécules se manifestent à des teneurs infimes
(quelques nanogrammes par gramme de liège) et le respect des principes
du Code International des Pratiques Bouchonnières (CE Liège) permet
de réduire leur présence, mais non de les éradiquer»,
indique Guy Lumia du CEA.
Au sujet des causes du «goût de bouchon», Pascal Fougère,
président de Sabaté SAS (4), déclarait le 16 juillet dernier
dans un communiqué de presse: «Les bouchons en liège
font l’objet de nombreux débats en ce moment, mais nous savons
qu’il existe beaucoup de causes aux phénomènes de déviations
organoleptiques du vin, dont l’oxydation aléatoire».
Les bouchons en liège ne sont donc pas les seuls en cause. Il est désormais
établi «que d’autres sources de contamination peuvent en
être à l’origine: bouteilles, cartons d’emballage,
palettes en bois…».
«Indétectable par les palais les
plus entraînés»
En fait, la collaboration entre les deux équipes débute fin 1996.
A ce moment-là, les deux chercheurs font subir, à un lot de bouchons
volontairement contaminés, le procédé d’extraction
par CO2 supercritique. «Cela dans le but
d’étudier la faisabilité du procédé appliqué
au matériau liège», précise Guy Lumia.
Et d’ajouter: «Les résultats montrent que le CO2
supercritique associé à un cosolvant adapté est
particulièrement efficace pour extraire les chloroanisoles et leurs précurseurs
(chlorophénols), ainsi que pour abaisser et stabiliser la charge microbiologique
dans la matière, sans éliminer certains composés indispensables
comme les cires».
Dès lors, les bouchons apparaissent pratiquement indemnes de toute contamination.
Le procédé est ensuite optimisé dans le but de respecter
la structure physique et mécanique des bouchons en liège.
Après une nouvelle batterie d’essais confirmant les résultats
antérieurs, l’équipe Sabaté-CEA décide, cette
fois-ci, de tester le procédé sur des plaques de liège.
«Lors de ces tests, explique Guy Lumia, les plaques étaient à
peine déformées par le nettoyage et les bouchons tubés
gardaient toutes leurs propriétés mécaniques». En
parallèle à ces essais, Sabaté demande au CEA une évaluation
du procédé sur de la farine de liège (technologie Altec).
Avec au bout des résultats exceptionnels: «Nous parvenons à
faire tomber la concentration de TCA à des seuils où leur influence
sur le goût du vin est indetectable par les palais les plus entraînés»,
souligne le chercheur.
Des tests confirmés par plusieurs programmes de dégustation/analyse
«grandeur nature».
FF
(1) Guy Lumia, 43 ans, possède un diplôme d’ingénieur
biochimiste du CNAM.
Il fait partie du Laboratoire des fluides supercritiques et des membranes (LFSM)
du CEA de Pierrelatte. Le laboratoire, particulièrement tourné
vers l’industrie et les sciences appliqués, compte une quinzaine
de personnels dont 10 permanents (ingénieurs ou universitaires) et près
de six stagiaires (étudiants en DEA jusqu’au post-doctorat). Il
dispose d’environ 1500 m2 de laboratoire.En outre, ses personnels assurent
une politique de publication particulièrement soutenue.
(2) Jean-Marie Aracil, 41 ans, est docteur en AgroChimie. Il est Directeur Recherche
et Développement de la Division Bouchage du Groupe Sabaté-Diosos.
Il s’appuie sur une équipe de vingt techniciens, ingénieurs
et docteurs qui travaillent dans un laboratoire de 300 m2 équipé
de matériels spécifiques à leur métier et de matériels
d’analyses physiques et chimiques.
(3) Ce procédé est protégé par un brevet mondial
(déposé conjointement par le CEA et Sabaté-Diosos, labellisé
en «chimie verte» par les spécialistes (quantités
très réduites d’effluents) et respectant le caractère
alimentaire du produit. Il pourrait être industrialisé d’ici
vingt à vingt quatre mois.
(4) Sabaté représente la division Bouchage du groupe Sabaté
Diosos.