Janvier 2003 - n°74
Le Laboratoire de Chimie
et Biochimie des Complexes Moléculaires : Un laboratoire de l’ENSCP,
UMR 7576 CNRS, Université Paris VI
Le Laboratoire de Chimie et Biochimie des Complexes Moléculaires
auquel nous consacrons ce reportage est en phase de voir aboutir plus de 10
années de recherche et d’investigation pré-clinique basées
sur la valorisation de la chimie bioorganométallique. Premières
cibles concernées : le traitement des cancers du sein non hormonaux dépendants
et celui du cancer de la prostate.
L’heure est aujourd’hui à la recherche de partenaires industriels
et à la signature des premiers contrats de collaboration pour poursuivre
au stade clinique le développement de ces nouvelles molécules
thérapeutiques.
Peu nombreux étaient ceux qui croyaient à l’avenir de la
chimie organométallique appliquée aux sciences de la vie. Et pourtant….
Vous avez dit " Chimie Bioorganométallique
" ?!
Il était une fois la chimie organométallique et la biologie…
deux disciplines que tout semblait séparer, à commencer par l’eau
et l’oxygène, indispensables à la vie biologique, mais si
peu appropriés à la nature des organométalliques.
" Qui dit oxygène, dit en effet oxydation et état oxydé
; des conditions peu compatibles avec le faible degré d’oxydation
des métaux impliqués dans les molécules organométalliques
! ", explique le Pr Gérard JAOUEN, Directeur du Laboratoire
de Chimie et Biochimie des Complexes Moléculaires.
Mais l’atmosphère terrestre n’a pas toujours été
aussi riche en oxygène : « A l’origine, elle était
même au contraire particulièrement réductrice, et donc,
très propice à l’expression de la chimie organométallique
«, poursuit Anne VESSIERES, Directeur de recherche. "Imaginons
ainsi qu’il soit toujours possible, aujourd’hui, de maîtriser
les principes de base de cette chimie et de les valoriser à des fins
biologiques…" ; l’idée a été formulée
pour la première fois par le Pr JAOUEN et son équipe, il y a plus
de 20 ans, mais n’a suscité à l’époque que
très peu d’enthousiasme...
Quelques années plus tard pourtant, les premiers résultats de
leurs travaux sont prometteurs et convaincants. Les principes de la chimie organométallique
ne seraient donc pas incompatibles avec la biologie ; loin de là ! Les
composés qui en sont issus, caractérisés par des liaisons
métal-carbone, pourraient bien ouvrir de nouvelles voies thérapeutiques
!
Début des années 90, les idées du Pr JAOUEN ont fait leur
chemin : l’intérêt pour ses études ne cesse de grandir,
les collaborations et programmes de recherche internationaux se multiplient…
C’est l’émergence d’une nouvelle discipline : la chimie
bioorganométallique !
Un laboratoire à l’interface de la
synthèse organométallique, de l’analyse biochimique et des
bioprocédés
Le Laboratoire de Chimie et Biochimie des Complexes Moléculaires a été
créé en 1982, à l’initiative de M. JAOUEN et Mme
VESSIERES. " Nous rentrions à cette époque du Canada
où nous venions de passer une année de recherche avec Siden Top,
Directeur de Recherche, à démontrer la faisabilité de notre
démarche ", commente Mme VESSIERES. " La création
de notre équipe en France répondait ainsi à notre souhait
d’approfondir nos travaux et de les concrétiser dans le cadre du
développement de nouveaux composés pharmaceutiques "
Le Laboratoire, implanté sur le campus de l’Ecole Nationale Supérieure
de Chimie de Paris (ENSCP), est rattaché à l’Université
Paris VI, et au CNRS en tant qu’Unité Mixte de Recherche (UMR 7576).
Plus de 20 personnes y travaillent aujourd’hui, autour de trois grandes
thématiques de recherche :
> la chimie organique et organométallique, consacrée
en particulier à la synthèse d’anti-estrogènes et
d’hormones stéroïdes, modifiées par des fragments organométalliques
;
> la biochimie - ou plutôt " chimie bioorganométallique
" -, puisque sous cette thématique sont développées
des applications bioanalytiques concernant aussi bien le développement
d’immunodosages de médicaments et de pesticides que l’étude
biochimique de stéroïdes organométalliques et la chimie organométallique
des protéines ;
> les bioprocédés, centrés sur la production,
la formulation et la caractérisation d’enzymes et de biofongicides…
… Trois groupes de recherche respectivement placés sous la responsabilité
du Pr Gérard JAOUEN, du Dr Anne VESSIERES et du Pr Michel MINIER.
« La grande originalité de notre Laboratoire réside dans
notre capacité à développer en parallèle et en parfaite
synergie l’ensemble de ces disciplines «, remarque le Pr JAOUEN.
Une position à l’interface de la chimie organométallique,
de la bioanalytique et des bioprocédés dont peu de laboratoires
au monde peuvent se prévaloir !
Les techniques utilisées sont très diversifiées : des méthodes
classiques de culture cellulaire aux technologies analytiques les plus sophistiquées.
Catalyse homogène, synthèse sous atmosphère contrôlée,
spectroscopie RPE, réceptorologie, immunoanalyse, spectroscopie infra-rouge
à transformée de Fourier et CMIA (carbonyl metallo immuno assay)
sont autant de méthodes parfaitement maîtrisées par l’équipe
" Chimie et Biochimie des Complexes Moléculaires " de l’ENSCP.
" A noter, à ce titre, que la technique Infra-Rouge a connu
une avancée énorme avec l’avènement de l’IR-TF
", ajoute Gérard JAOUEN. " Encore peu développée
sur l’Hexagone avant les années 80, la technologie IR nous y était
difficilement accessible ; mais, grâce à nos travaux conduits au
Canada, nous avons pu malgré tout étudier très précisément
cette technique et développer, en particulier, des cellules d’analyse
originales capables de caractériser quantitativement de très petits
volumes ".
Autre point important à mentionner : le financement spécifique
du ministère de la Recherche dont a bénéficié le
Laboratoire, en 2000-2001, pour la création d’une salle de culture
cellulaire…
Les " ferrocifènes ": des molécules
à fort potentiel pour lutter contre le cancer
C’est au sein de l’UMR 7576 qu’ont été synthétisées
les premières molécules dites " ferrocifènes ",
molécules analogues du tamoxifène dont la structure a été
enrichie d’une fonction organométallique (ferrocène).
"Le tamoxifène est bien connu pour ses applications thérapeutiques
contre le cancer du sein ", explique Mme Anne VESSIERES. « Un
tiers des cancers hormono-dépendants résistent toutefois à
ce traitement qui, par ailleurs, demeure totalement inefficace contre les tumeurs
non hormono-dépendantes, soit plus d’un tiers des cas recensés
au total… Seuls restent alors disponibles pour ces pathologies des traitements
lourds du type chimiothérapie «.
" Le vide thérapeutique est évident et c’est donc
dans l’optique de le combler que notre équipe s’est intéressée
dès la fin des années 80 aux mécanismes d’action
du tamoxifène et à celui de complexes inorganiques, tels que le
cispaltin [Cl2Pt(NH3)2], déjà utilisés contre d’autres
cancers ", poursuit M. JAOUEN.
De ces travaux sont nés en 1993 les premiers " ferrocifènes
«" dont les propriétés anti-cancéreuses ont
pu être mises en évidence in vitro par Mme VESSIERES en 1999, dans
le cadre de recherches menées au sein de l’Institut Jules Bordet,
en Belgique.
Premières certitudes après de nombreux tests réalisés
sur lignées cellulaires : les " ferrocifènes " sont
particulièrement intéressants dans le cas des cancers du sein
résistants au tamoxifène. Leurs atouts résident dans leur
efficacité, leur sélectivité et leur faible toxicité.
" D’autres tests tout aussi prometteurs ont par ailleurs débutés
sur des lignées cellulaires de cancer de la prostate de l’ovaire
et de l’endomètre ", ajoute le Pr Gérard JAOUEN.
Objectifs 2003
Fort de l’expérience de son équipe et de son organisation
pluridisciplinaire, le Laboratoire de Chimie et Biochimie des Complexes Moléculaires
entend, aujourd’hui, et plus que jamais, étendre ses recherches
à d’autres applications thérapeutiques potentielles, et
transférer ses premiers résultats à l’échelle
clinique.
Au cœur de ses priorités :
> la concrétisation de partenariats avec l’Industrie pharmaceutique
pour le développement d’études in vivo sur l’utilisation
des « ferrocifènes « contre le cancer du sein ;
> la multiplication des tests in vitro pour confirmer une application potentielle
contre le cancer de la prostate ;
> l’engagement d’une nouvelle thématique de recherche
: « radiopharmaceutique organométallique «, centrée
sur la mise au point de sondes radioactives organométalliques spécifiques
aux récepteurs des cellules tumorales… Autant d’objectifs
que le laboratoire souhaite mener à bien tout en consolidant et enrichissant
ses collaborations scientifiques avec les autres organismes de recherche internationaux.
" En Europe comme dans le monde entier, la chimie bioorganométallique
connaît actuellement un essor remarquable. Les recherches s’intensifient
et l’industrie pharmaceutique y attache un intérêt grandissant.
Aux Etats-Unis, notamment, 20 millions de dollars viennent d’être
investis pour le développement de la chimie des métaux en médecine…
Ainsi - conclut le Pr Gérard JAOUEN -, il s’impose également
au centre de nos priorités, aujourd’hui, de créer un réseau
scientifique organisé où pourraient se réunir et communiquer
tous les acteurs de la chimie bioorganométallique à l’échelle
mondiale… ".
SD
Contacts :
M. Gérard JAOUEN
Mme Anne VESSIERES