Juin 2004 - n°89
L’équipe " Evolution des Biominéralisations " du Muséum National d’Histoire Naturelle
Récemment, nous vous présentions l’ERT "
Valorisation de molécules bioactives d’origine marine "
au sein de laquelle collaborent la société SIERA et l’équipe
" Evolution des Biominéralisations " du Muséum National
d’Histoire Naturelle. C’est à cette dernière plus
précisément que nous allons nous intéresser aujourd’hui,
en présence de sa responsable, le Professeur Evelyne LOPEZ….
Un objectif central : expliquer les processus
de biominéralisation
L’équipe " Evolution des Biominéralisations"
a vu le jour en janvier 2003, dans le cadre de la restructuration générale
des activités de recherche du Muséum National d’Histoire
Naturelle (MNHN). " Notre équipe a été constituée
à cette occasion, mais chacune de ses composantes existait déjà
de longue date au sein du Muséum ", nous confie Mme E. LOPEZ.
Ancienne directrice de l’URA CNRS 90 au sein du Laboratoire de Physiologie
du MNHN, Mme LOPEZ travaillait déjà depuis de nombreuses années
sur le squelette, l’os, les fonctions du tissu osseux et ses régulations
hormonales, ainsi que sur le cartilage.
" Notre but était tout d’abord d’étudier
les caractéristiques de ces tissus squelettiques chez les vertébrés
tels que les poissons, puis de les étendre aux mammifères ",
précise Evelyne LOPEZ. " En parallèle, nos recherches
se sont orientées vers les biomatériaux de régénération
squelettique et, en s’intéressant en particulier à la
nacre des coquilles de mollusques bivalves (des huîtres perlières
Pinctada) dont la nature nous a laissé penser qu’elle pourrait
être un excellent biomatériau de reconstruction et de régénération
osseuse… "
Dans le cadre du MNHN, d’autres unités s’intéressaient
déjà au sujet, mais à partir de modèles différents.
C’est le cas notamment du Laboratoire de biologie marine de la Station
de Concarneau (MNHN, Finistère) qui étudie les ormeaux, ou encore,
d’unités basées au MNHN à Paris (Biologie des organismes
marins) dont les recherches portent sur la genèse des squelettes coralliens
et sur le squelette des échinodermes…
Réunies lors de la réorganisation des activités de recherche
du Muséum, ces équipes ont constitué le pôle "
Evolution des Biominéralisations " autour d’un objectif
commun : expliquer les processus de biominéralisation, c’est-à-dire,
chercher à comprendre comment la matrice organique s’associe
au matériau minéral et définir les mécanismes
de régulation de cet assemblage qui n’ont cessé de se
complexifier au cours de l’Evolution.
Des recherches fondamentales, à l’origine d’applications
industrielles L’équipe " Evolution des Biominéralisations
" constitue aujourd’hui une entité de l’Unité
" Biologie des Organismes Marins et des Ecosystèmes ", UMR
51.78 CNRS intégrée au sein du Département " Milieux
et Peuplements Aquatiques " du Muséum National d’Histoire
Naturelle, Paris.
Au cœur de ses investigations, s’imposent notamment deux grandes
thématiques :
l’influence
des facteurs environnementaux sur la biominéralisation en milieu marin
et, en particulier, sur la genèse des squelettes coralliens et leur
répartition en fonction des écosystèmes, ainsi que sur
la morphogenèse et la variation morphologique
du squelette chez les échinodermes,
les structures
et propriétés biologiques de la nacre de Pinctada (huîtres)
et d’Haliotis (ormeaux) (axe de recherche aussi développé
dans le cadre de l’ERT " Valorisation de molécules bioactives
d’origine marine "). Cet axe porte principalement
sur :
- la caractérisation, chez les mollusques nacriers utilisés
comme modèles, des sites impliqués dans la synthèse des
composants de la matrice organique de la nacre,
- l’étude des activités biologiques de la matrice organique
de la nacre, sur le processus de l’ostéogenèse chez les
mammifères, y compris l’homme,
- l’identification des molécules actives, extraites de cette
matrice, et de leurs mécanismes d’action ,
- la structure jusqu’à l’échelle nanomètrique
de la nacre.
Le laboratoire recherche les molécules signal qui régulent le
fonctionnement des biomiénralisations. Citons pour exemple les molécules
protéiques qui favorisent la cristallisation du carbonate de calcium.
Les protéines mises en œuvre pour la formation de calcite sous
forme rhomboédrique ne sont pas les mêmes que celles impliquées
dans la formation d’aragonite sous forme orthorhombique. "
Or, c’est principalement cette forme aragonitique qui nous intéresse
dans le cas de la nacre ", nous confie Mme LOPEZ. " D’où
l’importance de bien identifier et caractériser ces molécules
protéiques qui guident les processus de biominéralisation ".
Parmi les molécules auxquelles s’intéressent de près
Mme Evelyne LOPEZ et sonéquipe, plusieurs sont apparentées à
des molécules connues et, bien qu’ancestrales, parfaitement conservées
au cours de l’Evolution. Tel est le cas par exemple du CGrp et de la
PTHrp, réciproquement apparentées à la calcitonine et
à l’hormone paratyroïdienne (PTH).
" Le CGrp, chez les mollusques, règle les flux de Ca2+ branchiaux
et, chez les mammifères, agit comme un neuromédiateur, antalgique,
tout en possédant à forte dose un rôle sur la minéralisation
comparable à celui de la calcitonine ", nous explique le
Pr LOPEZ. " La PTHrp, quant à elle, intervient sur la différenciation
cellulaire notamment au niveau du squelette… "
Ainsi, le pôle " Evolution des Biominéralisations "
s’applique surtout à développer les études fondamentales
sur l’identification et la purification de molécules actives
extraites de la nacre des huîtres perlières. Les résultats
de ces études sont ensuite exploités dans le cadre de recherches
appliquées au sein de l’ERT " Valorisation des molécules
bioactives d’origine marine ". De nombreuses publications dans
des revues à comité de lecture (plus de dix depuis janvier 2003),
une participation active aux congrès internationaux
et deux brevets CNRS/MNHN déposés par l’équipe
du Pr LOPEZ sont le gage de la créativité de ce Laboratoire…
La société SIERA, partenaire industriel du projet, assure quant
à elle le suivi du développement, la qualité et la traçabilité
de la matière première, depuis la naissance des larves d’huîtres
perlières, et l’ensemble du processus de fabrication, jusqu’à
la commercialisation des produits homologués…
Il est aujourd’hui démontré que la nacre, grâce
aux remarquables propriétés biologiques de sa matrice organique,
associéesà une stabilité thermique et une résistance
exceptionnelle, constitue un biomatériau naturel fort intéressant
pour reconstruire les tissus squelettiques et aussi agir sur les tissus cutanés
des vertébrés. " La nacre peut non seulement jouer
un rôle de comblement et, donc, de support, parfaitement accepté
par l’organisme, mais également libérer des molécules
actives induisant la régénération osseuse ", nous
expliquait Mme LOPEZ dans notre précédent reportage.
La cosmétique, la pharmacologie et la dermatologie ainsi que la chirurgie
réparatrice osseuse sont tout particulièrement concernées…
Un déménagement prochain…
13 personnes collaborent aujourd’hui au sein de l’équipe
" Evolution des Biominéralisations " : six chercheurs et
ingénieurs du Muséum, deux techniciens dont un du CNRS, ainsi
que des étudiants en DEA, thèse et stagiaires. " Nous
espérons obtenir un poste de Maître de conférence centré
sur l’étude fondamentale des biominéralisations, afin
d’équilibrer nos effectifs entre recherche académique
et
recherche privée développée dans le cadre de l’ERT
", précise Evelyne LOPEZ.
Des partenariats importants ont été engagés avec la société
SIERA, mais aussi avec de nombreux laboratoires de recherche publique français
et étrangers," et notamment avec la Polynésie française
où nous bénéficions de matière première
– la nacre obtenue à partir de coquilles d’huîtres
perlières - dans d’excellentes conditions, sans nuire à
la survie de l’espèce, ni à son biotope ", ajoute
Mme LOPEZ.
L’équipe dispose de tous les équipements nécessaires
aux travaux de culture cellulaire, de biochimie et de biologie moléculaire.
Il bénéficie par ailleurs d’un accès privilégié
aux services communs du Muséum National d’Histoire Naturelle,
dotés notamment de séquenceurs et de gros matériels analytiques
tels que la spectromètrie de masse et la microscopie électronique.
Notons que l’équipe " Evolution des Biominéralisations
" a débuté ses travaux de biologie moléculaire il
y a trois ans sur ce sujet, quand elle a pu obtenir ses premiers tissus conservés
d’huîtres perlières Pinctada.
Pour identifier et étudier les molécules potentiellement intéressantes
dans le processus de biominéralisation, l’équipe fait
appel à deux types de méthodes :
- les techniques de biochimie classiques de purification des protéines,
- la biologie moléculaire pour laquelle sont utilisées deux
banques de gènes : une banque d’expression d’ADNc constituée
à partir de tissus de l’huître Pinctada, et une banque
différentielle obtenue par comparaison des molécules exprimées
par les tissus actifs dans la fabrication de la nacre avec celles exprimées
par les tissus non actifs. " Les différences observées
permettent de sélectionner les clones actifs de la banque ",
précise Evelyne LOPEZ.
Ajoutons par ailleurs que le pôle " Evolution des Biominéralisations
" prépare son déménagement pour la rentrée
2004 dans de nouveaux locaux. Plus de 200 m2 sont en cours de rénovation
rue Cuvier, à Paris, pour satisfaire au développement de ses
activités de recherche.
S. DENIS