Mai 2006 - n°110
Le Genoscope séquence le génome de la bactérie Kuenenia stuttgartiensis, un acteur majeur du cycle de l’azote
Évry, le 6 avril 2006 – Le génome
de bactérie, Kuenenia stuttgartiensis, vient d’être séquencé
à partir d’une communauté bactérienne issue de
l’environnement. Ce résultat, publié dans Nature du 6
avril 2006, est le fruit d’une longue collaboration entre des chercheurs
du Génoscope (Genopole®, Evry)* et des équipes des Universités
de Nimègue**, Munich*** de Vienne****. Kuenenia stuttgartiensis est
le prototype du groupe des bactéries anammox qui oxydent l’ammoniaque
en azote en l’absence d’oxygène. Cette particularité
fait de ce groupe un acteur majeur dans la régénération
de l’azote atmosphérique. Son utilisation pour simplifier, accélérer
et abaisser le coût du traitement des eaux usées est à
l’essai au niveau industriel.
La composition en gaz de l’atmosphère est régie par un
ensemble de processus complexes, les cycles biogéochimiques, dépendant
en grande partie des microorganismes de notre environnement. Le cycle de l’azote,étudié
depuis la fin du 19ème siècle, n’a pas encore livré
tous ses secrets. C’est ainsi qu’il a été observé
récemment que l’ammoniaque (produit de dégradation d’origine
biologique) pouvait être oxydé par des bactéries anaérobies,
le groupe anammox. Comme la plupart des bactéries de l’environnement,
elles ne peuvent être isolées et nécessitent d’être
étudiées par des approches de génomique.
Kuenenia stuttgartiensis, une bactérie
du groupe anammox
Les bactéries réalisant l’oxydation anaérobie de
l’ammoniaque, appelée anammox pour« anaerobic ammonium
oxydation » font partie de la division des Planctomycètes, un
groupe de bactéries mal connues, longtemps ignorées des microbiologistes,
mais qui comprend de nombreuses espèces dotées de particularités
uniques originales.
La réaction anammox qui transforme l’ammoniaque et les nitrites
en azote gazeux en milieu anaérobie est unélément majeur
du cycle de l’azote. On estime actuellement qu’elle contribue
à plus de 50% de la transformation de l’azote dans les océans.
Cette transformation, produit comme intermédiaire de l’hydrazine,
une substance hautement toxique dont les cellules se protègent en la
confinant dans une vésicule appelée « anammoxosome »,
identifiée comme étant le siège des réactions
chimiques. La membrane de cette vésicule, parfaitement imperméable
est constituée majoritairement de lipides particuliers, les ladderanes,
découverts récemment et dont la biosynthèse est inconnue.
Le séquençage du génome
d’anammox
Kuenenia stuttgartiensis est une bactérie qui se divise très
lentement (une division toutes les 2 à 3 semaines) et qui n’a
pas encore été isolée en culture pure. Les chercheurs
de Genoscope ont utilisé l’ADN de populations de bactéries
mises en culture en bioréacteur pendant un an. La reconstitution du
génome de K. stuttgartiensis a permis d’identifier les gènes
responsables de la biosynthèse des ladderanes, d’une part, et
du processus d’oxydation anaérobie de l’ammoniaque, d’autre
part. Le génome de cette bactérie s’est révélé
être beaucoup plus vaste que ce que l’on pouvait imaginer et comporte
un très un grand répertoire de voies métaboliques lui
permettant d’utiliser notamment le dioxyde de carbone pour effectuer
ses biosynthèses.
La systématique des Planctomycètes
L’analyse du génome de K. stuttgartiensis a aussi permis de mettre
fin à une controverse sur l’origine évolutive du groupe
des Planctomycètes. Il s’avère qu’elles ont plus
de gènes en commun avec les Chlamydiées qu’avec n’importe
quel autre groupe et descendent donc du même ancêtre que ces dernières.
Une application pour l’environnement :
le traitement des eaux usées
L’utilisation d’anammox pour le traitement des eaux usées
est en cours d’expérimentation. Elle présente de nombreux
avantages par rapport à la méthode classique de nitrification/dénitrification
en permettant de simplifier le procédé, d’accélérer
le traitement et d’en abaisser considérablement le coût,
notamment en économisant de l’énergie. L’apport
d’oxygène au bassin peut-être réduit, les bactéries
anammox n’ont pas besoin de carbone organique pour leur croissance et
produisent moins de biomasse, ce qui réduit la masse de boues à
éliminer.
Le séquençage du génome d’une bactérie anammox
et l’identification de son potentiel métabolique ont été
particulièrement difficiles et résultent des efforts d’un
consortium européen. C’est un des premiers exemples de réussite
de reconstruction d’un génome bactérien à partir
d’une communauté complexe. Cela illustre très bien l’importance
de produire davantage de séquences à partir de l’environnement,
d’explorer la diversité et de compléter l’inventaire
des activités enzymatiques encore inconnues.
* CNRS UMR 8030 et Genoscope, Evry, France
** Department of microbiology, Radboud University, Nijmegen, Pays-Bas
*** Department of Genome Oriented Bioinformatics, Technische Universität,
Munich, Allemagne
**** Department of Microbial Ecology, University of Vienna, Autriche
GENOSCOPE (Centre National de Séquençage)
Premier grand équipement français en biologie créé
en 1997, le Genoscope se consacre au séquençage des génomes
et à l’analyse de séquences produites dans le cadre de
grands projets internationaux (génome humain, arabette, riz, etc.)
ou de projets propres. Les espèces étudiées peuvent présenter
un intérêt fondamental, médical ou économique.
GENOPOLE ®
La cité du gène et des biotechnologies est un bioparc
de 87 000 m2 basé à Evry, qui regroupe 23 laboratoires de recherche
(dont 2 nationaux) en génomique, post-génomique et sciences
connexes et 57 entreprises innovantes en biotechnologie.