Juillet 2006 - n°112
L’INRA fait le point sur la Chimie Verte : bio-molécules, bio-matériaux et nouvelles énergies issus de l’agriculture
En demi-sommeil depuis un siècle, la chimie
verte s’est réveillée sous l’effet conjugué
des avancées biotechnologiques et d’une réglementation
plus stricte concernant les rejets polluants dans l’environnement. Elle
est dorénavant capable de mettre à disposition de l’industrie
chimique des molécules comparables à celles issues de la pétrochimie,
mais produites à partir de lipides, d’amidon, de saccharose et
de cellulose.
A l’INRA, une vingtaine d’unités de recherche se mobilisent
sur la chimie verte. Elles approfondissent les connaissances génériques
de la matière végétale et mettent en valeur l’éventail
des aptitudes des ressources renouvelables. L’INRA explore aussi des
procédés biotechnologiques d’intérêt industriel.
De nouvelles bio-molécules “ vertes
”
Plusieurs marchés de la chimie cohabitent sur ce créneau de
la “ chimie verte ”. Des molécules intéressent des
secteurs de masse tels ceux de l’énergie ou les intermédiaires
chimiques employés dans la chimie lourde (biopolymères, acides
gras). Les bio-lubrifiants, par exemple, représentent déjà
3 % des lubrifiants totaux.
D’autres molécules possèdent des propriétés
pointues et ciblent des marchés spécifiques : pharmacopée,
cosmétique, traitement du bois… A Nancy, par exemple, des chercheurs
de l’INRA ont mis au point une technologie simple permettant de récolter
des molécules excrétées par les racines de plantes cultivées
dans un milieu nutritif liquide. Par divers traitements (physiques, chimiques
ou biologiques), les plantes peuvent être “ traites ”, les
molécules d’intérêt pharmaceutique étant
récupérées dans le milieu nutritif. Ainsi, Datura innoxia,
plante tropicale produisant des alcaloïdes tropaniques (neurosédatifs)
a été la première “ plante à traire ”,
mais le procédé fonctionne aussi avec l’if (Taxus baccata)
pour produire le taxol, substance anticancéreuse. Brevetée au
niveau mondial par l’INRA et l’Institut Polytechnique de Lorraine
(INPL), cette technologie a reçu de nombreux prix en 2005 et fait l’objet
d’une licence avec une jeune entreprise. (contact scientifique : Frédéric
BOURGAUD – Tel : 03.83.59.58.37 – frederic.bourgaud@ensais.inpl-nancy.fr).
Autre exemple concret, celui des recherches
menées sur le POP, un colorant jaune issu des pommes.
Les industries alimentaires et cosmétiques disposent en effet de peu
de solutions en terme de colorant jaune hydrosoluble. Un des plus utilisés
est un pigment de synthèse suspecté de provoquer asthme et urticaire.
Les chercheurs de l’INRA de Rennes, en collaboration avec la société
VAL DE VIRE, ont donc étudié les propriétés d’un
pigment jaune naturel au pouvoir oxydant, issu des pommes : le POP (Produit
d’Oxydation de la Phloridzine). Ce coproduit de l’industrie cidrière,
participant à la couleur naturelle du jus de pomme, représente
une alternative prometteuse aux colorants de synthèse. La structure
du POP et son mode d’obtention sont brevetés par l’INRA
et Val de Vire. (contact scientifique : Sylvain GUYOT – Tel : 02.23.48.52.09
ou 52.16 – sylvain.guyot@ rennes.inra.fr).
Les biomatériaux
L’INRA étudie également les critères d’éco-compatibilité
pour l’ensemble des ressources végétales cultivées
(plantes et bois) en cherchant à chaque fois à réduire
l’impact environnemental des filières de transformation. Les
chercheurs de Montpellier et de Nantes ont ainsi démontré que
les biomatériaux obtenus à partir de gluten associaient des
performances énergétiques et industrielles avec une biodégradabilité
et une innocuité accrues, quels que soient les procédés
de transformation employés. Ils valorisent aussi des propriétés
spécifiques de matériaux d’origine naturelle : solubilité,
perméabilité…
Ces biomatériaux, toujours fondés sur des biopolymères,
sont déjà souvent présents dans la matière végétale,
comme l’amidon des céréales, les protéines du blé
(gluten), des oléagineux et protéagineux, ou encore, la cellulose
issue des plantes fibreuses. D’autres polymères, néanmoins,
peuvent être néoformés en recourant à des biotechnologies…
Citons pour exemple les travaux réalisés par les chercheurs
de l’unité mixte “ Ingénierie des agro-polymères
et technologies innovantes ”, à Montpellier, ayant permis la
mise au point d’un matériau d’emballage composite constitué
d’un papier imprégné de gluten de blé, biodégradable,
sélectif et perméable. Un emballage qui permet notamment le
conditionnement des champignons de Paris pour une conservation à 20°C
pendant quatre jours, contre un jour avec un film conventionnel. (Contact
scientifique : Nathalie GONTARD – Tel : 04.67.14.33.61 ou 41.96 –
gontard@univmontp2.fr).
Notez que le chanvre connaît ainsi une renaissance remarquable dans
la construction pour ses capacités isolantes, en remplacement de la
laine de verre ou en association avec la chaux, en substitution des parpaings
de béton…
Les bio-carburants et la bio-énergie
Sur le devant de la scène médiatique, la production de biocarburants
est actuellement dopée par la hausse des prix du pétrole et
la problématique des changements climatiques dûs à l’augmentation
des gaz à effet de serre issus des carburants fossiles.
=> Les biocarburants de 1ère génération
Dès 1992, la France s’est lancée dans deux filières
parallèles.
- D’une part, le biodiesel, plus connu sous son nom de marque “
diester ” : un ester (ester méthylique d’huile végétale,
EMHV) produit par réaction du méthanol sur des huiles végétales
de colza ou accessoirement de tournesol. Cet EMHV est mélangé
réglementairement au gazole jusqu’à 5 %.
- D’autre part, l’ETBE (Ethyl tertio ether) obtenu par synthèse
à partir de bioéthanol provenant de blé et de betteraves
et d’isobutylène issu de raffinerie pétrochimique. L’ETBE
est incorporé à l’essence à hauteur de 15 % maximum,
pour constituer l’essence sans plomb que l’on trouve aujourd’hui
en Europe.
Le biodiesel est l’option qui connaît la plus forte croissance
: + 28 % en 2003 et 2004 dans l’Union Européenne. Il représente
l’essentiel des surfaces cultivées à des fins énergétiques
en France ETBE et biodiesel ont permis d’initier le développement
de la filière biocarburant. Cependant, on ne saurait en rester là.
Trop d’hectares sont nécessaires. En extrapolant, couvrir les
besoins énergétiques en carburant immobiliserait la quasi-totalité
de la surface agricole française !
Parmi toutes les modalités d’utilisation possibles, les pays
ont pris différentes options et la période actuelle apparaît
comme une phase de transition. Une voie possible est l’utilisation du
bioéthanol pur, à l’instar de ce qui se fait au Brésil,
aux Etats-Unis ou en Suède. Cela nécessite d’adapter les
moteurs, mais réduit sensiblement les émissions de gaz à
effet de serre ainsi que d’autres polluants atmosphériques (particules,
monoxyde de carbone, composés précurseurs de l’ozone).
Autre option en Europe, certaines organisations agricoles revendiquent l’utilisation
d’huiles pures comme carburant. De nombreuses expériences ont
vu le jour pour alimenter les tracteurs. Cependant les constructeurs n’y
sont pas favorables (les propriétés des huiles variant significativement
en fonction des cultures oléagineuses) et la combustion de l’huile
ne respecte pas la réglementation antipollution actuelle.
=> Les biocarburants de 2ème génération
Pour prendre une part significative dans le bilan énergétique,
il est nécessaire d’accroître le nombre et le volume de
végétaux à utiliser comme matière première
pour produire des biocarburants : plante entière, forêt, fraction
biologique des déchets urbains. La ressource la plus largement disponible
et qui n’entre pas en compétition avec les productions alimentaires
est la lignocellulose : plantes, arbres, pailles…
Deux procédés sont utilisés pour produire les carburants
de 2ème génération : la thermochimie avec comme sortie
des carburants de synthèse ou de l’hydrogène, ou la filière
biologique de type fractionnement enzymatique pour la production d’éthanol
et d’hydrogène.
=> Valoriser la biomasse de la plante entière
La troisième option, travaillée par les chercheurs,
consiste à convertir la biomasse de la plante entière. Le bois
est la principale source de biomasse (combustion), viennent ensuite les déchets
ménagers et déjections animales (incinération, méthanisation),
puis les cultures annuelles ou pérennes (fermentation), mais les plantes
annuelles (céréales, oléagineux, betterave, lin, chanvre…)
ou leurs sous-produits (paille, son) ainsi que les cultures pérennes
(légumineuses, fétuques…) et les taillis à courte
rotation (saules, peupliers) offrent de nouvelles perspectives.
La transformation de la plante entière a trois atouts : elle permet
de maximiser le rendement énergétique à l’hectare,
elle limite les surfaces nécessaires et ne génère pas
de sous-produits. L’amidon des grains a déjà dévoilé
son pouvoir énergétique : il s’agit dorénavant
de transformer les tiges et les troncs des végétaux, composés
de lignocellulose.
=> Défis technologiques
Les recherches actuelles approfondissent, d’autre part, les connaissances
génériques sur les tissus lignocellulosiques : organisation
des parois végétales, réactions physico-chimiques et
cytochimiques qui caractérisent la matière fibreuse. Des travaux
plus appliqués définissent en outre les technologies les mieux
appropriées. Car, la transformation de la lignocellulose s’avère
problématique : cette seule étape coûte environ la moitié
du prix de revient de l’éthanol produit. Il s’agit de séparer
la lignine et la cellulose et de les transformer en sucres, puis en alcool.
Or, la conversion des pentoses (sucres à 5 carbones) est encore un
défi pour la recherche.
L’INRA privilégie l’hydrolyse enzymatique (coupure des
molécules par des enzymes, et en particulier par des levures) à
l’hydrolyse chimique. L’action des enzymes est hautement spécifique,
elle n’engendre aucun sous-produit et le potentiel biotechnologique
permet d’envisager de réduire les coûts.
A Reims, par exemple, l’INRA étudie l’action d’enzymes
de la bactérie Thermobacillus xylanilyticus sur la paille et le son
de blé. Le passage au stade industriel est exploré avec la société
ARD dans le cadre du pôle de compétitivité “ Industries
et agro-ressources ” porté par les régions Champagne-Ardenne
et Picardie. A Marseille, par ailleurs, l’INRA travaille à partir
d’enzymes issues de champignons filamenteux. Le programme européen
NILE (New Improvements for Lignocellulosic Ethanol), conduit en partenariat
avec l’Institut Français du Pétrole, vise à mettre
au point un procédé qui sera testé sur véhicules
à l’horizon 2009…
Ecobilans et cycles de vie
La légitimité des filières biocarburants, comme de la
chimie verte, réside dans leur contribution au développement
durable et dans leur efficacité économique.
Sur ce point, les effets positifs des biocarburants sont indéniables,
mais modestes ; ils permettent aujourd’hui d’économiser
1 % de nos émissions de CO2 par an, le biodiesel ayant un meilleur
rendement énergétique que le bioéthanol. Même ambitieux,
le programme biocarburant ne contribue donc que marginalement à l’indépendance
énergétique. D’où l’intérêt
des recherches sur la lignocellulose qui tendent vers une meilleure efficacitééconomique
et énergétique.
Enfin, à l’échelle locale, l’évaluation des
bénéfices environnementaux reste difficile à mesurer.
Les pollutions agricoles résultant de la production de blé,
betterave et colza destinée aux bioénergies sont peu prises
en compte dans les écobilans actuels. Or, l’acceptabilité
des filières localement en dépend. Mais là encore, privilégier
la production de biomasse sur la production de grains permettra de s’affranchir
de beaucoup de traitements phytosanitaires, la croissance des feuilles et
des tiges étant moins sensible aux attaques que la floraison et la
fructification…
SD