Les 100 ans de l’Institut Pasteur de Dakar
En 2024, l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) fête son centième anniversaire. L’IPD est une fondation sénégalaise à but non lucratif reconnue comme étant d’utilité publique. L’institut fournit aux communautés des solutions de soins de santé et des services de laboratoire. Elle s’engage quotidiennement dans la recherche et l’innovation biomédicale de pointe, la fabrication de vaccin, la formation, le diagnostic, les activités de santé publique comme les enjeux de réponse aux épidémies et la surveillance etc. 100 ans, c’est l’occasion de faire un point sur ses activités quotidienne et ses travaux pour accélérer un accès au soin équitable, abordable et durable au Sénégal, en Afrique et dans le Monde.
Estelle de La Gazette du LABORATOIRE Afrique a échangé pour vous avec le Dr Amadou Alpha Sall, directeur général de l’Institut Pasteur de Dakar.
Dr Amadou Alpha SALL, Administrateur Général de l'Institut Pasteur de Dakar.
Photo prise lors du lancement du Centre Africain de Résilience aux Epidémies (CARE).
Cet évènement a marqué le lancement du centenaire de l’Institut Pasteur de Dakar.
Copyright : © Institut Pasteur de Dakar
Estelle : « Bonjour, et merci d’avoir accepté cet échange. Pouvez-vous vous présenter ? » Dr Amadou Alpha Sall : « Je suis docteur en sciences et en santé publique. Ma spécialité est la virologie, ce qu’on appelle les pathogènes dangereux, tels que les fièvres hémorragiques ou les pathogènes qui ont des conséquences importantes en causant de grandes épidémies ou pandémies. Je me considère comme un pur produit de l’Institut Pasteur. En effet, j’ai rejoint l’institut Pasteur comme étudiant pour ma thèse, puis comme stagiaire, pour évoluer ensuite à quasiment tous les postes : chercheur, chef d’entité, directeur scientifique, avant de devenir le directeur général de L’IPD. J’ai passé 30 ans de ma vie à L’IPD dans le cadre d’un centenaire c’est plutôt pas mal !! A titre personnel, je conserve de mon parcours le besoin de transmettre, de former des experts. Au cours de mon parcours et grâce à la vision unique de l’Institut Pasteur, j’ai pu bénéficier d’une ouverture à l’international. J’ai passé quelques années au Cambodge, aux Etats-Unis (New-York) pour approfondir mes connaissances sur les pathogènes émergents. J’ai également collaboré avec la plupart des pays africains et quelques pays d’Amérique du Sud. Au cours de ma carrière, j’ai pu travailler avec au moins 45 gouvernements dans le domaine des épidémies, mais également avec d’autres structures comme l’OMS (Organisation mondiale pour la Santé), l’OMSA (Organisation Mondiale de la santé animale), entre autres. Il me semble que mon parcours est un bel exemple de ce qui est la vocation première de notre institut : faire émerger des leaders dans leur domaine, qui puissent contribuer à une échelle mondiale à la lutte contre les épidémies et les pandémies. L’approche pasteurienne est globale, nous sommes à la fois des experts en laboratoire mais aussi sur le terrain. Cette double compétence est très importante dans le cadre de l’Institut Pasteur. En parallèle de mon poste de direction, je suis également président du réseau des Instituts Pasteur : le Pasteur Network qui réunit 33 instituts issues de 26 pays. » |
Dr Amadou Alpha SALL, Administrateur Général de l'Institut Pasteur de Dakar |
Estelle : « Pouvez-vous nous parler des origines de l’Institut Pasteur de Dakar ? »
Dr Amadou Alpha Sall : « L’IPD célèbre cette année ses 100 ans. Le premier élève de Louis Pasteur qui est venu au Sénégal à Saint Louis, dans le but de monter un laboratoire de microbiologie, était Emilie Marchoux et cela date de 1896 ! Ce premier laboratoire de microbiologie a ensuite commencé à travailler avec un hôpital, à développer une approche pasteurienne consistant à apporter une expertise en microbiologie pour prendre en charge les malades, les épidémies etc.
C’est en 1913 que ce laboratoire est transféré à Dakar pour constituer un premier institut local. En 1924, cet institut sera inauguré comme l’Institut Pasteur de Dakar. Déjà à cette époque, la démarche pasteurienne qui consiste à prendre les meilleurs élèves et à les envoyer partout dans le monde pour prendre en charge des questions locales fonctionne !
Le réseau des Instituts Pasteur part de l’idée humaniste que la science n’a pas de frontière, qu’elle est vraie et qu’elle est un patrimoine de l’humanité. Emile Marchoux a ainsi beaucoup travaillé sur le paludisme, avec des découvertes importantes. En 1927, un épidémiologiste a isolé pour la première fois ici à L’IPD le virus de la fièvre jaune – un virus qui a causé à l’époque une épidémie meurtrière. Dans la pure tradition pasteurienne, lorsqu’on a isolé un pathogène,, on essaie de faire un vaccin ! Le développement du vaccin de la fièvre jaune a donc été lancé avec une collaboration internationale. En 1937, le premier vaccin a été obtenu et a été produit ici à Dakar. 1937 marque une étape importante dans la vie de notre institut avec cette première production locale. A la fin des années 50, il n’y avait quasiment plus de cas de fièvre jaune.
En 1966, l’OMS a conclu que nous remplissions toutes les conditions pour que notre vaccin de la fièvre jaune puisse être vendu dans le monde entier. Il est reconnu par l’organisation des nations unies, l’un des critères les plus élevés pour un vaccin au niveau mondial. Nous sommes à ce jour encore le seul institut Africain à avoir cette reconnaissance.
Nous sommes fiers aujourd’hui d’être à la fois les héritiers et les ambassadeurs de la démarche de Louis Pasteur qui a contribué à faire émerger en Afrique une élite dans les domaines de la microbiologie et de la virologie. »
Laboratoire de virologie Copyright ©de Institut Pasteur de Dakar
Estelle : « Pourriez-vous nous éclairer sur les grandes missions de l’Institut Pasteur de Dakar ces 100 dernières années ? »
Dr Amadou Alpha Sall : « En premier lieu, il faut revenir à notre origine. Notre première raison d’être est d’accélérer l’accès à la santé – un accès équitable, pérenne et abordable. Partout où il y a un besoin, notre objectif est de faire le nécessaire pour que les populations puissent avoir accès à la santé.
Dans ce cadre, nous avons 5 grands axes de travail. Le premier, c’est la recherche, dont le but est de générer des connaissances pour comprendre les maladies afin de pouvoir agir. Nos recherches sont axés sur le développement et l’innovation. Nous prenons toutes les connaissances existantes pour développer des vaccins, des diagnostics etc., afin de rendre le système plus fort et plus pertinent. Nous déposons de nombreux brevets. Nos recherches s’appuient sur l’un des principes fondamentaux portés par Louis Pasteur, qui disait : « Il n’y a pas la science fondamentale, puis la science appliquée, il y a la science et ses applications qui sont liées comme l’arbre au fruit ».
Dans cette démarche, il faut finalement comprendre que le microbe n’est rien. le même microbe peut avoir une différence s’il est au Sénégal, en France ou ailleurs..L’écosystème global est essentiel à sa compréhension et aux réponses apportées. Finalement, Louis Pasteur était précurseur de la démarche appelée aujourd’hui « One Health » qui consiste à prendre en compte dans leur ensemble les animaux, l’environnement et l’homme.
Nous avons également une mission de surveillance des maladies pour la santé publique. Il faut en effet les détecter pour pouvoir les combattre. Lorsqu’un phénomène épidémique est détecté, nous accompagnons également les autorités dans toutes les étapes de l’investigation de l’épidémie pour savoir quelle est la cause, puis déployer des vaccins, des mesures d’assainissement, etc..
Quand on parle de santé publique, il y a également toute une mission sur le renforcement du système de santé. Il nous arrive d’identifier des problèmes spécifiques, de les mettre en lumière et d’accompagner les systèmes de santé pour leur prise en charge. Concrètement, il y a quelques temps, nous nous sommes intéressés aux problèmes des maladies cardio-vasculaires dans un village de 2000 personnes. Comment identifier les personnes à risque ? Comment les diagnostiquer sur le terrain avec des agents de santé communautaires ? Comment apporter une solution ? Tout ceci a fait l’objet d’une étude sur le terrain et en laboratoire qui a permis de collecter une grande quantité d’informations. Nous avons présenté notre projet au ministère de la santé, qui envisage maintenant une mise à l’échelle sur 4 autres site, pour ensuite en faire une politique nationale de santé publique.
Laboratoire de Biologie Médicale Copyright ©de Institut Pasteur de Dakar
Nous travaillons également sur le défi de la résistance antimicrobienne. Nous avons développé des outils digitaux pour aider les médecins ou infirmier-ière-s à ne pas les prescrire trop rapidement. Par exemple, quand il n’y a qu’une fièvre, on va demander s’il y a eu un test de diagnostic pour le paludisme ? Si on note oui dans l’outil, est-ce qu’une autre bactérie fréquente a été testée ? etc.. Quand on suit l’algorithme, il indique la bonne démarche clinique à suivre, avant de systématiquement prescrire un antibiotique.
Nous avons fait une expérience en comparant 4 sites, dont 2 fonctionnant avec l’outil, et nous avons constaté une réduction de 70% de prescription d’antibiotiques ! C’est typiquement une mission de santé publique pour renforcer le système de santé !
Une autre mission essentielle concerne l’enseignement. Chaque année à L’IPD, nous formons les étudiants sur tous nos postes, du technicien aux post-doctorats. Nous avons également des programmes de formation continue pour nos équipes. Nous proposons également des formations professionnelles. Par exemple, récemment, l’Agence de l’énergie atomique a fait appel à nous pour une formation sur la biosécurité.
Nous sommes fiers de contribuer au rayonnement de la science ! Les plus grands microbiologistes sont passés par notre institut. Je pense par exemple au professeur Muyembe en République démocratique du Congo qui a découvert Ebola et qui a été formé ici à Dakar. Nous avons pu transmettre nos compétences à des milliers de personnes, formées ici à Dakar, chez eux ou en distanciel.
Le transfert des compétences et des savoirs est un pilier essentiel. Pour exemple, dans le domaine du paludisme, notre approche multidisciplinaire avec des parasitologues, des épidémiologistes, des entomologistes etc., a permis que nous soyons aujourd’hui quasiment débarrassés du Paludisme.
Toutes les informations collectées suite aux premières études datant des années 90 sur la compréhension du paludisme, sur la compréhension de la façon dont les gens acquièrent l’immunité contre le paludisme ont été transmises aux autres pays. Aujourd’hui, d’autres villages, en Afrique et dans le monde, s’inspirent du travail qui a été initié ici.
Nous possédons un laboratoire d’analyses pour les patients, que nous souhaitons faire évoluer afin de rendre accessible les analyses, via des plateformes techniques fiables. Nous avons également toute une partie de notre activité qui est dédiée aux prestations de services pour l’industrie avec des analyses microbiologiques etc.
Enfin, notre dernière mission concerne la production de mesures médicales, de vaccins, de tests diagnostiques etc. De nombreuses études ont été réalisées sur les arbovirus et les virus de fièvre hémorragique. Par exemple, en étudiant en détail la fièvre de la vallée du Rift, nous avons constaté des variants entre l’Afrique de l’Est, de l’Ouest ou du Nord. Il fallait prendre en charge ces variants du point de vue du diagnostic et de la détection. Nous avons été parmi les premières équipes à développer des tests pour la détection moléculaire de la fièvre de la vallée de Rift pour un certain nombre de pathogènes. Et nous avons ainsi mis en lumière 36 virus différents. »
Laboratoire de Biologie Médicale Copyright ©de Institut Pasteur de Dakar
Estelle : « Avez-vous un exemple récent de l’impact de l’Institut Pasteur de Dakar ? »
Dr Amadou Alpha Sall : « Récemment, nous avons été l’un des deux seuls laboratoires en Afrique en capacité de diagnostiquer la COVID de façon moléculaire. L’Africa CDC (centres africains pour la surveillance et la prévention des maladies) a désigné notre institut pour former les 25 premiers pays très rapidement pour détecter la COVID et démarrer la lutte contre la COVID. Nous avons soutenu 18 pays pour suivre les variants de façon extrêmement précise , afin d’avoir une bonne compréhension de la circulation et de la dynamique des différents variants.
Nous avons également joué un rôle dans la logistique, car l’accès aux tests était compliqué. En collaboration avec l’Africa CDC, nous avons distribué plus de 3,2 millions de tests pendant la COVID aux pays africains. Nous avons réalisé plus d’1 million et demi de tests, soit quasiment toute la population sénégalaise, pour beaucoup dans le cas de la surveillance, pour d’autres pour les voyages.
Nous avons été porteur du projet Madiba (Fabrication en Afrique pour l'immunisation contre les maladies et le renforcement de l'autonomie) dès 2020 pour assurer la production du vaccin et son accès en local. Avec la COVID, on s’est rendu compte de la nécessité d’être en capacité d’avoir des tests rapides, qu’on peut faire au bout du doigt ou avec un simple écouvillon, avec une réponse rapide afin d’isoler ou d’administrer un traitement rapidement. Nous allons développer ces tests rapides également pour la rougeole, la fièvre jaune, le paludisme, le SIDA etc. »
Formation Redcap au CARE, Institut Pasteur de Dakar Copyright ©de Institut Pasteur de Dakar
Estelle : « Quelles sont vos ambitions pour l’avenir ? »
Dr Amadou Alpha Sall : « Nous avons élaboré des grands axes majeurs dans notre feuille de route 2022-2032. Notre stratégie commence bien évidemment par l’accès aux produits de santé. L’un de nos projets se focalise sur la mise en place d’un vaccinopôle pour optimiser notre bioproduction - nous pourrons aller jusqu’à 300 millions de doses par an. Nous allons construire 3 usines basées sur 3 technologies différentes (œuf/ culture cellulaire / ARN messager) qui vont nous permettre de couvrir de façon flexible la production de la plupart des vaccins. Ce vaccinopôle est basé sur les dernières innovations technologique – Objectif : produire 60% de notre besoin local à l’horizon 2040. Prochainement, nous allons inaugurer une usine en capacité de produire jusqu’à 75 millions de tests de diagnostic rapide par an.
Un pilier essentiel pour notre avenir, c’est l’enjeu de formation. Aujourd’hui, il nous manque du personnel formé pour atteindre nos objectifs. Nous collaborons avec les acteurs nationaux et internationaux, privés et publics pour répondre à ce défi. Nous créons un nouveau centre de formation appelé CARE (centre africain de résilience aux épidémie) qui a vocation à former toute une nouvelle génération de personnels de la recherche, de la santé publique, de l’innovation, de la gestion de la recherche etc. Nous débutons avec un volet de formation dans des domaines majeurs : biosécurité, virologie, microbiologie, parasitologie etc. CARE va également accueillir de la formation liée à ces domaines, comme l’intelligence médicale, l’intelligence des épidémies, l’innovation avec un Fab Lab pour que les gens puissent travailler sur des prototypes, un centre de gestion des crises etc.
Pour l’avenir, notre département de santé publique est également un acteur majeur pour renforcer la surveillance, le renforcement du système de santé et son développement mais aussi en innovant avec de nouvelles approches telles que l’intelligence artificielle pour l’analyse de données en grande quantité, prédire les épidémies, etc.. Nous allons nous intéresser aux maladies non transmissibles telles que le diabète, l’hypertension artérielle, les cancers etc. Nous souhaitons également orienter nos recherches sur les problèmes du Microbiote, du Microbiome.
La virologie va justement s’intéresser aux marqueurs pour développer des diagnostics plus spécifiques et suivre l’évolution des virus. Les équipes d’immunologie vont s’intéresser à tout ce qui concerne le paludisme et à l’immunologie des cancers. Les entomologistes vont développer de nouvelles approches pour combattre les maladies à transmission virtuelle dans le contexte de changement climatique. Et nous avons toute une unité qui travaille sur la science des données, afin de développer des modèles avec des nouvelles disciplines comme l’algèbre génomique par exemple.
Dans les années à venir, nous encouragerons également l’entreprenariat, car nous pensons que beaucoup de solutions viennent de la recherche. Il y a de très bonnes idées techniques mais il faut en faire des produit ! Nous souhaitons accompagner les porteurs de projets !
Notre institut est en pleine transformation, en pleine mutation pour attirer de nouvelles compétences, de nouveaux talents, de nouvelles disciplines etc. »
Gageons que les 100 prochaines années confirmeront l’Institut Pasteur de Dakar dans son rôle d’acteur majeur de la Recherche au sein de l’écosystème mondial, au service de la santé de demain !
Pour en savoir plus : https://institutpasteurdakar.sn/ipd-home-fr/
Estelle BOUILLARD
©La Gazette du Laboratoire Afrique