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Bio-Sourcing : le lait de chèvre comme bioréacteur pour des biosimilaires

Bio-Sourcing, société de biotechnologie liégeoise, a développé une plateforme unique, durable et rentable pour produire une nouvelle génération de biothérapeutiques, des anticorps monoclonaux, dans le lait de chèvre, en utilisant des technologies d'édition du génome et de transfert du noyau cellulaire. Elle a déjà trois produits en cours de développement.

Les biosimilaires – des traitements médicaux très similaires aux médicaments biologiques déjà autorisés comme les anticorps monoclonaux – sont très coûteux, ce qui limite leur accessibilité, même après expiration des brevets. La société Bio-Sourcing a trouvé une solution étonnante !

Un serial entrepreneur motivé

Docteur en génétique et titulaire d’un MBA, Bertrand Mérot a fait quelques années de recherche académiques (CNRS, CIRAD, IRD avant de rejoindre des entreprises internationales telles que le groupe Limagrain puis LFB Biotechnologies, où il a occupé différents postes dont Directeur Recherche & Développement (R&D), directeur de la branche Santé, vice-président directeur général, président-directeur général. Le Dr Mérot a également créé et/ou contribué au développement de plusieurs sociétés de biotechnologie telles que Meristem Therapeutics, OncoDesign, GTC Biotherapeutics, en Europe et aux Etats-Unis.

Au sein de LFB Biotechnologies, figure la filiale LFB USA, dont les scientifiques ont été les premiers à produire dans le lait de chèvre, par recombinaison génétique, des protéines humaines telles que des facteurs de coagulation (Antithrombine, facteur VIII). Cependant, cette plateforme technologique de biologie moléculaire était difficilement industrialisable.

Aussi, Bertrand Mérot a acquis une licence exclusive mondiale pour créer un spin-off, afin d’exploiter la plateforme technologique pour produire dans le lait de chèvre des protéines thérapeutiques en santé animale. Il a donc fondé Bio-Sourcing en 2011. Il est parti au Brésil développer un partenariat stratégique avec un des leaders de la santé animale dès 2012, lui permettant de développer l’activité en santé animale de Bio-Sourcing. Puis en Belgique, l’écosystème de Liège lui a ouvert ses portes et, avec différents partenariats locaux, Bio-Sourcing a été opérationnelle dès 2014.

Aujourd’hui, Bio-Sourcing possède deux business units : une en santé animale qui se développe en exclusivité avec un partenaire américain, et l’autre en santé humaine depuis un an et demi qui vient de bénéficier de l’Accélérateur du Conseil Européen de l’Innovation (EIC - European Innovation Council). L’objectif est de démontrer que la plateforme technologique BioMilk™ est non seulement capable de produire de grands volumes de protéines humaines thérapeutiques, notamment des anticorps monoclonaux contre le cancer ou les maladies anti-inflammatoires, mais aussi qu’elle permet de réduire les coûts de production, et réduit les émissions de dioxyde de carbone. Les produits issus de cette plateforme sont enregistrables auprès de l’EMA. Que ce soit en santé animale ou humaine, il s’agit de la même plateforme, ce qui change est la séquence de DNA originelle.

Le financement de 2,5 millions d’euros de subventions et de 10 millions d’euros en equity de la part de l’EIC a été obtenu dans le courant de l’été 2024. La subvention de 2,5 millions d’euros permettra à Bio-Sourcing d’emmener le premier biosimilaire développé à partir de sa plateforme BioMilk™ en essais cliniques d’ici 2027. Les 10 millions d’euros en equity – qui feront partie du prochain tour de financement de la société – contribueront à la mise en place de ces essais.

Le fait que Bio-Sourcing soit la seule société wallonne retenue cette année par l’Europe apporte une crédibilité et une notoriété pour le développement et le financement de sa recherche.

L’équipe Bio-Sourcing est fière de présenter les chevrettes nouvellement nées, futures productrices de l’anticorps monoclonal « Adalimumab » - © Bio-Sourcing
L’équipe Bio-Sourcing est fière de présenter les chevrettes nouvellement nées, futures productrices de l’anticorps monoclonal « Adalimumab » - © Bio-Sourcing

 

La plateforme BioMilk

« Notre plateforme BioMilk est une innovation majeure pour l’industrie biopharmaceutique », déclare le Dr Bertrand Mérot, fondateur et CEO de Bio-Sourcing. « La reconnaissance et le soutien financier de l’Accélérateur EIC soulignent le potentiel transformationnel de notre plateforme et son importance pour relever les défis mondiaux en santé. »

La plateforme BioMilk™ de Bio-Sourcing exploite la puissance de la biologie moléculaire et des bioréacteurs naturels pour ouvrir de nouvelles perspectives en matière de développement et de production de biothérapeutiques.

Il s’agit d’un changement de paradigme de bioproduction qui s’appuie sur ce que la nature a donné comme meilleur bioréacteur possible : la lactation, c’est-à-dire le pis d’une espèce laitière qui produit naturellement des protéines en grande quantité, telles que les caséines, dans un milieu liquide. La plateforme BioMilk exploite la capacité naturelle des chèvres à produire ces protéines majoritaires du lait, exprimées jusqu’à 15 ou 20 gr par litre, et qui permettent notamment la production de fromage de chèvre. Cette méthode est de l’ordre de cinq fois plus rentable que les approches traditionnelles et réduit considérablement l’empreinte carbone de la production.

Pour cela, l’équipe Bio-Sourcing a notamment collaboré avec Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de Chimie 2020 pour l’invention de la technique des ciseaux génétiques CRISPR-Cas9 en 2012. Cette technique est capable de faire exprimer en lieu et place d’une protéine naturelle du lait, telle que la caséine, la protéine humaine d’intérêt (anticorps monoclonal). Le processus s’appelle « genome editing » et utilise des outils moléculaires pour introduire des gènes humains d’anticorps (produit adalimumab) dans le génome de la chèvre, puis reconstituer un d’embryon.

Le laboratoire de biologie moléculaire de Bio-Sourcing prépare les cellules en réalisant la transfection du gène humain d’intérêt et passe le relais au laboratoire d’embryologie qui va, à partir des cellules modifiées, reconstituer un embryon et transférer ce dernier, porteur du gène humain, dans une mère porteuse, qui produira 6 mois plus tard un mâle ou une femelle en fonction de ce qui a été choisi comme cellule donneuse. Lorsque la jeune femelle fera une première lactation un an plus tard, le gène sera exprimé dans son lait. La version mâle est faite pour avoir des boucs porteurs du gène dans l’objectif de constituer une banque de sperme pour l’insémination classique d’élevage et assurer une descendance pouvant produire la protéine humaine.

Les petits sont élevés dans la ferme pharmaceutique dédiée, près du siège de Bio-Sourcing, constituant un environnement « exempt de pathogènes spécifiques » : contrôle de tous les intrants et sortants afin d’éviter la contamination externe des chèvres par infection virale ou infection bactérienne, condition sine qua non pour prouver aux agences du médicament que le lait est sain, ainsi que son processus d’extraction, de purification. La chèvrerie qui comprend actuellement une centaine de chèvres, s’assure que chaque animal soit bien soigné, choyé, et puisse gambader librement dans un grand espace.

Une chèvre produit environ 2 à 4 Litres de lait par jour pendant toute l’année et fournit environ 2 à 4 kg d’anticorps monoclonal humain purifié par an, ce qui est important.

Ainsi, pour fournir 500 kgs d’anticorps monoclonaux, une ferme de 100 à 200 chèvres suffit.

Par ailleurs, Bio-Sourcing a créé un laboratoire de purification et a recruté des experts dans ce domaine, tout en restant ouverte à des collaborations extérieures en matière de purification. La purification de l’anticorps monoclonal humain est effectuée avec des techniques classiques et peu coûteuses, issues de l’industrie laitière notamment, pour obtenir finalement l’API (active pharmaceutical ingredient) sous forme d’une solution purifiée concentrée. Celle-ci, une fois récupérée, des études d’efficacité, de pharmacocinétique et de pharmacodynamique sont effectuées, afin de constituer un dossier d’entrée en études cliniques pour le biosimilaire qui sera soumis à l’Agence européenne du médicament. Cette étape sera financée par les derniers financements obtenus.

Trois biosimilaires dont un avancé

La société Bio-Sourcing a défini un pipeline de 6 biosimilaires, dont 3 ayant déjà prouvé leur efficacité :

Le premier biosimilaire, le plus avancé, que la société va bientôt tester en clinique est l'Adalimumab (Humira, tombé dans le domaine public). Il s’agit à la base d’un traitement largement éprouvé destiné aux maladies auto-immunes. Il est le premier anticorps monoclonal en termes de chiffre d’affaires au niveau mondial (20 milliards d’euros), utilisé essentiellement dans les problèmes d’auto-immunité, notamment la polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis ou la maladie de Crohn. Cependant, en raison de son coût, son accès reste limité. Le biosimilaire de l'adalimumab par Bio-Sourcing, devrait générer des revenus importants, en versements initiaux et en redevances à long terme, qui seront réinvestis dans la R&D.

Le second biosimilaire, Trastuzumab (Herceptin), est un anticorps monoclonal humanisé anticancéreux, ayant une très grande efficacité contre le cancer du sein lié au récepteur (HER2). Le cancer du sein est un fléau, notamment en Afrique occidentale, et représente un marché d’environ 15 milliards d’euros, loin d’être satisfait.

Le troisième est le Golimumab, contre les maladies auto-immunes notamment la polyarthrite rhumatoïde, qui est tombé récemment dans le domaine public. En pleine croissance, il fait un chiffre d’affaires d’un peu plus de 7 milliards d’euros.

Le fait d’avoir choisi de faire des biosimilaires, basés sur des médicaments déjà existants, devrait permettre à Bio-Sourcing de faire arriver plus rapidement les produits sur le marché, en quatre à cinq ans, contrairement à 10 ans pour des molécules plus classiques.

Une fois le produit arrivé en phase clinique, la société compte licencier la molécule à des partenaires pharmaceutiques afin que ces derniers se chargent des études cliniques de phase 3, du marketing et de la mise sur le marché.

Vers l’Europe et les pays du Sud…

Un autre défi pour Bio-Sourcing est de diffuser la plateforme de bioproduction BioMilk™ dans une logique de transfert de technologie vers les pays du sud.

En parallèle de la demande d’autorisation d’entrer en études cliniques en Europe, l’entreprise va mener une politique de transfert vers les pays du sud qui devrait ainsi pouvoir faire un saut technologique en construisant des fermes pharmaceutiques pour l’élevage de chèvres. Il suffira à partir de la banque de semences de boucs d’envoyer dans ces pays des paillettes de sperme et d’inséminer des chèvres pour une production locale du lait. L’objectif est de former des techniciens, scientifiques et ingénieurs pour la mise en place des unités de purification, leur donnant accès à terme aux médicaments générés. L’aspect études cliniques, la mise en forme et la distribution pharmaceutique seront traités par des partenaires, avec des accords de licence.

Notez que depuis le 4 juin 2024, Bio-Sourcing et Afrigen Biologics, une biotech sud-africaine, ont signé un accord de partenariat pour développer en Afrique du Sud un programme pilote utilisant la plateforme BioMilk, dans l’objectif de rendre les médicaments essentiels (liste de l’OMS : notamment anticorps monoclonaux et insulines) contre le cancer, les maladies auto-immunes et métaboliques, plus abordables et plus accessibles. Ils sont aussi en discussion avec d’autres pays africains, des laboratoires indiens ou sud-américains ayant des réseaux de distribution dans ces pays.

« Notre collaboration avec Afrigen, un acteur reconnu et établi du secteur biopharmaceutique, représente une étape importante de notre déploiement dans le domaine de la santé humaine. Je suis impatient de voir notre première usine de production en activité et de permettre aux patients d'Afrique du Sud et d'autres pays africains d'accéder aux médicaments dont ils ont besoin », ajoute Bertrand Mérot.

Ultérieurement, l’équipe de Bio-Sourcing envisage une administration de ces produits par voie orale, car les intraveineuses et perfusions nécessitent des actes médicaux, des contenants stériles et une chaîne du froid, ce qui est plus compliqué en Afrique. Aussi, il est question de diffuser le produit soit sous la forme de dosettes de lait ultra-concentré, contenant le biosimilaire, ou bien sous la forme d’un gros comprimé ou encore d’un sachet à diluer comme cela existe pour certains antibiotiques, notamment pour les pays du sud.
Le projet européen AB-BIOBETTER, piloté par Bio-Sourcing avec Ciloa et Intract Pharma, vise à développer une nouvelle forme orale d'adalimumab pour le traitement des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin. Lancé fin mai 2024 pour une durée de 3 ans, ce programme de 3,4 millions d'euros financé par l'Union européenne, dont 1,9 millions d’euros de subventions EUREKA Eurostars, devrait permettre d’offrir aux patients des options thérapeutiques moins invasives, moins coûteuses et potentiellement plus efficaces.

Organisation et avenir

Actuellement, l’équipe Bio-Sourcing se compose d’une vingtaine de chercheurs de différentes spécialités, allant de la biologie moléculaire à l’embryologie, en passant par l’analytique et les techniques de purification. Ils viennent du monde entier (France, Brésil, Chili, Cuba, Russie, Colombie, Chine…). Le comité de direction se compose de 5 cadres de direction issus de l’industrie pharmaceutique. Avec l’EIC, ils vont changer d’échelle et doubler l’équipe dans les deux ans à venir.
Par ailleurs, ils ont des projets de création de filiales ou de joint-venture dans les pays du Sud.

La société Bio-Sourcing est basée sur le campus de l’université de Liège, accolée à l’Ecole vétérinaire de l’université avec laquelle elle a tissé des liens étroits. L’équipe dispose d’un laboratoire d’environ 500 m2, décomposé en plusieurs unités : laboratoire de biologie moléculaire, laboratoire de biologie cellulaire et embryologie, laboratoire de purification des protéines, laboratoire d’analyse et de contrôle. Par ailleurs, la ferme pharmaceutique est à quelques kilomètres de distance avec une équipe vétérinaire et de zootechnie dédiée.

Après les premiers succès, Bio-Sourcing se tourne vers l’avenir pour relever les challenges liés d’une part au temps (environ1,5 ans pour obtenir une première lactation d’une chèvre après sa naissance) et d’autre part au financement, d’où sa recherche active de partenaires. Le démarrage des fermes pharmaceutiques dans les pays du Sud pourrait se faire d’ici 3 ans. En accélérant la production de bio-similaires, Bio-Sourcing entend contribuer à la souveraineté de l’Europe en termes de bioproduction et fournir de nouveaux produits efficaces dans le monde.

Contact :
Bio-Sourcing
Liège – Belgique
info@bio-sourcing.eu
www.bio-sourcing.com

M. HASLÉ
© La Gazette du Laboratoire

 

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