2023-05-04
Sortir les hôpitaux publics du piège de l'intérim médical
La dernière pandémie a exposé et accentué le sous-effectif de nombreux services hospitaliers. La réduction du nombre de médecins hospitaliers des spécialités de première ligne (urgentistes, anesthésistes, obstétriciens, psychiatres) résulte de l'application de règlementations sur les horaires de travail, des normes d'encadrement et d'une forte tendance à souhaiter réduire le temps consacré à la vie professionnelle. Elle résulte aussi du fait que, dans certaines zones jugées peu attractives les postes budgétaires disponibles de médecin titulaire ne sont pas pourvus. Dans bien des hôpitaux, ce manque de médecins ne permet pas de répondre de façon optimale aux urgences sanitaires locales et menace la qualité des soins, voire leur pérennité.
Alors que l'intérim médical devait permettre de répondre à des difficultés ponctuelles, en cas de tensions temporaires en ressources humaines (arrêt inopiné pour maladie, afflux inattendu de malades), les directeurs d'hôpitaux en difficulté chronique se sont souvent estimés contraints de recourir à des médecins intérimaires, dont le nombre a augmenté de 70 % depuis 2019 (1). Le Conseil national de l'Ordre des médecins a rapporté que le nombre de médecins intérimaires a doublé entre 2013 et 2022, passant de 6 000 à 12 000 praticiens, attirés par l'autonomie de ce mode d'exercice leur offrant une totale maîtrise de leur temps de travail, le contrôle de leurs congés et surtout l'assurance d'un haut niveau de rémunération lié au tarif de journée d'intérim appliqué.
Pour tenter de maîtriser l'élévation de ces tarifs, qui pouvaient atteindre plus de 2500 euros par journée et coutaient 1,5 milliard d'euros par an à la collectivité (2), le ministère chargé de la santé avait fixé un montant maximal de rémunération des médecins intérimaires (3). Retardée par la pandémie, l'application de cet encadrement n'a été effective que le 3 avril 2023, lors de la mise en application de l'article 33 de la Loi du 26 avril 2021 (4). Le montant, pour une garde de 24 heures, est aujourd'hui plafonné à 1 390 euros brut avec prise en charge des frais de déplacement.
Cet encadrement a étonnement suscité l'opposition du syndicat représentant les médecins intérimaires qui a préconisé des arrêts de travail susceptibles d'entrainer la fermeture de certains services, notamment d'accueil des urgences. Il a conduit le Conseil national de l'Ordre des médecins à leur demander de respecter « le tact et la mesure dans les rémunérations sollicitées auprès des établissements de santé » et il estime que leurs pressions n'ont « déontologiquement plus lieu d'être ». (5).
A l'occasion des difficultés rencontrées par les hôpitaux en charge du service public, les obligeant à recourir aux médecins intérimaires, et des dérives observées, l'Académie nationale de Médecine :
- Invite à ce que l'organisation des soins hospitaliers, en particulier d'urgence, permette, à la fois, que les hôpitaux en charge de la permanence des soins répondent aux besoins de la population et soient attractifs pour les médecins titulaires, y compris en termes de rémunération ;
- Soutient que le recours aux médecins intérimaires fragilise, à terme, l'hôpital et souhaite que les ARS planifient à moyen et à long terme l'organisation des soins de première ligne en privilégiant les regroupements de services pour limiter les remplacements ponctuels.
- Le soin hospitalier doit en priorité s'appuyer sur une équipe médicale constituée et appelle fermement à ce que la qualité des soins reste au centre des préoccupations des médecins, quel que soit leur statut. Ainsi, elle estime que les contrats proposés aux médecins intérimaires doivent imposer à ceux-ci de préparer et d'exercer leur période de travail dans un service, de telle manière à ce qu'ils participent à la vie et aux démarches d'organisation de l'établissement, pour garantir la qualité et la continuité des soins aux patients.