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2023-05-17 
Casser l’alliance qui conduit à des cancers du sang… et éviter certaines thromboses

•    Depuis 20 ans, l’équipe du Pr Stefan Constantinescu (Institut de Duve de l’UCLouvain) tente d’établir les bases moléculaires de certains cancers du sang (néoplasmes myéloprolifératifs) avec plusieurs découvertes à la clé.
•    Aujourd’hui, Nicolas Papadopoulos a découvert le mécanisme et le lieu précis de liaison de deux protéines responsables du développement de la maladie, ouvrant la voie à un possible traitement qui casserait ce mécanisme.
•    Cette découverte a été possible grâce à une collaboration avec le Dr Violaine Havelange des Cliniques Saint-Luc
•    C’est d’autant plus important que l’on sait que la majorité des thromboses veineuses abdominales sont dues à un néoplasme myéloprolifératif sous-jacent et que cette maladie s’associe avec d’autres thromboses, parfois chez des sujets jeunes.

INFOS : https://www.nature.com/articles/s41467-023-37277-3
https://doi.org/10.1182/blood.2022016846

Les néoplasmes myéloprolifératifs ? Ces cancers du sang touchent environ 1 personne sur
1 500, soit plus de 7 000 en Belgique et 300 000 dans l’Union européenne. C’est peu ? Pas vraiment quand on sait que la majorité des thromboses abdominales sont dues à un néoplasme myéloprolifératif sous-jacent, parfois chez des sujets jeunes.
 
Depuis les années 2000, une équipe de l’Institut de Duve de l’UCLouvain  et du Ludwig Institute for Cancer Research joue un rôle prépondérant pour découvrir les causes de ces maladies. Aujourd’hui, elle vient de mettre au jour un mécanisme très précis qui pourrait mener à la mise au point d’un traitement beaucoup plus ciblé que les médicaments actuellement en cours de développement. Cette dernière découverte est publiée dans Nature Communications.
 
EN RÉSUMÉ
 
Résumons en quelques lignes plus de 20 ans de recherche (en détail ci-dessous). L’équipe du Pr Constantinescu a, dans les années 2000, découvert comment deux protéines jouent un rôle crucial dans l’apparition des néoplasmes myéloprolifératifs : JAK2 et TpoR.
-    JAK2 est un interrupteur qui permet d’enclencher le développement de cellules sanguines tandis que TpoR est la serrure qui permet de déclencher l’interrupteur.
-    En temps normal, la serrure est fermée et seule une clé particulière, la thrombopoïétine, permet d’actionner l’interrupteur en cas de besoin.
Les scientifiques de l’Institut de Duve ont ensuite fait plusieurs pas de géant à propos d’une 4e protéine, la calréticuline : associée à TpoR, la calréticuline mutée fait sauter la serrure et assure une voie royale à la maladie avec le soutien protecteur d’une 5e protéine, le TFRC, qui l’empêche d’être dégradée.
 
Dernière prouesse scientifique, toute récente : la découverte du mécanisme et du lieu très précis où la calréticuline entre en liaison avec le récepteur TpoR et ainsi déverrouille la serrure. Cette découverte offre l’espoir de développer une molécule qui pourrait casser cette liaison diabolique et empêcher la clé (CALR) de déverrouiller la serrure (TpoR) alors qu’il n’existe actuellement pas de traitement spécifique contre les néoplasmes myéloprolifératifs et que, les traitements actuels qui visent à casser l’interrupteur (JAK) commun à plusieurs autres serrures provoquent de nombreux effets secondaires sans parvenir à guérir la maladie.
 
Ces découvertes sont d’autant plus importantes que l’on sait, depuis une dizaine d’années, que des thromboses abdominales peuvent s’expliquer par la présence de cette maladie.
 
EN DÉTAIL
 
C’est une histoire de longue haleine que raconte Stefan Constantinescu, professeur à l’Institut de Duve (UCLouvain) et au Ludwig Institute for Cancer Research et Nicolas Papadopoulos, doctorant au sein de la même équipe. Depuis 2000, l’équipe de recherche cartographie les bases moléculaires des néoplasmes myéloprolifératifs, un groupe de cancers du sang associés à des complications telles que des thromboses qui évoluent vers des leucémies et qui deviennent plus fréquents avec l’âge.
 
Depuis une dizaine d’années, en effet, un lien a été établi entre certaines thromboses et les néoplasmes myéloprolifératifs (un certain type de cancers du sang). On a constaté que la majorité des thromboses abdominales traitées par des gastroentérologues et des chirurgiens portaient une mutation dans la protéine JAK2 et que ces patients étaient atteints d’un néoplasme myéloprolifératif. Le Pr Constantinescu souligne que ces mutations sont acquises très tôt, parfois au cours de la vie embryonnaire et qu’elles restent latentes pendant 40 ou 50 ans avant d’être activées et de conduire à la maladie.
 
En 2005 et 2006, l’équipe de l’Institut de Duve participe à la découverte de deux mutations qui induisent une prolifération excessive des cellules qui produisent les composants du sang. La première concerne une famille de molécules de signalisation cellulaire (JAK), la seconde concerne la protéine TpoR (un récepteur à la thrombopoïétine, une hormone qui stimule la formation de plaquettes sanguines). Ces découvertes ont mis l’industrie pharmaceutique sur la piste du développement de traitements potentiels qui visent à bloquer la protéine JAK2. Malheureusement, la protéine JAK2 est commune à de nombreux récepteurs et son blocage provoque de sérieuses complications, sans permettre la guérison de la maladie.
 
En 2013, les chercheurs découvrent qu’une mutation dans une autre protéine, la calréticuline, est impliquée dans la majorité des néoplasmes myéloprolifératifs négatifs pour la mutation JAK2. L’équipe du Pr. Constantinescu découvre alors que la calréticuline mutée agit en se liant et activant le TpoR de manière incontrôlée.
 
Fin 2022 et en avril 2023, nouvelle avancée prometteuse :
-    dans un premier article publié dans la célèbre revue Blood, Christian Pecquet et Nicolas Papadopoulos collaborent avec les Cliniques universitaires Saint-Luc et Violaine Havelange et mettent en avant que la calréticuline mutée est présente dans le sang et active uniquement les cellules porteuses de la mutation. En outre, la protéine est stable dans le sang grâce à la présence d’une autre protéine, le TFRC, qui agit comme un bouclier contre les enzymes qui pourraient la dégrader.
-    La dernière publication (avril 2023), parue dans Nature Communications, apporte la réponse à une question qui intriguait les scientifiques : pourquoi la calréticuline mutée se lie-t-elle au récepteur à la thrombopoïétine et pas à d’autres protéines ? Grâce à la cartographie extrêmement précise qu’il a réussi à établir de la liaison entre la calréticuline mutée et le récepteur TpoR, Nicolas Papadopoulos a pu déterminer l’endroit exact où des petites molécules devraient se placer pour dissocier ou bloquer le complexe, donnant par la même occasion une image du récepteur pour la 1ère fois.


ET DEMAIN ?
 
En quoi ces découvertes successives changeront-elles la vie des patients atteints d’un néoplasme myéloprolifératif ? Il faut d’abord rappeler qu’il n’existe pas, actuellement, de médicament pour traiter cette maladie. L’industrie pharmaceutique tente de développer des anticorps qui pourraient se lier à la calréticuline mutée pour bloquer son action pathologique. Difficulté : comme elles sont présentes à la surface des cellules mais aussi dans le plasma, les doses d’anticorps nécessaires seraient importantes, avec le risque d’accroître les effets secondaires.
 
La découverte publiée dans Nature Communications ouvre une nouvelle piste plus précise et prometteuse : tenter de développer une molécule qui casserait la liaison entre la calréticuline mutée et le récepteur. On irait en quelque sorte droit au but en ciblant la région précise de liaison des deux protéines complices.

 


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