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2024-07-19 
Les seiches comme les humains peuvent créer de faux souvenirs

Caen, le 17 juillet 2024 - Une étude* menée par une équipe de chercheurs de l'université de Caen Normandie, publiée dans le journal iScience ce 17 juillet, dévoile un phénomène surprenant : la formation de faux souvenirs chez les seiches, jusqu'alors attribué uniquement aux vertébrés. Sous la direction de Christelle Jozet-Alves de l’université de Caen, l'équipe de recherche a soumis des seiches à une série de tests, visuels et olfactifs, conçus pour créer des faux souvenirs. Cette étude pourrait avoir des implications pour la recherche sur la mémoire humaine et de mieux comprendre le fonctionnement des mécanismes de mémoire complexes.
Les seiches, souvent étudiées pour leurs capacités cognitives impressionnantes, ont montré qu'elles peuvent reconstruire des souvenirs de manière similaire aux humains, incluant la possibilité de former des faux souvenirs. Ainsi, lorsqu’un être humain se remémore un événement, il reconstruit le souvenir à partir d’informations stockées séparément dans son cerveau. Si certaines de ces informations sont erronées ou mal assemblées, cela peut conduire à la formation de faux souvenirs. Les chercheurs de l’université de Caen ont démontré que les seiches possèdent un mécanisme de mémoire similaire.
 
« La formation de faux souvenirs n’est pas simplement le signe d’une erreur de mémoire. Cela démontre que les seiches, comme les humains, assemblent des souvenirs à partir de diverses informations, ce qui peut parfois créer des souvenirs inexacts. Ainsi, les seiches n'encodent pas les événements de manière linéaire, mais les reconstruisent en associant diverses caractéristiques présentes lors de l'événement original. Ces erreurs pourraient être les premiers indices de la présence de processus reconstructifs dans la mémoire des céphalopodes », explique Christelle Jozet-Alves, chercheuse au Laboratoire EthoS de l’université de Caen Normandie.
 
Qu’est-ce qu’un faux souvenir ?
Le souvenir se construit à partir de différentes informations mémorisées (par exemple : qui était présent, où cela se déroulait, comment on se sentait...). Ces informations sont encodées et stockées séparément dans le cerveau, puis ces fragments de souvenirs sont réassemblés lors de la récupération en mémoire de ce souvenir. Lorsqu’un élément non présent lors de l’évènement initial vient se glisser par erreur dans notre souvenir, nous formons ce que l’on appelle communément un faux souvenir.
 
L’étude
Les seiches – des mollusques céphalopodes – sont les seuls invertébrés chez qui on a démontré l’existence de la mémoire des souvenirs, appelée mémoire de type-épisodique. En effet, il est avéré que les seiches se souviennent de ce qu’elles ont rencontré, depuis combien de temps et où a eu lieu la rencontre. Toutefois, les processus mis en œuvre lors de la récupération de ces souvenirs étaient jusqu’alors inconnus.
 
Dans le cadre de l’étude réalisée par les chercheurs de l'université de Caen Normandie et l'Université de Cambridge, des seiches ont été initialement confrontées à différents tubes, l’un contenant des crevettes (leur nourriture préférée), l’autre contenant du crabe (une nourriture moins appréciée), et un troisième étant vide. Chaque tube se distinguait par un motif visuel spécifique. Suite à ce premier évènement, deux tubes ont été présentés à nouveau aux seiches, leur contenu étant caché : le premier possédant les motifs du tube crevettes, et le second les motifs du tube vide. Pour tromper les seiches et conduire à une confusion entre les deux évènements, les chercheurs ont ainsi utilisé les motifs visuels précédemment rencontrés, mais dans certaines conditions également des odeurs de crevettes. Suite à ces deux évènements possédant de nombreux points communs, les seiches devaient choisir entre un tube au motif « tube vide » et un tube au motif crabe sans en voir le contenu. En l’absence du second évènement trompeur, les seiches présentent de très bonnes préférences de mémoire et choisissent le tube présentant le motif associé au crabe, qui est un meilleur choix que choisir le tube avec le motif « tube vide »
Mais avec l’évènement trompeur, les chercheurs voulaient déterminer si les seiches allaient se souvenir de manière incorrecte du premier évènement (lorsque le contenu des tubes était visible) et si elles allaient penser qu'il y avait des crevettes dans le tube vide.
Leur expérience a montré qu’en l’absence d’odeur, la moitié des seiches ont choisi le tube vide, croyant à tort qu'il contenait des crevettes, et la seconde moitié des seiches a choisi le tube au motif crabe. Ainsi, toutes les seiches ne forment pas aussi aisément des faux souvenirs.
Une même sensibilité aux faux souvenirs est aussi observée chez les humains où celle-ci varie entre les individus et au sein des individus.
 
« Dans notre étude, nous avons montré que des seiches peuvent former de faux-souvenirs lorsqu’elles sont exposées successivement à deux évènements qui ont de nombreux points communs. Ainsi, une partie d’entre elles pense avoir vu des crevettes (leur nourriture préférée) dans un tube qui, pourtant, était précédemment vide. L’expérience montre qu’il ne s’agit pas d’un défaut de mémoire mais bien d’un faux-souvenir, car lorsque le second évènement n’est pas trompeur, elles ne commettent pas d’erreur. Nos résultats suggèrent que les seiches peuvent former des faux souvenirs visuels, mais pas des faux souvenirs olfactifs », explique Christelle Jozet-Alves, l'une des principales auteures de l'étude.
 
L’importance de la découverte
C’est la première fois qu'une telle capacité de formation de faux souvenirs est observée chez des invertébrés. Cette découverte est significative car elle indique que les seiches utilisent des processus de reconstruction de la mémoire comme ceux observés chez les humains, offrant ainsi un nouvel éclairage sur l'évolution des capacités cognitives complexes.
Cette recherche ouvre la voie à de nouvelles études sur les capacités cognitives des invertébrés et leur évolution. Comprendre comment les seiches forment et récupèrent leurs souvenirs peut offrir des perspectives sur les mécanismes fondamentaux de la mémoire chez les animaux et sur l'évolution de la cognition.
L’étude pourrait également avoir des implications pour la recherche sur la mémoire humaine. En comparant les processus cognitifs des invertébrés et des vertébrés, les scientifiques peuvent mieux comprendre les origines et le fonctionnement des mécanismes de mémoire complexes.
 
« A notre connaissance, c’est la première étude montrant qu’un invertébré peut former de faux-souvenirs, et que des mécanismes de reconstruction sont mis en jeu comme cela est le cas pour l’espèce humaine. Ces résultats permettent d’en apprendre plus sur l’évolution des capacités cognitives complexes. Il sera important par la suite de mieux comprendre pourquoi tous les individus ne sont pas aussi sensibles à la formation de faux souvenirs et si cela peut changer chez un individu en fonction de son âge, de son niveau d'attention à la tâche, ou même de son état émotionnel » considère Christelle Jozet-Alves.
*L'étude a été menée par Lisa Poncet, Pauline Billard, Nicola S. Clayton, Cécile Bellanger et Christelle Jozet-Alves de l'université de Caen Normandie, en collaboration avec l'Université de Rennes et l'Université de Cambridge.
 


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