Focus sur les avancées du Diagnostic prénatal – quelles évolutions en 2023 ?
L’histoire du diagnostic prénatal (DPN) en France trouve probablement une de ses racines en 1959 avec la description, par l’équipe du professeur Lejeune, de la trisomie 21, en attribuant cette maladie à la présence d’un chromosome 21 supplémentaire dans le caryotype de la personne concernée. Dans les années 1970, l’amniocentèse est mise au point, consistant à prélever, vers 16 semaines d’aménorrhée, une petite quantité du liquide amniotique entourant le fœtus pour effectuer des dosages biochimiques (alpha-fœto-protéine par exemple) et recueillir des cellules fœtales pour en effectuer le caryotype. Puis, la rapide diffusion de l’échographie dans les maternités, à peu près à la même période, va rendre les amniocentèses plus faciles, permettant l’échoguidage de l’aiguille pour le prélèvement de liquide amniotique. Dans les années 1980-1990, une technique de prélèvement de matériel fœtal en vue d’une analyse génétique, plus précoce (aux alentours de la onzième semaine), mais légèrement plus risquée, est mise au point : la biopsie de trophoblaste (prélèvement à l’aide d’une aiguille d’une petite partie du placenta). Alors que ce dernier prélèvement continue à être utilisé dans des indications particulières, du fait de sa nocivité potentielle, l’amniocentèse tend à concerner de plus en plus de femmes enceintes.
Le diagnostic prénatal ou DPN est un procédé médical permettant de déceler les anomalies ou les malformations d’un bébé au stade fœtal ou embryonnaire. Selon l’article L2131-1 du code de la santé en France, « le diagnostic prénatal s’entend des pratiques médicales, y compris l’échographie obstétricale et fœtale, ayant pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. ».
Echange avec 2 spécialistes :
Le Docteur Philippe Bouhanna, spécialisé en échographie fœtale, en diagnostic prénatal et en médecine fœtale. Responsable et Coordonnateur du Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal de l’Hôpital Américain de Paris, il réalise des échographies de références et des consultations spécialisées en diagnostic prénatal et médecine fœtale ainsi que des prélèvements fœtaux (amniocentèse, biopsie de trophoblaste). Il pratique également des consultations de diagnostic prénatal non invasif (DPNI). Il est également président de la commission d’échographie du Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF).
Le docteur François Jacquemard est gynécologue-obstétricien, ancien chef du pôle santé de la femme et de l'enfant à l'Hôpital Américain de Paris, professeur associé de gynécologie obstétrique de l'Université Paris-Centre, de Cornell University, et de Weill Medical College, New York, USA. Il est spécialisé en échographie gynécologique et obstétricale, en diagnostic prénatal et en médecine fœtale. Échographiste spécialiste du fœtus, il réalise également des échographies gynécologiques (fibromes, inductions d’ovulation, pathologies ovariennes). Il réalise des consultations spécialisées d'infectiologie fœtale (toxoplasmose, cytomégalovirus, parvovirus, varicelle), et de diagnostic prénatal (avis de référence), ainsi que des prélèvements fœtaux. (Amniocentèses, biopsies de trophoblaste). C’est également un ancien expert auprès de la cour d'appel de Paris et des cours d'appel administratives de Paris et de Versailles.
Philippe BOUHANNA - copyright de l’Hôpital Américain de Paris |
francois JACQUEMARD - copyright de l’Hôpital Américain de Paris |
Quel est le parcours des patientes ? Quelles sont les fonctions et avancées du Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal ? Quelles sont les infections les plus importantes jusqu’à présent chez la femme enceinte ?
Docteur Philippe Bouhanna explique « Classiquement, une patiente qui est enceinte va avoir dans un premier temps une échographie de dépistage. Cette échographie de première intention est proposé́e dans le cadre du suivi obstétrical et doit répondre à un cahier des charges national avec des items à respecter. Une analyse anatomique est réalisée sur le fœtus. Quand survient une difficulté d’analyse ou lorsqu’une pathologie est suspectée, la patiente est orientée vers un échographiste référent. Et si jamais il y a des doutes persistants, ou des anomalies constatées, alors les échographistes le font remonter à des centres experts qu'on appelle des Centres Pluridisciplinaires de Diagnostic Prénatal (CPDP). Il faut imaginer que ce service arrive en 2ème ligne et ce n’est qu’à ce moment que le diagnostic débute réellement. Dans un premier temps, une fois que la patiente est admise dans le service CPDP, elle va bénéficier de l’expertise d’un spécialiste en médecine fœtale en effectuant une échographie de référence ou de diagnostic. Cet expert fera une analyse beaucoup plus fine et vérifiera les questions soulevées par l’examen de dépistage. Dès que le diagnostic est posé, c’est à ce moment-là que des bilans seront proposés : des tests ADN (par prise de sang), éventuellement une amniocentèse, une biopsie de trophoblaste (bilans invasifs). L’objectif est d’essayer ici de répondre aux questions initiales soulevées lors de l’échographie de dépistage. »
Dr. François JACQUEMARD précise « Il y a une trentaine d’années, la toxoplasmose représentait un problème avec une forte prévalence auprès de la population française. Cette prévalence est essentiellement liée au mode de transmission de la toxoplasmose : des crudités mal lavées, de la viande contaminée par le parasite et insuffisamment cuite… Parallèlement à l'amélioration des régimes alimentaires, et grâce aux modifications des habitudes alimentaires, nous avons noté une diminution de la prévalence de la toxoplasmose. A ce stade, le cytomégalovirus (CMV) est actuellement responsable d'environ 1500 à 1600 enfants infectés en France par an. 10 à 15% d'entre eux ayant des séquelles non négligeables liées à l’infection. Il y a d'autres formes de contaminations à mentionner. Elles peuvent aussi toucher le fœtus pendant la grossesse, mais certaines sont plus rares : la varicelle, le virus PARVOVIRUS B 19, et de manière beaucoup plus anecdotique les épidémies de Zika il y a quelques années… Mais globalement, le problème principal de santé publique auquel on s'intéresse reste le cytomégalovirus. Environ 50 à 60% de la population des femmes en âge de procréer n'ont jamais rencontré le cytomégalovirus, et donc peuvent le contracter pendant la grossesse. Elles peuvent n'avoir aucun symptôme, voire le plus souvent, des symptômes peu spécifiques : un syndrome grippal, une fatigue un peu plus importante. Ce sont donc des symptômes qui peuvent passer inaperçus. Les conséquences peuvent être une contamination fœtale, dans 30 à 40% des cas. Ce qui est particulier avec le cytomégalovirus, (comme dans beaucoup de virus du groupe Herpès auquel il appartient), c'est que tous les fœtus infectés n'auront pas des infections sévères. En effet, entre 10 à 15% des enfants auront une infection sévère avec un risque de séquelles essentiellement sur le plan neurodéveloppemental -c’est à-dire cérébrales et auditives. Il y a environ 1% des femmes enceintes séronégatives qui font une infection pendant leur grossesse. Si on ramène cela à la population des femmes enceintes, et même si la natalité a baissé, nous arrivons à un pourcentage de transmission materno-fœtale (en l'absence de tout traitement), de l’ordre de 30 à 40%. Ce sont donc 1500 - 1600 enfants infectés chaque année, dont 150 à 200 risqueront d'avoir des séquelles neurodéveloppementales, dont certaines seront très sévères, d'autres plus modérées, mais nécessitant quand même une prise en charge adaptée. C'est vraiment un problème qui dépasse en valeur absolue le problème de la toxoplasmose et auquel les médecins sont attentifs. »
Une fois le Diagnostic réalisé, qu’est ce qui peut être mis en place ? Quelles améliorations pour ce diagnostic prénatal en 2023 ?
Dr. Philippe BOUHANNA « Globalement, le gynécologue obstétricien qui suit sa patiente, ou la sage-femme, va recueillir le résultat de la sérologie CMV. Si c'est positif, en général, nous lançons alors toute l'expertise. Et c'est là que la patiente est orientée vers le CPDP, ou alors elle peut directement voir le médecin spécialisé en médecine fœtale.
On veille toujours à une amélioration des soins, et avec l’évolution constante de la technique d'imagerie échographique, en général, tous les 2-3 ans, nous allons avoir de nouveaux appareils dernière génération. Nous avons la chance à l'Hôpital Américain de Paris de toujours augmenter la qualité des appareils et incidemment nos techniques de soins. Ce qui nous a beaucoup intéressé, au-delà de la technicité, c'est de mettre en place des nouveaux procédés de checklist. Malheureusement, ces procédures ne sont pas assez utilisées en France, et même dans le monde en général.
Nous avons voulu nous calquer sur les processus de checklist mis en place, depuis quasiment une quarantaine d'années, dans l'aviation. Pour une patiente qui s'allonge sur la table d'examen et à qui nous réalisons une échographie, la sécurité réside dans la mise en place d’un système de checklist qui accompagne le médecin tout au long de l’examen, afin de ne pas oublier les différents items à analyser. Et nous avons voulu exactement reproduire les systèmes de check-lists utilisés dans l'aviation. J'ai naturellement commencé mon propos en évoquant l’évolution technologique de la qualité d’imagerie, car la majorité des gens pensent à cela en premier. Mais ce n’est pas tout. Même s’il est désormais possible de visualiser le fœtus en 3D ou 4D, le plus important à nos yeux est de développer, également, des voies alternatives d’imageries qui permettent de sécuriser, au mieux, nos examens échographiques.
Dr. François JACQUEMARD précise « Il y a toujours en infectiologie fœtale un certain nombre d'étapes. D'abord, il faut affirmer la réalité de l'infection maternelle par une prise de sang ou des analyses d’urine, afin de confirmer que l'infection maternelle est survenue à un moment où elle peut être transmise au fœtus. Ensuite, dater cette infection. Car les conséquences d'une transmission au fœtus ne seront pas les mêmes, selon la période de la grossesse. Globalement, le premier trimestre de la grossesse est le plus à risque de produire des anomalies neurodéveloppementales. Enfin, il y aura la mise en place d'une proposition de prise en charge. Elle passera de toute manière par un suivi échographique régulier, et puis également par éventuellement des prélèvements fœtaux. Depuis un peu plus d'un an, nous avons la possibilité d'essayer de prévenir l'infection materno-fœtale par l'administration de traitement antiviraux à forte dose, dès lors que la maman vient d'attraper l'infection. Cela permet de diminuer d'une manière importante le pourcentage de contamination. Si nous passons d’un pourcentage de contamination de 30 à 40%, à un pourcentage de contamination de 10%. Alors cela signifie que nous avons diminué de 70% environ le pourcentage de contamination. La principale conséquence pouvant être une surdité qui peut être unilatérale, bilatérale importante ou plus modérée, voire des retards mentaux dans les cas les plus graves. Donc, quand vous diminuez le pourcentage de contamination fœtale, vous diminuez toutes les potentialités évolutives qu’on observe. »
Le parcours de grossesse est parfois un parcours du combattant où l’on décrit aux femmes enceintes les nombreux risques : toxoplasmose, cytomégalovirus, trisomie 21, malformations, accouchement prématuré, hypertension, diabète etc… La politique de prévention et de prise en charge doit être maîtrisée afin d’être généralisée. Les technologies et l’émergence de nouvelles solutions telles que l’intelligence artificielle révolutionnent les approches du diagnostic ; le suivi et l’analyse des soins dans une optique de sécurité des patients doivent être primordiales. Les parcours de soin doivent être harmonisés et optimisés en s’appuyant sur les 49 centres pluridisciplinaires de Diagnostic prénatal en France.
Pour en savoir plus : Accueil | American Hospital of Paris (american-hospital.org)
E.BOUILLARD