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Plus de 40 ans après la découverte du VIH à l’Institut Pasteur, des patients inspirent de nouvelles voies de recherche…


Il y a quelques mois, l’Institut Pasteur célébrait les 40 ans de la découverte du virus responsable du SIDA et dressait un état des lieux des recherches, toujours en cours au sein de ses laboratoires. Certains patients, aux réactions immunitaires inattendues, sont au cœur même de nouveaux travaux…

« Contrôleurs naturels », « contrôleurs post-traitement » ou totalement guéris du VIH, ces personnes ont pour point commun d’être capables, d’une manière ou d’une autre, de faire face au virus sans traitement antirétroviral. Tous ont offert et offrent encore aux chercheurs des modèles uniques pour comprendre comment le système immunitaire arrive à faire barrage au VIH, à freiner sa progression ou à éviter que les réservoirs viraux ne se remettent en activité à la suite de l’arrêt du traitement. Une source d’inspiration irremplaçable pour améliorer les traitements de demain et qui permet aujourd’hui, après 40 ans d’observation et de recherches au sein de l’Institut Pasteur, d’amorcer de nouveaux essais cliniques prometteurs…

Une résistance à toute épreuve due à des mutations

« Mes premiers travaux à l’Institut Pasteur, il y a maintenant vingt ans, concernaient des personnes fréquemment exposées au VIH - des travailleurs.ses du sexe ou des usagers de drogues ayant des conduites à risques - mais qui n’étaient jamais contaminées », se souvient Asier SAEZ-CIRION, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur. « Cela nous a permis d’identifier certaines mutations qui rendaient les cellules immunitaires résistantes à l’infection. » En effet, certaines personnes sont naturellement résistantes au VIH grâce à des mutations, la plus connue d’entre elles étant la mutation delta-32, qui altère le corécepteur de surface CCR5 des lymphocytes CD4 ou des macrophages, et empêche le virus d’y pénétrer (mutation présente chez environ 1 % de la population - https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0198885917305104).

C’est également grâce à cette mutation que certaines personnes séronégatives ayant développé une leucémie ont pu « guérir du VIH » après avoir reçu une greffe de moelle osseuse. Et pour cause, les cellules du donneur de moelle qui sont venues remplacer celles du receveur étaient porteuses de la fameuse mutation CCR5 delta-32 ; elles ont donc permis au receveur de devenir résistant au virus. Aujourd’hui, on compte cinq patients greffés en rémission : le « patient de Berlin » (en rémission du VIH depuis plus de 10 ans au moment de son décès à la suite d’une rechute de sa leucémie), celui de Londres, celui de Düsseldorf, celui de New York et  et un autre qui n’a pas encore fait l’objet de publication.
Des exemples inspirants qui ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit là de cas très particuliers. Par ailleurs, comme précise Asier SAEZ-CIRION : « Ce sont des interventions lourdes, avec un risque important de mortalité, qui ne sont pas transposables aux 40 millions de personnes vivant avec le VIH ».

Des lymphocytes CD8 remarquables à l’assaut du VIH

C’est ainsi que l’équipe d’Asier SAEZ-CIRION s’est intéressée à un autre groupe de personnes : les « contrôleurs naturels ». Ces personnes - qui représentent moins de 0,5 % des personnes vivant avec le VIH [https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/imr.12076] - ne sont pas résistantes au virus mais, comme leur nom l’indique, sont capables de contrôler spontanément la réplication virale et de maintenir la charge virale à un niveau très bas, voire indétectable, en l’absence de trithérapie.

On sait aujourd’hui que chez ces individus, les lymphocytes CD4 sont un peu moins sensibles à l’infection par le VIH. Des travaux récents de Lisa CHAKRABARTI, de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur, suggèrent que, chez de rares « contrôleurs naturels », cette robustesse face à l’infection s’explique par des mutations qui diminuent l’expression de CCR5 au niveau de la membrane des cellules T CD4 et qui limitent l’entrée du VIH. Dans d’autres cas, c’est la grande sensibilité des cellules T CD4 des contrôleurs dans la détection des antigènes du VIH qui permet une réponse antivirale accrue. Ces cellules T CD4 très sensibles sécrètent une forte quantité de chimiokines, qui induisent une internalisation du récepteur CCR5, ce qui, là encore, rend les cellules moins infectables par le VIH [https://www.nature.com/articles/s41467-022-28130-0].

Parallèlement, les cellules lymphocytes CD8 semblent jouer un rôle central dans le contrôle du VIH en l’absence de traitement. « Grâce à nos travaux menés sur les cohortes CODEX et PRIMO, on sait désormais que les cellules CD8 des « contrôleurs naturels » ont une capacité accrue à reconnaître et à éliminer les cellules infectées, grâce à une mémoire et une activité cytotoxique bien meilleures que la moyenne », explique Asier. Après avoir identifié le profil moléculaire très spécifique de ces cellules, les scientifiques ont alors essayé de reprogrammer les cellules CD8 des non- contrôleurs pour qu’elles acquièrent les caractéristiques des cellules CD8 des contrôleurs.

Cette reprogrammation, réalisée in vitro avec succès en 2022, est aujourd’hui testée chez un modèle animal du sida. « L’objectif à terme est d’utiliser cette stratégie dans le cadre d’une thérapie cellulaire pour obtenir une rémission de l’infection par le VIH. Cela consisterait à isoler les cellules de personnes non-contrôleuses, les reprogrammer ex vivo puis les réinjecter, avant une éventuelle interruption du traitement », commente Asier SAEZ-CIRION. « Nous explorons aussi la possibilité de modifier directement ces cellules CD8 in vivo grâce à des immunothérapies ».

Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur
Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur
Copyright  : Institut Pasteur / François Gardy.

 

Le traitement précoce, clé de la rémission

D’autres pistes sont également explorées en parallèle, chez un dernier groupe de personnes : les « contrôleurs post- traitement ». Ces individus, regroupés au sein de la cohorte VISCONTI [https://journals.plos.org/plospathogens/article?id=10.1371/journal.ppat.1003211], arrivent à contrôler l’infection virale pendant des années, voire des décennies, après l’arrêt du traitement, atteignant un état de rémission durable de l’infection par le VIH.
Leur point commun ? Tous (ou presque) ont commencé leur traitement antirétroviral très tôt, dans les premières semaines qui ont suivi l’infection. Ainsi, la mise en place d’un traitement précoce pourrait favoriser ce contrôle du virus sur le long terme après l’arrêt du traitement. Une hypothèse à la base de récents travaux de chercheurs de l’Institut Pasteur, du CEA, de l’Inserm, d’Université Paris Cité et de l’Université Paris-Saclay, en collaboration avec l’Institut Cochin [Inserm – CNRS - Université Paris Cité] et avec le soutien de MSD Avenir et l’ANRS MIE, dont les résultats ont été publiés dans la revue Nature Communications, le 11 janvier dernier.

L’étude de la cohorte VISCONTI, composée de trente sujets dits « contrôleurs post-traitement », a apporté la preuve du concept d’un état de rémission possible et durable des personnes vivant avec le VIH. Ces personnes ont bénéficié d’un traitement précoce, maintenu pendant plusieurs années. Puis, à l’interruption de leur traitement antirétroviral, elles ont été capables de contrôler leur virémie pendant une période dépassant dans certains cas les 20 ans. L’équipe de l’étude VISCONTI avait suggéré à l’époque (en 2013) que commencer un traitement précocement pourrait favoriser ce contrôle du virus, mais cela restait à démontrer.

Dans cette nouvelle étude, les scientifiques ont utilisé un modèle primate d’infection par le SIV afin de pouvoir maîtriser tous les paramètres (sexe, âge, génétique, souche du virus...), susceptibles d’impacter le développement des réponses immunitaires et la progression vers la maladie. Notez que le SIV, virus d'immunodéficience simienne, touche exclusivement les primates non humains et récapitule chez l’animal les paramètres principaux de l’infection de l’humain par le VIH. Les chercheurs ont donc comparé les individus qui ont reçu deux ans de traitement, soit peu de temps après l’infection (en phase aiguë), soit plusieurs mois après l’infection (en phase chronique), soit qui n’ont pas été traités.
Les résultats, reproductibles, montrent que le traitement précoce mis en place dans les quatre semaines qui suivent l’infection (comme ce fut le cas pour la plupart des participants à l’étude VISCONTI) favorise très fortement le contrôle viral après interruption du traitement. On constate que cet effet protecteur est perdu si le traitement est démarré à peine cinq mois plus tard. « Nous montrons l’association entre le traitement précoce et le contrôle de l’infection après interruption du traitement et notre étude indique l’existence d’une fenêtre d’opportunité pour favoriser la rémission de l’infection par le VIH », commente Asier SAEZ-CIRION, co-auteur principal de l’étude.

Par ailleurs, les scientifiques montrent que le traitement précoce favorise la mise en place d’une réponse immune efficace contre le virus. Les cellules immunitaires T CD8 antivirales développées dans les premières semaines de l’infection ont certes un potentiel antiviral très limité, cependant, la mise en place d’un traitement précoce et prolongé favorise le développement des cellules T CD8 mémoire, qui ont une capacité antivirale plus importante et sont ainsi capables de contrôler efficacement le rebond viral qui apparait après interruption du traitement. « On constate que le traitement précoce maintenu pendant deux ans optimise le développement des cellules immunitaires. Elles acquièrent une mémoire efficace contre le virus, pour l’éliminer naturellement lors du rebond viral après arrêt du traitement » explique Asier SAEZ-CIRION.

Ces résultats confirment l’intérêt du dépistage précoce et de la prise en charge le plus tôt possible des personnes avec VIH. « Un début de traitement six mois après l’infection, délai qui montre une perte d’efficacité dans notre étude, est déjà considéré comme très court par rapport à ce qui se passe en clinique actuellement, où la plupart des personnes avec VIH démarrent leur traitement des années après l’infection à cause du dépistage trop tardif », constate Roger LE GRAND, directeur de l’infrastructure IDMIT et co-auteur principal de l’étude. « L’effet du traitement précoce sera double : au niveau individuel, car le traitement précoce empêche la diversification du virus au sein de l’organisme et préserve et optimise les réponses immunitaires contre le virus ; et au niveau collectif, car il évite la possibilité de transmettre le virus à d’autres personnes », ajoute Asier SAEZ-CIRION.

Enfin, ces résultats devraient guider le développement de nouvelles immunothérapies visant les cellules immunitaires impliquées dans la rémission de l’infection par le VIH.

Il s’agit des résultats princeps de l’étude p-VISCONTI démarrée en 2015, en collaboration avec les institutions citées plus haut, et qui a reçu un financement de MSD Avenir et le soutien de l’ANRS MIE dans le cadre du consortium RHIVIERA.

Pour en savoir plus : www.pasteur.fr


Source
Early antiretroviral therapy favors post-treatment SIV control associated with the expansion of enhanced memory CD8+ T-cells, Nature Communications, 11 Janvier 2024
Caroline Passaes1,2*, Delphine Desjardins3, Anaïs Chapel1,2, Valérie Monceaux1,2, Julien Lemaitre3, Adeline Melard4, Federico Perdomo-Celis2, Cyril Planchais5, Maël Gourvès1, Nastasia Dimant3, Annie David2, Nathalie Dereuddre-Bosquet3, Aurélie Barrail-Tran3,6, Hélène Gouget3, Céline Guillaume3, Francis Relouzat3, Olivier Lambotte3,7, Jeremie Guedj8, Michaela Müller-Trutwin2, Hugo Mouquet5, Christine Rouzioux9, Veronique Avettand-Fenoel4,10, Roger Le Grand3,#, Asier Sáez-Cirión1,2,#

1 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Viral Reservoirs and Immune Control Unit Paris, France.
2 Institut Pasteur, Université Paris Cité, HIV Inflammation and Persistence Unit, Paris, France.
3 Université Paris-Saclay, CEA, Inserm, UMR1184, Immunology of Viral, Auto-immune, Hematological and Bacterial diseases (IMVA-HB/IDMIT Department), Fontenay-aux-Roses/Le Kremlin-Bicêtre, France.
4 Université Paris Cité; Inserm, U1016 ; CNRS, UMR8104, Paris, France.
5 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Inserm U1222, Humoral Immunology Unit, Paris, France.
6 Université Paris-Saclay, AP-HP, Hôpital Bicêtre, Service de Pharmacie, Le Kremlin Bicêtre, France.
7 Université Paris-Saclay, AP-HP. Hôpital Bicêtre, Clinical Immunology Department, 94270, Le Kremlin Bicêtre, France.
8 Université Paris Cité, IAME, Inserm, F-75018 Paris, France.
9 Université Paris Cité/APHP Hôpital Necker - Enfants Malades, Paris France.
10 APHP Hôpital Cochin, Service de Virologie, Paris France.


S. D.

 

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