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La gazette DIAG & SANTÉ / PATHOLOGIES / Maladies rares

 

Médecin-chercheur : quand l’expérience d’une maladie rare permet d’avancer sur des maladies connues


L’équipe de recherche Médecine Translationnelle et Thérapies Ciblées, dirigée par le Pr Guillaume Canaud à l’institut Necker-Enfants Malades de l’Université Paris Cité, AP-HP (Assistance publique hôpitaux de Paris) et Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), reconnue pour avoir identifié l’alpelisib comme traitement potentiel du syndrome de Cloves, vient de mettre au jour une nouvelle application pour ce médicament sur une pathologie plus répandue : la glomérulonéphrite proliférative. Cette maladie rénale, pouvant conduire à une insuffisance rénale terminale, touche notamment certains patients atteints de lupus, une maladie auto-immune.

Estelle Bouillard, La Gazette Diag & Santé : « Bonjour, pouvez-vous vous présenter ? »

Pr Guillaume Canaud : « Je suis médecin néphrologue à l’hôpital Necker Enfants malades de l’AP-HP. Je suis également professeur de médecine. Depuis 2016, outre mon activité de médecin néphrologue, je me consacre aux patients atteints de syndromes malformatifs, c’est-à-dire qui présentent des mutations génétiques spécifiques dans certaines parties du corps, qui sont responsables de difformité. En général, il s’agit d’une mutation du gène PIK3CA, un gène impliqué dans la croissance et la prolifération des cellules. Ces mutations sont dites activatrices, avec pour conséquence des cellules qui se multiplient et travaillent trop. C’est le syndrome de Cloves ou syndrome de surcroissance dysharmonieuse. Je dirige actuellement une unité de recherche inserm composée de 20 personnes pour toute la recherche fondamentale. Ma double compétence est une véritable chance et richesse dans mon parcours. Avec mon équipe, nous explorons, pour chaque patient, ce qui se passe. Nous voulons avoir une vision globale des phénomènes impliqués, des anomalies détectées. Nous savons l’impact que ce travail a pour chacun des patients, et c’est un réel moteur dans notre quotidien ! »

Estelle : « Pouvez-vous nous expliquer les avancées réalisées avec votre équipe au laboratoire pour le syndrome de Cloves ? »

Pr Guillaume Canaud : « En 2018, nous avons publié un travail dans la revue Nature où nous avons identifié un traitement (alpelisib) qui était en cours de développement pour le cancer du sein comme étant prometteur pour le syndrome de CLOVES et les syndromes apparentés. Nous avions à l’époque crée un modèle préclinique de ces syndromes, testé l’alpelisib - inhibiteur pharmacologique de PI3KCA- dans ces modèles puis traités des patients avec une forme sévère de ces syndromes grâce à un protocole d’accès compassionnel disponible en France. Ces travaux ont ensuite été poursuivis et l’alpelisib a été approuvé en avril 2022 aux Etats-Unis pour traiter les patients atteints de syndrome de CLOVES et syndromes apparentés.

Le travail que nous venons de publier dans la revue Journal of Clinical Investigation fait suite à l’identification d’une mutation PIK3CA dans le rein d’un patient ayant un syndrome de CLOVES. Ce jeune patient avait développé en parallèle de ce syndrome une  insuffisance rénale sévère qui se présentait sous la forme d’une glomérulonéphrite proliférative. Les glomérulonéphrites prolifératives sont un groupe de pathologie rénale grave pouvant être secondaires à des maladies autoimmunes telles que le lupus . En cherchant les causes de cette glomérulonéphrite, nous avons mis en évidence dans certaines cellules rénales de ce patient la présence de la même mutation du gène PIK3CA que dans le syndrome de CLOVES. Pour mieux comprendre le lien entre PIK3CA et glomérulonéphrite nous avons, avec mon équipe de recherche, créé un modèle pré-clinique de souris porteuses de cette mutation PIK3CA dans certaines cellules du rein. Nous avons observé que ces souris développaient une glomérulonéphrite proliférative semblable à celle du patient et que celle-ci était améliorée par un traitement par alpelisib.

Ce résultat nous a poussé à poursuivre nos recherches. Nous nous sommes intéressés à d’autres formes de glomérulonéphrite proliférative comme celles secondaires au lupus et ne portant pas de mutation génétique de PIK3CA. Via des technologies de pointe comme la transcriptomique spatiale, le séquençage de cellule unique (single cell RNA seq) et de multiples modèles de souris génétiquement modifiées nous avons pu montrer que PIK3CA était excessivement activé dans certaines cellules rénales au cours des glomérulonéphrites prolifératives quelqu’un soit la cause et que son inhibition pharmacologique permettait d’améliorer la fonction rénale et les lésions de glomérulonéphrite proliférative dans ces modèles expérimentaux.
Cette découverte des mécanismes en jeu dans différentes formes d’une maladie rénale assez répandue, et l’utilisation potentielle d’inhibiteurs pharmacologiques de PIK3CA ouvrent la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques. »


Biopsie rénale montrant une glomérulonéphrite proliférative chez un patient ayant un lupus.
Immunofluorescence: Phospho-AKT (vert), Néphrine (rouge) et DAPI (bleu) ©Guillaume Canaud

Estelle : « Quels sont les impacts pour le patient ? »

Pr Guillaume Canaud : « Cela pourrait représenter une évolution dans la prise en charge de nos patients. En effet, compte tenu de la sévérité de ces maladies, les patients atteints de glomérulonéphrites prolifératives reçoivent la plupart du temps un traitement pour enrayer l’inflammation reposant sur  de la cortisone à forte dose couplée à des immunosuppresseurs très puissants.   Malheureusement, ces traitements ont une efficacité relativement modeste puisque, malgré leur utilisation, un certain nombre de patients évolue vers l’insuffisance rénale terminale nécessitant des dialyses ou une transplantation et que ces traitements s’accompagnent d’effets secondaires potentiellement graves.
Cette découverte du rôle clé de la voie PIK3CA dans ces maladies pourrait donc représenter une nouvelle opportunité thérapeutique pour ces patients. Bien entendu nos travaux devront être confirmés chez l’homme mais les perspectives sont encourageantes. »

Toutes ces découvertes issues du terrain & de la recherche fondamentale, ouvrent la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques. A suivre !

Référence de la publication : https://www.jci.org/articles/view/176402

E.BOUILLARD
©La Gazette Diag & Santé

 

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