La place de la santé mentale dans le sport
La pratique du sport de haut niveau demande une implication quasi totale, ce qui peut causer une multitude de problèmes. Si les problèmes physiques dus à un excès d’entraînement sont les plus fréquents, la santé mentale est aussi mise à l’épreuve. Dans le cadre des Jeux Olympiques, l’Académie nationale de médecine a organisé une conférence, mettant en lumière différentes particularités de la médecine du sport. Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical de l’Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance (INSEP, Paris) est venu nous en dire plus sur la santé mentale des sportifs.
Au fil des ans, le tabou sur la santé mentale des athlètes semble se lever. Simone Biles, Michael Phelps ou encore Camille Lacourt se sont tous exprimés à ce sujet, expliquant les difficultés rencontrées durant leur carrière professionnelle. Ces difficultés sont le plus souvent liées au projet sportif de l’athlète, mais peuvent aussi être dues à des problèmes dans son espace personnel et socio-professionnel. Tous ces éléments restent dans la tête du sportif tout au long de sa carrière, voire de sa vie entière, ce qui à la longue peut amener à des troubles psychologiques.
Des périodes à risques
Au cours de la carrière professionnelle d’un sportif, on estime qu’il existe deux moments dits “clés” au cours desquels la vie du sportif est bousculée et son mental mis à l’épreuve. Les médecins et les psychologues du sport se doivent d’être très attentifs pour éviter certaines complications et soutenir le sportif.
La période dite “Entrée en structure” (structure d’accueil et d’encadrement des sportifs de haut niveau) est souvent bouleversante pour un athlète, peu importe son âge. Le début des compétitions est un moment charnière. Tout semble s’accélérer, en particulier l’intensité et la fréquence des entraînements en vue du début des grandes compétitions. L’exigence envers soi-même et celle engendrée par l’entraîneur ajoutent une forte pression sur les sportifs. Au cours de cette période, il arrive aussi que la composition du groupe d’entraînement change : le sportif se retrouve avec des athlètes de son niveau, voire meilleurs, altérant ainsi sa confiance à l’origine de doutes.
La concurrence au sein de ces groupes d’entraînement fait rage, tout le monde est en compétition et rêve de se voir sélectionné. Il peut alors être difficile de nouer des contacts et de se faire une place dans un groupe où règne un climat de tension permanent. Les centres d’entraînement et les sites de compétition sont le plus souvent éloignés du milieu familial, ce qui impose beaucoup de déplacements. Il existe donc un réel manque de soutien et d’appui durant cette période. L’entraineur est souvent le sélectionneur, il est difficile de lui parler de ses problèmes par peur de passer pour quelqu’un de faible mentalement. Toutes les émotions fortes pouvant être ressenties durant cette période restent le plus souvent enfouies en soi, faute de personne à qui en parler.
La seconde période sensible c’est la fin de carrière. Cette période demande aussi une grande attention. L’arrêt du projet sportif se traduit par un rythme de vie qui change complètement. Les 4 à 6 heures d’entraînement par jour disparaissent. Il faut de plus savoir faire le deuil de sa carrière, savoir tourner la page et ne pas vivre dans le passé. S’il peut sembler difficile de passer de l’ombre à la lumière pour certains, il est tout aussi complexe d’emprunter le chemin inverse. Il faut alors se reconstruire soi-même, retrouver un nouveau projet personnel et professionnel.
On considère ces périodes clés dans l’éventualité où la carrière du sportif se passe sans embûche, ce qui arrive rarement. Au cours de la carrière, il existe bien sûr des hauts et des bas et le sportif est confronté à d’autres facteurs de stress qui peuvent amener à des troubles psychologiques, notamment les blessures.
Des éléments déclencheurs
Les blessures font partie de la vie de l’athlète. Redoutées de tous, elles peuvent engendrer un arrêt dans leur carrière et anéantir toute perspective dans le sport. La blessure entraîne généralement l’arrêt des compétitions et des entraînements et donc souvent l’écartement du groupe d’entraînement. Pour les athlètes touchés par une grosse blessure, celle-ci peut entraîner également des conséquences financières, comme des pertes de salaires ou de sponsors. Certaines blessures comme les commotions cérébrales, souvent sous-estimées, peuvent jouer un rôle dans les troubles psychologiques. Elles apportent notamment un risque dépressif dans 20% des cas et entraînent des rechutes fréquentes.
Autre possible facteur déclencheur de troubles psychologiques chez l’athlète : le surentraînement. Bien que la sensation de fatigue soit normale et fasse partie de leur quotidien, le temps de repos est indispensable pour garder les sportifs en bonne santé et les faire progresser. On suspecte le surentraînement à partir de plus de 5 à 7 jours d’entraînement à haute intensité induisant une grosse fatigue persistante depuis plus de 4 semaines. Cette fatigue n’est pas souvent prise au sérieux, ce qui entraîne un diagnostic faussé ou tardif. Le surentraînement a pour conséquence d’éloigner le sportif de sa pratique, entraînant un arrêt transitoire, voire définitif. Pour trouver des solutions, un questionnaire de surentraînement a été mis en place depuis 2016. Ce questionnaire, élaboré par la Société Française de Médecine de l'Exercice et du Sport (SFMES), comporte 54 questions et est obligatoire au sein de l’INSEP.
La non-sélection ou les contreperformances sportives font également partie des éléments à risque d’altération de la santé mentale. Par exemple, dans le cadre des qualifications aux Jeux Olympiques ou Paralympiques, la non-sélection après 4 ans d’entraînement acharné est généralement vécue comme un drame, tout s’arrête pour l’athlète. Ce redoutable choc a généralement un impact sur la santé mentale.
Enfin, la pression de l’entourage peut aussi amener à des troubles psychologiques. Tout sportif est entouré de personnes qui comptent sur lui comme l’entraineur, le manager, les sponsors et même la famille. Ce qui amène à une pression supplémentaire sur les épaules de la personne concernée et une charge émotionnelle importante. La pression familiale est souvent due au fait que le sportif veut performer pour rendre fiers ses proches, alors que ces mêmes proches ne sont là que pour le voir concourir.
Enfin, les réseaux sociaux médiatisent de plus en plus les sportifs– chacun peut poster un avis ou faire un commentaire de façon totalement anonyme. Même pour les plus jeunes, les réseaux font partie du quotidien. Le foot en est un bon exemple : après chaque contreperformance les réseaux s’enflamment et critiquent de manière plus ou moins blessante les sportifs. C’est pour eux une pression supplémentaire à gérer/supporter.
Les manifestations cliniques
Face à ces situations difficiles, chaque sportif réagit de manière différente sur le plan psychologique. Pour la plupart, les réactions ne sont pas différentes de celles qu’on connaît dans la vie de tous les jours. En 2019, le CIO (Comité International Olympique) a réalisé une analyse des connaissances scientifiques sur la prévalence et la forme des troubles mentaux chez les athlètes. La prévalence des troubles du sommeil varie de 49% à 64% , ce qui peut se traduire par de l’anxiété. La prévalence des troubles dépressifs est aussi très variable de 4% à 68% des athlètes.
Pour prévenir ces troubles mentaux, Sébastien Le Garrec insiste sur les signaux qui doivent alerter. On y retrouve par exemple :
• La fatigue anormale
• Les blessures à répétition
• Les troubles du sommeil
• Les variations du poids corporel
• Les pertes de motivation et de confiance en soi
• L'isolement
Ces éléments sont des signaux qu’il faut prendre en compte pour avoir une vision globale de la santé du sportif.
Sébastien LE GARREC - copyright Académie nationale de médecine
Malgré une prise de conscience ces dernières années, il reste certains points d’ombre
Certaines situations à risque d’altération de la santé mentale ont été peu étudiées. C’est le cas des troubles du comportement alimentaire (TCA), qui d’après le CIO, toucheraient moins de 19% des hommes, mais 6% à 45% des femmes sportives, prévalence très variable suivant les types de sports. Les disciplines à composante esthétique, la gymnastique notamment, discipline où faire attention à sa silhouette est important sont à risque de TCA. Les sports à catégorie de poids ainsi que les sports d’endurance sont aussi plus sujets à des TCA.
L'âge aurait aussi un impact sur la prévalence de ces troubles mentaux. Faire attention à la population mineure est primordial, car elle serait plus sensible et aurait moins de ressources pour demander de l’aide.
Comment éviter ces problèmes de santé mentale ?
Tout d’abord, la communication est indispensable. Que ce soit entre les différents professionnels de santé ou avec l’environnement sportif et familial, il faut savoir parler, s’exprimer, et trouver les interlocuteurs. Depuis 2016 un suivi psychologique annuel a été mis en place, intégré dans le programme de SMR (Surveillance Médicale Réglementaire). Cet accompagnement est obligatoire pour tous les athlètes, une fois par an.
Plus récemment en 2021, deux outils d’évaluation de la santé mentale dans le sport ont été créés par la commission médicale et scientifique du CIO, le SMHAT-1 et le SMHRT-1. Le premier sert aux professionnels de santé pour évaluer la santé mentale des sportifs, tandis que le deuxième aide les athlètes eux-mêmes à s’auto-évaluer et leur entourage proche à détecter les signes à risque d'altération de la santé mentale.
La prise en charge doit être à la fois individualisée et globale. Tout au long de sa carrière, l’athlète doit disposer d’un suivi par un médecin ou un psychologue. Il est essentiel que ce suivi soit fait par un professionnel, car s'il est nécessaire d’appliquer un traitement médicamenteux, il faut respecter les règlementations antidopage, ainsi que surveiller les performances de l’athlète pour s’assurer que le traitement n’a pas d’impact négatif. Les professionnels de santé se doivent (avec l’accord du concerné) de demander l’appui de l’entourage familial. Communiquer avec la famille est important pour mieux prendre en charge les sportifs.
Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel de prendre soin de la santé mentale des athlètes, et ce d’autant plus que ces sportifs sont exposés à la pression et au regard des autres. Malgré une vision encore négative de la consultation psychologique, on constate aujourd’hui une meilleure prise en compte de la santé mentale. Pour continuer dans cette voie, il est indispensable de continuer à informer les athlètes et l’encadrement des sportifs pour prévenir et mettre en place la prise en charge médicale et psychologique la mieux adaptée.
Pour en savoir plus : https://www.youtube.com/watch?v=_NOMYQE_5G8&list=LL&index=1&t=5s&ab_channel=Acad%C3%A9mienationaledem%C3%A9decine
Hugo Tavano
©La Gazette Diag & Santé