L’Institut national du cancer accélère la recherche sur les cancers de mauvais pronostic.
Mercredi 29 mai, l’Institut national du cancer a labellisé deux réseaux de recherche d’excellence, chacun financé à hauteur de 3 millions d’euros sur 5 ans. L’occasion pour eux d’espérer une amélioration du taux de survie dans les cancers de mauvais pronostic d’ici 2030.
En France, on estime à plus de 433 000 le nombre de nouveaux cas de cancer diagnostiqués en 2023. Si le taux de mortalité standardisé de tous les cancers a baissé entre 2010 et 2018, certains cancers dits « de mauvais pronostic » peinent à voir leur taux de mortalité diminuer, malgré les progrès réalisés dans les traitements. Ces cancers de mauvais pronostic regroupent ceux dont la survie à 5 ans est inférieure à 33 %. Parmi eux, on trouve les cancers du foie, de l’œsophage, de l’estomac, mais surtout le cancer du poumon et du pancréas.
Dans la majorité des cas, ce mauvais pronostic est la conséquence d’un dépistage tardif, d’une localisation difficile d’accès, d’une évolution rapide et agressive, d’une résistance aux thérapies ou d’un manque de solutions thérapeutiques spécifiques. Afin de résoudre ces obstacles et d’améliorer la survie des patients, l’Institut national du cancer investit dans le développement de la recherche. Grâce à la labellisation de ces deux premiers réseaux de recherche d’excellence, l’un dédié au cancer du poumon et le second au cancer du pancréas, l’institut espère « accélérer la découverte de connaissances scientifiques et aboutir à des innovations thérapeutiques ».
Pour les chercheurs en cancérologie, il est indispensable que les recherches soient structurées pour que chaque réseau collabore et mène ses projets avec plus d’efficacité. Avec la collaboration des meilleures équipes expertes, l’institut espère aboutir à des progrès significatifs dans l’innovation de nouvelles méthodes de dépistage ou de diagnostic précoce, mais aussi dans le développement de nouveaux traitements. Cette consolidation permettra aussi d’avoir une meilleure vision quant à la quantité de matériel nécessaire et disponible.
2 réseaux aux grandes ambitions
Le réseau COALA (CURE ONCOGENE-ADDICTED LUNG CANCER)
Coordonné par le Pr Julien MAZIÈRES, ce réseau a pour vocation d’améliorer radicalement le pronostic des cancers du poumon. Pilotées depuis le CHU de Toulouse, 15 institutions et 9 équipes réparties sur l’ensemble du territoire s’associeront dans l’objectif d’améliorer la survie des malades.
Le cancer du poumon est aujourd’hui la principale cause de décès lié à un cancer chez les hommes et les femmes. On estime que son taux de survie nette standardisée à 5 ans est de 20 % (52 777 cas pour 33 117 décès en 2018). Grâce à une progression dans la reconnaissance de ce cancer et la façon dont il se comporte dans le corps, ces dernières années, nous avons assisté à une avancée dans le traitement de la maladie, avec l’arrivée de l’immunothérapie et des thérapies ciblées. Cependant, ce cancer est celui dont le taux d’incidence a le plus augmenté chez les femmes entre 1990 et 2023 (+5 %). Ce bilan inquiétant fait du cancer du poumon une priorité.
Financé à hauteur de 7 millions d’euros (plus 3 millions par l’Institut national du cancer), le réseau COALA veut faire avancer la recherche dans le traitement du cancer du poumon grâce à la thérapie ciblée anticancéreuse. Cette thérapie consiste « à bloquer la croissance et/ou la propagation des cellules tumorales en s’attaquant spécifiquement à certaines de leurs anomalies. ». Ces thérapies sont pour beaucoup la meilleure réponse aux tumeurs - un médicament anticancéreux sur trois appartient à la classe des thérapies ciblées. Cette médecine appelée « médecine de précision » a pour objectif de proposer un traitement élaboré en fonction du patient. Elle ne remplace pas les traitements traditionnels mais vient les compléter. Elle nécessite en revanche beaucoup de recherche et de nombreuses études patients pour comprendre la maladie.
Certaines pistes d’amélioration
Aujourd’hui, grâce à l’avancée de la médecine et au séquençage moléculaire, les médecins arrivent à identifier les altérations spécifiques dans les gènes des tumeurs des patients. La majorité des patients présentent des altérations moléculaires potentiellement ciblables. Si les mutations EGFR, ALK, ROS1, BRAF semblent réagir favorablement à la thérapie ciblée (avec un taux de réponse et une survie sans progression de la maladie satisfaisants), cela n’est toujours pas suffisant pour garantir une guérison, en raison de l’apparition précoce et constante de mécanismes de résistance de la part du gène. Même résultat pour les altérations KRAS et MET où de nouvelles stratégies thérapeutiques sont étudiées, mais restent sans succès aujourd’hui. Les chercheurs sont plus que jamais motivés à suivre la piste de la thérapie ciblée, aujourd’hui COALA estime que « près de la moitié des patients atteints d’un cancer du poumon présentent des altérations génétiques qui peuvent être ciblées. ».
Avec l’appui du réseau de 15 institutions mis en place, COALA espère améliorer le pronostic du cancer du poumon en abordant plusieurs problématiques :
1. Réussir à casser la résistance moléculaire aux thérapies ciblées, même aux altérations les plus coriaces.
2. Explorer le rôle de l'environnement immunitaire et non immunitaire pour optimiser les traitements.
3. Étendre les découvertes au stade précoce, afin d’améliorer la guérison du cancer du poumon.
4. Développer de nouveaux outils inédits créés spécialement pour valider leurs hypothèses de recherche.
5. Prendre en compte les aspects sociologiques des patients pour garantir l’accès à l’innovation pour tous.
6. Organiser les données cliniques et biologiques pour les mettre à disposition de tous.
7. Créer un consortium qui regroupe patients, partenaires académiques et industriels.
8. Partager les connaissances pour rallier plus de chercheurs à une même cause et faire avancer la recherche en France.
La labellisation du réseau COALA permettra de regrouper les meilleures équipes de recherche pour réfléchir et surmonter les défis.
Réseau FRAP (FRENCH RESEARCH NETWORK AGAINST PANCREATIC CANCER)
Le cancer du pancréas est l’un des cancers où le taux de survie nette standardisée à 5 ans est le plus faible. On estime que pour 14 184 cas en 2018, 8 184 patients en sont décédés. Plus que jamais, il faut trouver le moyen de faire baisser cette forte mortalité.
Coordonnées par le Pr. Jérôme Cros à l’AP-HP hôpital Beaujon, les recherches s’axeront principalement sur le PDAC (adénocarcinome canalaire pancréatique), qui est la forme de cancer la plus fréquente et la plus dévastatrice (le taux de survie à 5 ans reste inférieur à 10 %).
La mauvaise survie du PDAC s’explique le plus souvent par une détection tardive ou une dégradation rapide du patient (amaigrissement et fatigue), qui empêche la chirurgie ou la chimiothérapie à forte dose. Depuis 10 ans, les cliniciens ont démontré que le traitement le plus fort, et le plus toxique, était celui qui fonctionne le mieux, ce qui ne peut pas convenir aux patients les plus affaiblis ou les plus âgés, même avec l’utilisation de ®Gemcitabine.
La France, actuel leader dans la recherche sur le cancer du pancréas, a réalisé ces dernières années, grâce à des équipes d’excellence, des avancées significatives dans la mise en œuvre de traitements appropriés spécifiques aux patients. Grâce à un essai clinique sur plus de 200 patients, chaque modèle a été challengé avec des traitements. Ensuite, ces derniers ont donné des résultats, certaines cellules étaient sensibles, d’autres beaucoup moins. Grâce à l’organisation d’un chimiogramme incluant les PDI et les cellules de tous les modèles, les chercheurs ont alors identifié des composants. Chaque modèle a apporté des marqueurs qui ont été combinés, ce qui a donné une signature capable de prédire la sensibilité du patient au traitement, le tout optimisé par l’utilisation de l’intelligence artificielle. Cette découverte a notamment remporté le prix Unicancer de la recherche et de l’innovation en 2023 et a été présentée à Chicago dans le cadre de l’ASCO 2024. Grâce à un traitement plus adapté, l’amélioration de la survie des patients est sur la bonne voie.
Pour Pr Jérôme Cros, « Le réseau FRAP va favoriser l’interaction entre les équipes pour mener à bien des projets risqués et ambitieux, afin de mieux comprendre et traiter cette maladie. FRAP permettra aussi, en coordination avec les équipes cliniques et les associations de patients, de mieux faire connaître les enjeux spécifiques de ce cancer, de replacer les patients et leurs attentes au cœur des projets de recherche et de diffuser rapidement les connaissances ».
FRAP mettra en relation 15 équipes de recherche. Il est crucial que ces équipes collaborent en particulier pour les ressources biologiques et bio-informatiques, dispersées dans toute la France, ce qui ralentit une avancée rapide et empêche l’étude d’échantillons humains et le transfert efficace des résultats vers la clinique.
Grâce à cette collaboration, le réseau FRAP espère surmonter les grands défis du cancer du pancréas avec 3 programmes de recherche intégrés (IRP) :
1. IRP 1 : Structuration des ressources biologiques françaises en lien avec le PDAC
Création d’un hub biobanque pour enregistrer et mettre en commun les recherches. Facile d’accès, la plateforme collectera toutes les données bio-informatiques publiques et complexes.
2. IRP 2 : La science fondamentale guidée par des questions cliniques
Recherche à multi-échelle du PDAC avec une meilleure compréhension de l’exposome pour améliorer la sélection des patients dans les programmes de surveillance. Suivi d’une série de tests pour mieux comprendre les mécanismes de résistance des cellules. Enfin, une étude sera faite pour observer et analyser l’impact du PDAC sur l’affaiblissement du patient, afin de concevoir des traitements plus adaptés.
3. IRP 3 : Intégration de la recherche dans les essais cliniques
Ici, le réseau souhaite développer des biomarqueurs prédictifs et de nouvelles thérapies adaptées, grâce aux résultats obtenus dans le programme de recherche intégré numéro 2.
Grâce aux récentes découvertes et innovations, le réseau FRAP est plus que jamais sur la bonne voie pour améliorer la survie des patients face au cancer du pancréas. L’unification des équipes de recherche a pour but d’accélérer la recherche et l’innovation, tout en plaçant le patient au cœur de la recherche pour répondre à des besoins personnalisés.
Le financement de ces réseaux par l’Institut national du cancer est le point de départ et de ralliement pour combattre les cancers de mauvais pronostic tel que celui du poumon et du pancréas. Grâce à cette labellisation, des projets ambitieux vont voir le jour afin de mieux comprendre ces maladies et les traiter bien plus efficacement à l’avenir.
Hugo Tavano
©La Gazette Diag & Santé