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La gazette DIAG & SANTÉ / PATHOLOGIES / Endocrinologie

 

Zoom sur les perturbateurs endocriniens : Les nouveaux défis de la recherche !


L’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail) et l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) ont organisé une journée de restitution des résultats de projets de recherche financés par les deux institutions. Un focus qui porte plus spécifiquement sur les avancées scientifiques réalisées en matière d’exposition à ces substances, à leurs effets sur la santé humaine et à leurs mécanismes d’action.

Les maladies chroniques, aussi appelées maladies non transmissibles (MNT), sont à l’origine de 41 millions de décès chaque année, soit 74 % de l’ensemble des décès dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (source OMS, Maladies non transmissibles, principaux faits, 16 septembre 2023).

Au premier rang de ces maladies de longue durée, figurent les maladies cardiovasculaires, suivies par les cancers, les maladies respiratoires chroniques et les maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité. À l’échelle mondiale, le nombre de cas d’obésité a presque triplé depuis 1975 au point d’évoquer une « épidémie ». De même, la prévalence du diabète de type 2 a beaucoup augmenté passant de 4,7 % en 1980 à 8,8 % en 2017. Ce qui représente 64 millions de personnes en Europe, dont 3,3 millions en France.

Parmi les facteurs de risque qui contribuent au développement de ces maladies, « une mauvaise alimentation et un manque d’activité physique peuvent se traduire par une hypertension artérielle, une hyperglycémie, une élévation des lipides dans le sang et l’obésité » (Source https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/noncommunicable-diseases#cms ).

Selon Francesca Romana Mancini, Chargée de recherche à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale « bien que des actions de prévention aient été mises en place (ex. vigilance, hygiène de vie, diététique), elles ne suffisent pas à inverser la tendance » (Source : Francesca Romana Mancini, L’exposition alimentaire aux polluants organiques persistants). D’où la nécessité de s’interroger sur d’autres déterminants comme d’éventuels facteurs de risques environnementaux.

L’ANSES et l’ANR attirent l’attention sur la pollution chimique et ses effets potentiels de perturbation endocrinienne.

 

Les perturbateurs endocriniens, qu’est-ce que c’est ?

La définition de l’OMS : « Un perturbateur endocrinien (PE) est une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et, de ce fait, induit des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou de (sous)populations ».

D’origine naturelle ou synthétique, les perturbateurs endocriniens sont présents dans notre environnement quotidien. Ces substances ou composés chimiques peuvent être des polluants organiques persistants (comme les composés perfluorés, les retardateurs de flamme bromés, les solvants, etc.), des pesticides, des plastifiants, des cosmétiques, des médicaments et des produits pharmaceutiques. La question de leurs effets et de leur possible rôle dans la recrudescence de certaines maladies non transmissibles (MNT) inquiète vivement scientifiques et pouvoirs publics, en particulier l’exposition précoce, voire prénatale, qui pourrait être impliquée dans l’augmentation de ces maladies. C’est le concept des origines développementales de la santé et des maladies ou DOHaD (De l'anglais, "Developmental origin of health and adult diseases"), concept émis par l’épidémiologiste anglais David Barker : l’hypothèse selon laquelle une exposition durant la période de développement du fœtus et du jeune enfant (même à faibles doses et à des degrés variables) rendrait les individus adultes potentiellement plus sensibles au développement de certaines maladies..

Comme l’explique Annabelle Bédard, Chercheuse contractuelle en épidémiologie respiratoire intégrative – Spécialités : épidémiologie nutritionnelle, nutrition de l’adulte de la femme enceinte et de l’enfant, maladies chroniques non transmissibles - par exemple, l’exposition précoce aux PE via l’alimentation « pourrait avoir un impact délétère sur la santé respiratoire des enfants » (Source : Annabelle Bédard, L’alimentation source d’exposition précoce aux perturbateurs endocriniens.).

 

La biosurveillance environnementale

Selim Ait-Aissa, chercheur à l’INERIS s’interroge : « Comment identifier les substances émergentes à surveiller dans les milieux aquatiques ? Comment prioriser celles qui présentent le plus de risques, notamment celles qui ont des activités de perturbation endocrinienne ? Comment les surveiller efficacement ? » (Source : Selim Ait-Aissa, La biosurveillance des milieux aquatiques). Il propose de combiner des essais biologiques et des analyses chimiques pour mettre en œuvre « une stratégie bio-analytique innovante » d’identification des PE dans les milieux aquatiques. Bien qu’interdites d’utilisation, certaines molécules se retrouvent aujourd’hui encore dans l’environnement. Beaucoup, comme les néonicotinoïdes, par exemple, se dégradent lentement dans les milieux, de sorte que les humains, explique Fatima Smagulova, chercheuse à l’INSERM « sont exposés à ces substances à chaque fois qu’ils consomment des légumes ou des fruits. » (Fatima Smagulova, Les effets transgénérationnels des néonicotinoïdes.)

La compréhension des effets des PE demande ainsi d’adopter une vision intégrative en plaçant l’homme dans son environnement (exposome) et de comprendre les interactions entre substances chimiques au sein de l’organisme humain sur le long terme, dès la période du développement fœto-embryonnaire.

 

Les pathologies associées aux PE 

Parmi les pathologies associées aux PE, beaucoup comme les maladies métaboliques (obésité, diabète), les cancers hormono-dépendants et les troubles de la reproduction sont d’origine multifactorielle (autres facteurs de risques : génétique, mode de vie…). Il est donc particulièrement difficile d’établir les liens de cause à effet avec un niveau de preuve suffisant. Les modèles classiques de toxicologie ne couvrent pas tous les effets possibles et ne sont pas totalement adaptés à l’identification des perturbateurs endocriniens. Ces particularités expliquent le besoin d’effort de recherche constant.

 

Zoom sur un projet de recherche 

Une étude de l’exposition chronique à de faibles doses de pesticides via l’alimentation a été menée par Safia COSTES, de l’Institut de Génomique Fonctionnelle, Inserm U1191 de Montpellier, en partenariat avec Thierry Baron, Anses, Lyon et Laurence Payrastre, Inrae, UMR 1331 Toxalim, Toulouse. « Impact d’une exposition chronique à un mélange de faibles doses de pesticides sur l’apparition de la maladie de Parkinson et du diabète de type 2 dans des modèles murins transgéniques, et étude des liens entre ces deux pathologies ».

Selon l’OMS, le handicap et la mortalité liés à la maladie de Parkinson (MP) augmentent rapidement dans le monde. À l’échelle nationale, environ 175 000 personnes étaient traitées pour cette maladie en 2020, soit une prévalence de 2,3 pour 1 000 habitants (source : Données Santé Publique France mise à jour 12 avril 2023).

 

La maladie de Parkinson

La maladie de Parkinson est une maladie neurodénégérative associée à la perte progressive de neurones dopaminergiques du mésencéphale109 et l’agrégation de la protéine alpha-synucléine. Ces protéines anormalement repliées tendent à se propager dans tout le système nerveux central (SNC). Selon l’hypothèse de l’anatomo-pathologiste allemand Heiko Braak et de ses collègues, l’alpha-synucléine agrégée se déposerait d’abord dans le système nerveux entérique (Système nerveux autonome qui contrôle le système digestif.), associée à un pathogène neurotrope, avant de progresser vers le SNC. Dans ce sens, l’exposition alimentaire à des substances chimiques neurotoxiques pourrait représenter un tel agent pathogène.

Parmi les facteurs de risque environnementaux de la maladie, figure l’exposition professionnelle à des pesticides de telle sorte que la maladie de Parkinson a été inscrite au tableau des maladies professionnelles en régime agricole en France en 2012. Cependant, les facteurs de risque de la maladie en population générale sont encore moins bien connus. D’où la nécessité d’évaluer l’exposition chronique à de faibles doses de pesticides via l’alimentation (présence de résidus de pesticides) d’autant plus que de récentes études démontrent un lien entre la toxicité des pesticides et l’autophagie observée dans différents tissus et organes. (Source : Mécanisme d’élimination des protéines mal formées, des protéines amyloïdogéniques (comme l’alpha-synucléine) et des éléments cellulaires endommagés.).

 

Le lien avec le diabète de type 2 ?

De récentes données épidémiologiques rapportent un risque accru de développer la maladie de Parkinson chez des patients atteints de diabète de type 2 (DT2), suggérant une prédisposition génétique et/ou l’existence de mécanismes communs à ces deux pathologies.
Des questions similaires portent aussi sur les liens entre la maladie d’Alzheimer et le DT2, incluant l’hypothèse de facteurs de risques communs, parmi lesquels l’exposition aux pesticides.
En ce qui concerne le DT2, il est important de noter que les cellules bêta pancréatiques sont les seules cellules de l’organisme capables de synthétiser et sécréter l’insuline. Or, au niveau moléculaire, l’alpha-synucléine (dont le rôle est central dans le développement de la MP) est aussi exprimée par les cellules bêta pancréatiques et pourrait jouer un rôle délétère sur la sécrétion d’insuline et la survie des cellules.

L’agrégation d’alpha-synucléine dans les cellules beta de patients atteints de synucléinopathie ou de DT2 renforcent l’intérêt d’élucider les mécanismes liant ces deux pathologies.

 

Le projet de recherche : DEEP

Le projet envisage l’évaluation de l’exposition alimentaire à un mélange de six pesticides (Bien que l’utilisation de certains de ces pesticides soit désormais restreinte, leur utilisation est effective depuis le début des années 2000 et leur présence est toujours détectable dans l’alimentation) - captane fongicide, boscalide fongicide SDHI ,chlorpyrifos Insecticide et acaricide, thiachlopride Insecticide organochloré de la classe des néonicotinoides, thiophanate fongicide et zirame fongicide - à des doses supposées ne pas exercer individuellement d’effets sur la santé (doses journalières admissibles) chez l’homme, mais rapportées pour induire en mélange un effet obésogène/diabétogène chez la souris conventionnelle (C57Bl/6J) mâle.
Étant donné l’importance de l’autophagie dans l’intégrité des neurones et des cellules bêta ainsi que le rôle des pesticides dans la régulation de l’autophagie, l’hypothèse est émise que le mélange de pesticides proposé dans ce projet altère l’autophagie et contribue donc à l’accumulation délétère d’alpha-synucléines dans les cellules bêta et les neurones.

 

Méthodologie

Dans ce projet, la lignée de souris transgéniques « humanisées » exprimant l’alpha-synucléine humaine mutée A53T (identifiée dans certains cas génétiques de maladie de Parkinson) sera exposée à l’aliment enrichi avec le mélange de 6 pesticides. Comme dans l’étude déjà réalisée chez la souris conventionnelle, les chercheurs utiliseront uniquement des souris mâles afin d’éviter les effets de biais liés à la production variable d’oestrogènes chez les femelles. Ce modèle permettra d’évaluer les aspects métaboliques et neuropathologiques.

Les PE peuvent agir de multiples façons sur le système hormonal. Ils peuvent imiter, bloquer ou altérer la production ou la régulation d'hormones. Les PE sont associés à diverses pathologies, notamment :Reproduction et fertilité (altération de la fertilité, malformations congénitales),Cancers hormonodépendants (cancer du sein, de la prostate),Maladies métaboliques (diabète, obésité),Troubles neurocomportementaux (autisme, troubles de l’attention). Il est difficile d’établir des liens de causalité directe en raison de la diversité des expositions, des temps de latence des maladies, et des synergies potentielles avec d’autres facteurs. La recherche doit développer des outils pour mieux évaluer les effets à long terme et les effets multi-générationnels.

Mieux comprendre les mécanismes par lesquels ces substances affectent les processus biologiques est crucial pour prédire et prévenir les impacts sanitaires et environnementaux. Les PE ne concernent pas seulement la santé humaine, mais aussi les écosystèmes. Ces substances peuvent perturber la faune, notamment la reproduction des espèces aquatiques et terrestres. La biodiversité peut en être affectée, avec des conséquences sur les chaînes alimentaires. La recherche doit explorer comment les PE se déplacent dans l’environnement et leur persistance dans les écosystèmes. Un des autres enjeu de la recherche est le développement de substances alternatives qui ne perturbent pas le système endocrinien, tout en maintenant les mêmes propriétés fonctionnelles dans les produits industriels et de consommation. A suivre….

Pour en savoir plus : https://www.anses.fr/fr et https://anr.fr/

 

Estelle BOUILLARD
©La Gazette Diag & Santé

 

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