Quand la covid-19 met en lumière l’excellence de la recherche médicale française sur la Thrombose : focus sur les réalisations des 2 réseaux F-CRIN, INNOVTE et INI-CRCT
Créée en 2012, portée par l’INSERM et financée par l’ANR et le ministère de la Santé, F-CRIN (French Clinical Research Infrastructure Network) est une infrastructure d’excellence qui a pour but de renforcer la compétitivité de la recherche clinique française à l’international, de faciliter la mise en place d’essais cliniques académiques ou industriels, et de développer l’expertise des acteurs de la recherche clinique, en mutualisant les savoir-faire, les objectifs et les moyens. L’organisation, qui dispose d’une unité de coordination nationale localisée à Toulouse, regroupe 12 réseaux d’investigation clinique ciblant des maladies d’intérêt général international (Parkinson, Asthme Sévère, Thrombose, Obésité, Cardio-néphrologie, Sclérose en Plaques, Maladies de la rétine, Maladies auto-immunes, Vaccinologie, Cardiologie), 3 réseaux d’expertise et de méthodologie (Maladies Rares, Dispositifs Médicaux, Epidémiologie) et 1 plateforme de supports sur mesure offrant l’ensemble des services nécessaires à la conduite des essais cliniques. Au total, F-CRIN représente une force de frappe de plus de 1400 professionnels en recherche clinique.
COVIDOSE-par-Jonathan-Udot-Photography
L’essai clinique Covi-Dose sur l’efficacité et la tolérance d’un traitement anticoagulant à dose majorée chez les patients hospitalisés pour une COVID-19, labellisé « Priorité nationale de Recherche » par CAPNET (Comité ad-hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur la COVID-19) a inclus 1000 patients issus de 24 centres (CHU et CHG) dans toute la France. COVI-DOSE, promu par le CHRU de Nancy, et adossé aux réseaux F-CRIN « INNOVTE » et « INI-CRCT », met en lumière l’excellence de la recherche clinique française. Cette étude, unique par son ampleur, révèle la puissance d’un travail collectif et la performance du travail en réseaux labellisés par F-CRIN pour une recherche clinique de très haut niveau. Ses résultats, attendus par l’Organisation Mondiale de la Santé, auront un impact direct sur la prise en charge des patients à l'échelon national et international
Le point avec les Prs Stéphane ZUILY (service de médecine vasculaire, CHRU de Nancy), Francis COUTURAUD (Service de Pneumologie, CHU de Brest), et Laurent BERTOLETTI (Service de Médecine Vasculaire et Thérapeutique, Hôpital Nord, CHU de St-Etienne).
Pourquoi cette étude est-elle si innovante ? Où en est la recherche française dans les traitements de la Thrombose ? Le point avec les experts concernés.
Qu’est-ce que la thrombose et quel lien avec la Covid-19 ?
Pr S. Zuily : « La Maladie Veineuse Thrombo Embolique (MVTE) regroupe les thromboses veineuses superficielles ou profonde (phlébite/ caillots de sang dans une veine, le plus souvent au niveau des jambes) et l’embolie pulmonaire (migration de ces caillots dans les poumons). Elles touchent 50 000 à 150 000 patients en France et sont responsables de 5 000 à 10 000 décès chaque année. Elles représentent la troisième cause cardiovasculaire de décès en Europe, et l’une des premières causes de décès des moins de 45 ans en France. Outre les facteurs de risques classiques (hérédité, prise d’une pilule contraceptive, suites d’une immobilisation ou d’une intervention chirurgicale), la crise sanitaire a mis en évidence un risque inhabituellement élevé de thromboses des veines et d’embolies pulmonaires chez les patients hospitalisés pour une COVID-19, en particulier chez les malades de soins intensifs et ce, malgré un traitement anticoagulant à dose habituelle. Compte tenu du nombre grandissant de patients dans ce cas, la question était de savoir si, en augmentant les doses de traitement anticoagulant, on pouvait réduire le risque de thrombose sans augmenter de manière déraisonnée le risque de saignement. Nous devions donc réaliser une étude en urgence. J'ai fait appel aux réseaux de recherche « F-CRIN » sur la thrombose INNOVTE et sur les complications cardio-rénales INI-CRCT pour faire en sorte de mobiliser rapidement les troupes non seulement au CHRU de Nancy, mais aussi partout en France et c’est là que l’essai COVI-DOSE est né. »
Portrait du Pr Stéphane ZUILY :
Professeur des Universités - Praticien Hospitalier de Médecine Vasculaire au CHRU de Nancy / Université de Lorraine exerçant dans le service de médecine vasculaire depuis 2009, Stéphane ZUILY a été formé à Paris (1997-2004) à l'Université Pierre et Marie Curie (Paris VI), puis à Nancy (DES de Cardiologie et Maladies Vasculaires et DESC de Médecine Vasculaire).
Ses activités cliniques comprennent la prise en charge de l'ensemble des pathologies vasculaires fréquentes (thrombose artérielle et veineuse, artériopathie, anévrysmes, acrosyndrome...) et rares des artères, des veines, des lymphatiques et de la microcirculation. Il prend en charge plus de 1400 patients en consultation par an.
Ses activités de recherche sont orientées vers la thrombose et principalement le syndrome des antiphospholipides. Il a travaillé un an à New York (USA) en 2014-2015 dans le cadre de cette spécialisation, auprès du Dr Doruk Erkan (Weill Cornell Medicine, Hospital for Special Surgery). Il est investigateur-coordonnateur national de l'essai thérapeutique COVI-DOSE (NCT04373707) destiné à identifier le meilleur traitement anticoagulant pour prévenir la thrombose au cours de la COVID-19.
Il est vice-président du Conseil National Professionnel (CNP) de Médecine Vasculaire, secrétaire général de la SFMV (Société Française de Médecine Vasculaire) de 2017 à 2020, membre de plusieurs sociétés savantes nationales et internationales, telles que le CFPV (Collège Français de Pathologie Vasculaire), la SFC (Société Française de Cardiologie), l'ESC (European Society of Cardiology) et des réseaux internationaux (Forum Européen des Antiphospholipides, APS ACTION (AntiPhospholipid Syndrome - Alliance for Clinical Trials and InternatiOnal Networking) et INNOVTE (Investigation Network On Venous Thrombo-Embolism).
Il a été nommé comme co-responsable du sous-comité de l'International Society on Thrombosis and Haemostasis dédié au syndrome des antiphospholipides. Il a co-organisé le colloque européen rassemblant les chercheurs investis pour les patients atteints de ce syndrome (www.apsnancy.com).
En quoi cet essai clinique est-il si innovant ?
Pr F. Couturaud : « Parce qu’il s’agit de l’une des plus grandes études mondiales réalisées aussi rapidement et sur une si grande échelle, avec l’objectif de travailler tous ensemble pour une recherche clinique ultraperformante, à un très haut niveau. C’est la première fois que l’on réussit à mobiliser tous les grands acteurs de la recherche française sur la thrombose (chefs de projet, méthodologistes, médecins hospitaliers, infirmières de recherche clinique..), à réunir autant de centre contributeurs et à inclure 1000 patients majeurs dans toute la France, en un temps record. Cela a demandé une énorme logistique. Cette étude unique au monde révèle la puissance du travail collectif des investigateurs de 24 CHU et hôpitaux généraux français, coordonnés par le CHRU de Nancy (promoteur), avec pour catalyseur majeur les réseaux F-CRIN, INNOVTE et INI-CRCT, ce qui lui vaut d’être labellisée « Priorité nationale de Recherche » par CAPNET et d’être repérée par l’Organisation Mondiale de la Santé. »
Portrait du Pr Francis Couturaud
Professeur des universités– Praticien Hospitalier en pneumologie au CHRU de Brest – Université de Bretagne Occidentale, il est le chef du département de médecine interne, médecine vasculaire et pneumologie depuis 2020. Son activité clinique comprend une activité en pneumologie générale et une expertise dans les maladies vasculaires pulmonaires, les infections fongiques et les maladies pulmonaires de l’immuno-déprimé. Son département comprend un centre de compétence de l’hypertension pulmonaire, un centre de compétence des maladies vasculaires rares et un centre de compétence de l’angio-œdème.
Dans le domaine de la recherche, il a travaillé à l’université McMaster (Hamilton, Ontario, Canada) pendant 16 mois, au détour de ses études de médecine en 2000. Depuis 2016, il est directeur de l’équipe de recherche UMR1304-GETBO (Groupe d’étude de la thrombose de Bretagne Occidentale) à Brest. Il est l’auteur de 217 publications internationales et a obtenu 13 Programmes Hospitaliers de Recherche Clinique. Ses domaines d’expertise scientifique portent sur l’étude de la durée et dose optimales de traitement anticoagulant de la maladie veineuse thrombo-embolique, la découverte des facteurs familiaux de thrombose veineuse et l’identification de nouvelles mutations génétiques à risque thrombotique, et la découverte de marqueurs pronostiques de la maladie veineuse thrombo-embolique. Le laboratoire de recherche qu’il dirige est centré sur l’étude des mécanismes physiopathologiques qui sont associés à un risque accru de de maladie veineuse thrombo-embolique, à l’étude du rôle de la dysfonction endothéliale dans le processus de récidive de thrombose veineuse,et enfin au rôle de l’exposition hormonale sur le risque thrombotique des jeunes femmes. En 20 ans, ce laboratoire a publié 1800 travaux scientifiques, obtenus 46 Programmes Hospitaliers de Recherche Clinique et conduits plus de 150 études cliniques dans le domaine de la thrombose veineuse profonde.
Dans le domaine facultaire, il a été vice-doyen de la recherche à la faculté de médecine de Brest de 2016 à 2021 ; Il est chargé de mission dans le recrutement des personnels hospitalo-universitaires non titulaires depuis 10 ans. Il a également créé une plateforme méthodologique à la faculté de médecine avec pour objectif le soutien méthodologique et logistique des travaux de master, de thèse de médecine et les mémoires de diplômes universitaires.
Sur le plan national, il est coordinateur du réseau « INNOVTE » (Investigation Network On Venous Thrombo-Embolism), un réseau national labélisé F-CRIN qui a pour but de développer la recherche clinique et translationnelle, ainsi que les études à dimension européenne, sur la maladie veineuse thromboembolique (MVTE). Le réseau regroupe aujourd’hui une cinquantaine de centres, des équipes labélisées, des centres d’investigations cliniques, des unités INSERM, des équipes d’accueil sur le territoire national et deux collaborations européennes avec Bruxelles et Genève.
Depuis Janvier 2021, il est membre du Conseil National des Universités dans la discipline Pneumologie - Addictologie.
Où en est cet essai. Quels sont les premiers résultats ?
Pr S. Zuily : « Aujourd'hui, les inclusions de patients sont terminées. Il reste un travail de recueil de données et de suivi. Nous avons déjà récupéré des milliers de données, que les statisticiens et les équipes de recherche sont en train d’analyser afin de répondre à l’attente internationale sur le sujet. Nous sommes vraiment dans le feu de l'action, pour pouvoir publier très rapidement des résultats de qualité qui soient rapidement partagés au niveau international avec les cliniciens, et les organisations telles que l’OMS. L’objectif de COVI-DOSE est d’évaluer l’efficacité et la tolérance d’un traitement anticoagulant à dose majorée chez les patients hospitalisés pour une COVID-19, par rapport à un traitement à dose habituelle administré dans la prévention des thromboses à l’hôpital. En outre, COVI-DOSE inclut notamment des patients avec une insuffisance rénale avancée, grâce à la participation du Pr Rossignol (Néphrologue, médecin vasculaire spécialiste de l’hypertension artérielle et Professeur de Thérapeutique, CHRU de Nancy) coordonnateur du réseau INICRCT (Investigation Network Initiative-Cardiovascular and Renal Clinical Trialists. L’essai permettra, par son ampleur, d'avoir des renseignements très utiles pour soigner également ces patients, habituellement exclus des grands essais cliniques de prévention cardiovasculaire, notamment pour la thrombose ».
Quelles sont les avancées de la recherche française sur la thrombose ?
Pr F. Couturaud : « Nous avons actuellement plus de 15 essais cliniques en cours et avons mis en place des protocoles phares pour des milliers de patients. Nous sommes par exemple les seuls au monde à travailler sur la personnalisation et l’optimisation des doses de traitement anticoagulant chez les patients à très haut risque de récidive de thrombose : patients avec thromboses inexpliquées (essai « RENOVE »), patients avec cancer (essai « APICAT »), insuffisants rénaux (essai « VERDICT »), chirurgie bariatrique (essai de phase I « ABSORB »). Avec des équipes hollandaises, nous avons validé le premier algorithme de diagnostic de l’embolie pulmonaire chez la femme enceinte (essai ARTEMIS). Notre réseau a participé activement à un essai international sur l’anticoagulation préventive optimale chez la femme enceinte à haut risque de thrombose (essai HIGHLOW). Dans le cadre de l’étude des patients à profils particuliers, nous avons aussi montré que les patients, atteints d’exacerbation de maladies bronchiques chroniques, étaient à très haut risque d’embolie pulmonaire et qu’une recherche systématique de l’embolie pulmonaire était indiquée dans ce contexte (essai « PEP »). Enfin, nous avons publié la plus grande étude de validation des outils permettant de traiter certains patients atteints d’embolie pulmonaire en ambulatoire (essai « HOME-PE »), ce qui représente une transformation profonde des pratiques cliniques. Tous ces programmes de recherche clinique conduisent directement à un changement des pratiques, des recommandations internationales et à une amélioration majeure du pronostic des patients atteints de maladie veineuse thrombo-embolique. »
Quel est l’apport de l’infrastructure F-CRIN dans la mise en place de ces études ?
Pr L. Bertoletti : « Ces études nécessitent une coordination très importante, favorisée par le soutien déterminant des réseaux F-CRIN. Ils permettent de catalyser, en synergie avec les promoteurs, les efforts des investigateurs expérimentés de multiples centres hospitaliers (CHU et CHG) et de leur Direction de la recherche, de l’idée de recherche à la mise en place du protocole, de l’inclusion des patients à la récupération et à la gestion des données. L’infrastructure F-CRIN favorise ainsi la mise en place d’études de grande ampleur, avec un nombre important de success stories. Espérons que cela sera le cas pour COVI-DOSE et que les résultats, attendus pour la fin de l’année auront un impact direct sur la prise en charge des patients, à l'échelon national et international, et témoigneront de l’excellence de la recherche clinique française. Si COVI-DOSE a permis de mettre en place une synergie entre INNOVTE et un autre réseau F-CRIN (INI-CRCT), d’autres études à venir permettent de rassembler les forces nationales, comme par exemple l’essai BAT-VTE, financé au Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC) 2021 et soutenu par le réseau F-CRIN FACT. C’est toute la force de l’infrastructure F-CRIN que de rassembler les réseaux experts dans 12 pathologies et de favoriser le travail collectif en recherche clinique. »
Portrait du Pr Laurent BERTOLETTI
Laurent BERTOLETTI est docteur en médecine et professeur de médecine au Centre Hospitalier Universitaire de St-Etienne (CHUSE). Il a obtenu son diplôme de médecin thoracique à la faculté de médecine de St-Etienne. Après un fellowship (formation complémentaire) dans le service du Pr Gérald SIMONNEAU (Paris), il a créé et développé le programme d'hypertension pulmonaire du CHU de St-Etienne. Après un post-doc dans le service "Angiologie et Hémostase" du Pr H BOUNAMEAUX (Genève, Suisse), il a rejoint le service de médecine vasculaire du CHUSE, service qu'il dirige depuis plusieurs années.
Ses recherches actuelles portent sur la prise en charge des maladies vasculaires, avec une attention particulière portée au traitement anticoagulant chez les patients atteints de maladies vasculaires pulmonaires. Il est fortement impliqué dans la recherche clinique sur la maladie thromboembolique veineuse, avec une interaction en sciences fondamentales. Il est le coordinateur national du registre RIETE (https://rieteregistry.com/), et le co-coordinateur du réseau français INNOVTE. En 2021, il a été élu président du sous-ensemble "Embolie pulmonaire" de l'European Respiratory Society, une grande société scientifique qui couvre plus de 160 pays et qui donne la priorité à la science, à l'éducation et à la promotion de la santé pulmonaire.
Pour plus d’informations : https://www.fcrin.org/
E.Bouillard