Le rôle des diagnostics intégrés et l’importance d’une communication efficace entre laboratoires et cliniciens, au bénéfice du patient


Le congrès ISLH 2024 (www.islh.org/2024/), qui s’est tenu à la cité des congrès de Nantes du 30 Mai au 1er juin, était organisé par l’International Society for Laboratory Hematology (ISLH), en partenariat avec la Société Française de Thrombose et d’Hémostase (SFTH). A cette occasion, nous avons échangé avec le Dr Ahmed BENTAHAR, Directeur médical de Beckman Coulter Diagnostics, sur l’importance des diagnostics intégrés et la nécessité d’une collaboration et d’une communication renforcées entre les différents acteurs impliqués dans les soins aux patients.

Christine BOUILLARD, La Gazette DIAG&SANTE (CB) : « Dr Bentahar, pouvez-vous tout d’abord vous présenter brièvement ? »

Dr Ahmed BENTAHAR, Directeur médical de Beckman Coulter Diagnostics (Dr BENTAHAR) : « Je suis directeur médical du département « Medical and Scientific Affairs » au sein de Beckman Coulter. Je suis médecin et j’ai fait mes études à Liège en Belgique, puis j’ai réalisé ensuite une spécialisation en biopathologie médicale à Madrid en Espagne. Cela fait maintenant 34 ans que je travaille chez Beckman Coulter. Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai donc une perspective « historique » sur l’évolution, non seulement de nos propres développements et produits, mais aussi sur le développement des relations entre les différentes disciplines au sein du laboratoire ; ainsi que sur la communication entre le spécialiste en biopathologie médicale et le clinicien. J’ai ainsi vécu l’évolution du secteur, passant d’une approche initialement axée sur l’augmentation du volume de tous les tests réalisés à une époque moderne où la valeur repose désormais sur la qualité. »

CB : « Quelle est votre définition du diagnostic intégré ? »

Dr BENTAHAR : « Le diagnostic intégré est non seulement le présent, mais c’est également le futur, avec notamment l’intégration des outils d’intelligence artificielle. Comme vous le savez, chaque patient est unique. Il se rend chez son médecin avec des symptômes et le médecin prescrit des tests. Des études indiquent que pratiquement 60% du poids dans la décision du médecin reposent sur les résultats qu’il reçoit du laboratoire. Le médecin prescrit des tests, et plusieurs échantillons sont prélevés, puis distribués dans les différentes disciplines du laboratoire. A ce stade, une première dispersion des échantillons a lieu, et chaque unité du laboratoire analyse l'échantillon reçu et produit des résultats.  Tous ces résultats convergent à nouveau vers le médecin, mais sans interprétation, sans intégration de l’opinion des différents responsables de laboratoire et sans coordination pour finalement aider le médecin à tirer le meilleur résultat de tous les éléments qu’il reçoit.

Nous croyons fermement, surtout dans les cas complexes, qu’il est primoridal que les différentes disciplines (hématologie, biochimie, coagulation, immunochimie, etc.) communiquent et discutent entre elles et qu’elles échangent leurs expertises d’une part, et que d’autre part, elles communiquent également avec le médecin, qui pourra lui aussi apporter des informations qui aideront les laboratoires à mieux interpréter les résultats des analyses. Par diagnostic intégré, nous entendons donc une synergie et une communication bidirectionnelle entre le laboratoire et le clinicien. »

CB : « Merci pour ces précisions. Dr Bentahar, nous sommes là dans la théorie, car, dans la pratique, la communication bi-directionnelle, telle que vous la décrivez, n’est pas la norme. Avez-vous des exemples concrets d’une telle communication entre laboratoires et cliniciens ? »

Dr BENTAHAR : « Effectivement, les choses commencent à se mettre en place principalement dans les grands hôpitaux universitaires, où les professionnels eux-mêmes on fait le constat de ce manque de communication au sein du laboratoire, entre les différentes disciplines et surtout avec les cliniciens.

Prenons le cas concret très intéressant d’un nouveau syndrome décrit pour la première fois en 2020, le syndrome de VEXAS. Les malades souffrent de problèmes apparemment rhumatologiques, ils sont donc traités par un rhumatologue, mais ces patients finissent par développer une anémie macrocytaire, dont on ne comprend pas l’origine. On fait donc des tests, on analyse la vitamine B12, l’acide folique et on ne trouve pas de cause subjacente de cette anémie macrocytaire. Le patient se retrouve donc au service d’hématologie. L’hématologue cherche lui aussi à comprendre. Il investigue, fait des tests et en arrive finalement à une biopsie de moelle osseuse, pour aller voir à l’origine, là où les cellules se forment. Et là, on découvre que la plupart des cellules jeunes de toutes les séries, ce qu’on appelle les blastes, ont des vacuoles. C’était la première fois que ce phénomène était décrit. En discutant avec ses collègues, l’un des hématologues se souvient avoir lu un article récent, qui décrivait un syndrome appelé syndrome de VEXAS - le premier patient a été diagnostiqué au Royaume-Uni. C’est comme cela qu’ils ont commencé à collaborer ensemble - rhumatologue, hématologue, laboratoire d’hématologie – et qu’ils ont pu prescrire un traitement, grâce à une approche intégrale d’un syndrome complexe »

CB : « Cet exemple montre effectivement comment les diagnostics intégrés peuvent impacter la pratique quotidienne du clinicien et comment une communication fluide entre les différents acteurs impliqués pourrait faciliter le diagnostic final et donc le traitement… »

Dr BENTAHAR : « Oui, en fait, le bénéfice d’une telle approche est triple : Le premier avantage est le raccourcissement du délai de réponse au clinicien. En intégrant les différents résultats et en les discutant, nous pouvons parvenir plus rapidement à une interprétation complète de l'ensemble des données du patient et fournir cette interprétation au clinicien.  Or le temps est un facteur fondamental !
Ensuite, les informations fournies au médecin lui permettent de mieux fonder son approche en termes de diagnostic différentiel, et de manière plus efficace, afin de commencer le plus rapidement possible une stratégie thérapeutique efficace.
Enfin, et surtout, cette approche est dans l'intérêt du patient, qui est au cœur de nos missions, conformément à la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé. »

CB : « Cette approche permettrait donc potentiellement de limiter l’errance diagnostique et le parcours long et difficile de certains malades, qui passent d’un service à l’autre pendant des années parfois. »

Dr BENTAHAR : « Absolument ! le manque de coordination et de communication a finalement un impact négatif sur la prise en charge du patient ! »

CB : « De votre point de vue, comment pourrait-on améliorer la communication entre laboratoires et cliniciens ? quelles sont à votre avis les attentes des cliniciens vis-à-vis des laboratoires, et inversement ? Comment peut-on faire en sorte que ces deux mondes communiquent plus efficacement ? et comment une société telle que Beckman Coulter, spécialiste des équipements pour le diagnostic, se positionne-t-elle par rapport à ce concept de diagnostic intégré ? »

Dr BENTAHAR : « Nous sommes conscients des lacunes et de notre potentiel pour apporter des solutions.
Nous pouvons intervenir sur plusieurs fronts : Le premier concerne le laboratoire – nous devons développer des solutions toujours plus efficaces, plus sophistiquées, qui permettent aux laboratoires de détecter des maladies ou des problèmes de santé dont souffrent les patients »

CB : « Donc avec la mise au point d’équipements qui sont de plus en plus performants, de plus en plus rapides et de plus en plus spécifiques ? »

DR BENTAHAR : « Oui, effectivement, et qui répondent en fait aux besoins qui ne sont pas satisfaits actuellement et que les cliniciens expriment. Le clinicien dit « j’aurais besoin de cela » - Nous l’interrogeons alors « Si vous deviez développer un nouveau système, qu’est-ce que vous exigeriez de lui ? ». Prenons le cas de l’analyse, très complexe, de la moelle osseuse. En réponse aux besoins des cliniciens, il existe aujourd’hui des systèmes qui sont capables de réaliser cette analyse – ce qui n’existait pas à l’époque où j’exerçais dans cette spécialité – il fallait aller au microscope et analyser 500 à 1000 cellules pour le myélogramme. Aujourd’hui, il existe des systèmes automatisés, qui ont été développés en réponse aux besoins des cliniciens hématologues.

Le second front sur lequel nous pouvons agir concerne le développement de biomarqueurs. Dans nos systèmes, nous intégrons des biomarqueurs de pointe, qui permettent d’apporter une réelle valeur ajoutée au moment d’évaluer un patient. Par exemple, nous avons récemment développé un biomarqueur de septicémie, intégré dans un appareil d’hématologie. Ce biomarqueur est donc systématiquement disponible pour tous les patients, même avant que le clinicien ou le médecin des urgences ne suspecte un risque de septicémie. Grâce à la biométrie de base, le praticien dispose immédiatement d'une première alerte, lui permettant de réagir plus rapidement ou, à tout le moins, de porter une attention particulière à un patient identifié comme à risque.
Depuis le moment où le patient accède aux services d’urgences jusqu’au moment où le clinicien suspecte qu’il pourrait être en risque de développer une septicémie, il s’écoule en moyenne de 4 à 6 heures, ce qui est énorme, car chaque heure de retard multiplie le risque et le ratio de mortalité. En ayant un résultat en à peine une demi-heure, on minimise donc le risque de complications.

Enfin, notre troisième approche, et c’est là que j’interviens en personne, en tant que directeur médical, c’est la formation et l’information. Nous sommes un groupe de professionnels, la plupart médecins, certains spécialisés en biopathologie médicale. Nous apportons donc le know-how, le savoir-faire aux laboratoires et aux cliniciens. Nous organisons des réunions éducatives didactiques. Nous expliquons la valeur ajoutée de tous les paramètres – les technologies sont complexes et ce n’est pas facile d’interpréter d’entrée de jeu. Bien sûr, certains paramètres sont plus faciles à interpréter, comme une hémoglobine par exemple, mais d’autres sont complexes. Nous travaillons donc à éduquer le laboratoire, pour qu’il soit capable d’aider le médecin à gagner du temps pour atteindre un diagnostic différentiel complet et donc sur la mise en place d’un traitement approprié. Bien sûr, nous avons aussi des interactions avec les médecins, les cliniciens.
Pour reprendre l’exemple du biomarqueur de septicémie, la décision doit être prise par le clinicien. Nous organisons donc des conférences avec les cliniciens et leur communiquons le bénéfice qu’ils peuvent tirer de ce biomarqueur dans leur pratique quotidienne. »

CB : « On parle de grands centres hospitalo-universitaires, où, en général, le laboratoire est intégré. Mais il y a aussi l’ensemble des laboratoires de biologie médicale répartis sur le territoire et qui ne sont donc pas à proximité immédiate du médecin ou clinicien qui doit établir un diagnostic. Comment faire pour promouvoir la communication dans ce cas ? »

DR BENTAHAR : « Au cours des conférences que nous organisons auprès des professionnels du laboratoire, nous expliquons l’intérêt de cette approche multidisciplinaire et interprofessionnelle. Dans notre exemple de la septicémie, nous expliquons qu’on peut approcher celle-ci d’une façon multidisciplinaire, en incluant l’hématologie, la biochimie, l’immunochimie, la coagulation, etc. et nous les encourageons à mettre en pratique les connaissances acquises et à communiquer avec les cliniciens. Nous pouvons aussi organiser ce même type de réunion avec les cliniciens pour transmettre également ce même message. En informant et en éduquant sur les outils disponibles, nous contribuons à renforcer la communication entre les laboratoires et les cliniciens, qui collaborent tous au bénéfice du patient. C’est en fait un long travail d’éducation ! »

CB : « Pensez-vous que l’apport de l’intelligence artificielle au niveau du diagnostic puisse être un facteur d’accélération de la communication entre laboratoires et cliniciens ?  Comment cette révolution technologique peut-elle faciliter les interactions ? »

DR BENTAHAR : « L’intelligence artificielle (IA) est un outil – un outil qui va travailler à partir des données collectées. Et l’objectif est bien que cet outil soit au service du patient. Un professionnel de laboratoire qui est expert en biochimie, n’est pas expert en hématologie, en immunochimie, etc. L’IA pourra suggérer certaines approches complémentaires par rapport à un résultat d’analyse. Si un paramètre de biochimie, disons la CRP, est anormal, l’IA va suggérer que peut-être ce patient est en train de souffrir d’un process inflammatoire ou infectieux, auquel cas ce patient ne disposera pas de fer, même si son taux de fer est ok, parce que le processus inflammatoire inhibe la sortie du fer des macrophages, ce qui suggérera au clinicien de rechercher une origine inflammatoire ou infectieuse, etc.

L’IA peut d’un côté combler les lacunes de connaissances ou d’expertises que le spécialiste d’une discipline n’a pas et, d’un autre côté, elle suggérera les étapes à suivre…, par exemple, faisons une culture de sang pour voir s’il y a une bactérie, une septicémie, etc. mais l’idée, c’est aussi d’aller au-delà de chaque discipline. Et là, l’utilisation de l’IA peut permettre de décompartimenter les différentes disciplines.

Cet outil n’a pas d’émotion et surtout, il est capable de compulser une quantité énorme de données en un temps très réduit. Et ça, c’est un gain de temps extraordinaire, qui peut permettre d’avoir une standardisation de l’approche des maladies, indépendamment du niveau d’expertise de chaque professionnel. Les médecins, comme tous les humains, ont des niveaux d’expérience différents. On est spécialiste dans un domaine, mais pas dans tous et, au sein même d’une même spécialité, les niveaux d’expertise varient également. Il y a donc nécessité à partager la connaissance de la manière la plus efficace possible. »

CB : « Quels sont à votre avis les freins à ce décloisonnement de la connaissance ? la protection des données, la réglementation ? »

DR BENTAHAR : « C’est un défi effectivement - Du point de vue protection des données, je ne crois pas qu’il y ait un réel problème, car tous les acteurs impliqués sont des professionnels dédiés à la prise en charge et aux soins des patients. Nous voyons tous l’intérêt d’avoir le maximum d’informations reliées à l’état actuel du patient. Là où je vois un défi, c’est plutôt au niveau du rejet de ces nouveaux outils de la part du professionnel de santé. Est-ce qu’on aura toujours besoin de moi ? est-ce que mon métier va encore exister ou bien un robot accomplira-t-il le travail à ma place ?

Personnellement, je suis convaincu que ceux qui pourraient disparaître sont plutôt les professionnels qui n’utiliseront pas ces outils d’intelligence artificielle ! C’est une évolution inévitable et je crois qu’il faut en être conscient et accepter l’idée que l’intelligence artificielle est un outil, tout simplement. Ce n’est pas l’intelligence artificielle qui va émettre le diagnostic. C’est le clinicien qui le fait, mais il pourra à l’avenir s’appuyer sur les données fournies grâce à l’IA – et il bénéficiera en cela de la rapidité et de l’intégration de cet outil pour poser son diagnostic.

Je suis assez optimiste en ce qui concerne le futur, parce que je constate, au sein même de ce congrès ISLH 2024, que le sujet de l’Intelligence Artificielle s’invite dans pratiquement toutes les présentations. Cet outil est présent et il va permettre d’accélérer le diagnostic intégré. »

CB : « Quelques mots pour conclure ? »

DR BENTAHAR : « oui, deux choses en fait : dans les années 2000, j’ai assisté au congrès ISLH au Canada. A cette occasion, un grand leader d’opinion japonais Prof Noriuki Tatsumi parlait de l’automatisation du laboratoire et de ses bénéfices en termes de temps. Comme évoqué au début de cet échange, à l’époque, on était dans une approche axée sur le volume de tests. L’automatisation avait donc vocation à résoudre la problématique du volume des tests de laboratoire. Il a conclu sa présentation en disant – « Je crois que le futur, ce sera un seul tube, un minimum de sang, pour toutes les analyses ». On n'y est pas encore, mais on y arrivera !

Et enfin, j’aimerais terminer en citant une phrase du professeur Steven H Kroft, un spécialiste en biopathologie médicale : « les professionnels de laboratoire ne sont pas des fournisseurs de numéros » et effectivement, c’est ce que nous étions jusqu’à récemment… nous mettions un échantillon dans un appareil, nous obtenions des numéros, envoyés au médecin, qui devait les interpréter. Steven H Kroft encourageait à ce que nous soyons capables d’apporter plus de valeur ajoutée aux cliniciens, pas des numéros, mais un résultat interprété.

Et c’est là, à nouveau, que la synergie entre les compagnies de diagnostic (pas seulement Beckman Coulter !) et les professionnels de santé prend tout son sens, afin d’apporter les informations, l’éducation et les moyens de mieux interpréter les résultats et ce, au bénéfice du patient »

Rappelons que Beckman Coulter Diagnostics compte parmi les trois plus grandes sociétés de diagnostic au monde et joue un rôle majeur dans la santé globale. Chaque heure dans le monde, plus d’un million d’échantillons – représentant jusqu’à un million de personnes – sont analysés à l’aide des instruments Beckman Coulter dans les hôpitaux.

Pour plus d’informations :
www.beckmancoulter.com/en/blog

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